Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que j’aurais pu faire un discours sur la situation sociale, le développement économique, la création de l’entreprise publique minière pour l’activité aurifère en Guyane, que j’ai appelée de mes vœux, j’ai choisi, parmi les nombreuses situations de vulnérabilité dans lesquelles se retrouvent les outre-mer, d’alerter le Gouvernement sur le contexte sanitaire grave que connaissent actuellement les départements français d’Amérique avec l’épidémie de chikungunya.
Aujourd'hui, plus de 350 cas reconnus sont recensés à Saint-Barthélemy, 1 380 cas en Guadeloupe, plus de 1 800 cas à Saint-Martin - un décès est à déplorer -, 3 030 cas en Martinique et 14 cas en Guyane, dont les premiers cas autochtones sont identifiés à Kourou.
Or cette épidémie du virus chikungunya nous rappelle l’épisode catastrophique qu’ont vécu la Réunion et Mayotte voilà huit ans. Entre les mois de février et de novembre 2005, 4 500 cas étaient recensés à la Réunion ; six mois plus tard, le chikungunya infectait plus de 244 000 personnes, soit un tiers de la population de l’île, qui devait déplorer 203 décès liés à cette infection.
Il apparaît alors que nous sommes à un moment critique, à la fois en Martinique et en Guadeloupe, où tout doit être mis en œuvre pour contrôler la maladie, et en Guyane, où il faut par tous les moyens empêcher la maladie de s’installer et de se répandre.
Le gouvernement précédent avait géré cette crise tardivement, minimisant l’ampleur et la gravité d’une telle épidémie. Lorsqu’il est enfin intervenu en déployant massivement des moyens, la situation sanitaire s’était largement dégradée. Cette catastrophe, dont on sait se prémunir en métropole, nous alerte et donne une responsabilité de premier plan à ce gouvernement, dont vous faites partie, monsieur le ministre.
Cette responsabilité vous oblige, monsieur le ministre. Nous savons maintenant que la maladie est loin d’être bénigne, comme on le pensait avant 2005. Elle est virulente et, parfois, mortelle. Elle est susceptible de récidive, les malades ne développant pas toujours d’immunité. Elle peut enfin produire des séquelles à moyen et à long terme.
Les populations des départements français d’Amérique ne comprendraient pas que l’État laisse la situation empirer.
Or, actuellement, les agences régionales de santé font principalement appel aux collectivités locales, départements et communes, pour lutter contre la propagation du virus, mais ces collectivités ne sont pas en mesure de prendre l’ensemble des dispositions que requiert une telle situation.
Cette responsabilité, vous la devez aussi à l’ensemble du continent sud-américain.
En matière économique et sociale, la Guyane est considérée comme un îlot européen de développement en Amérique du Sud.
Pour ce qui est des maladies vectorielles, la Guyane risque, si rien n’est fait, d’être la porte d’entrée d’un virus qui épargnait encore le continent sud-américain. Nos voisins sud-américains attendent une réaction de la France à la hauteur de l’enjeu sanitaire. C’est donc maintenant qu’il faut agir.
Agir, cela signifie une réponse adaptée sur trois points : la lutte contre la transmission du virus, l’adaptation des capacités de prise en charge médicales et le développement de recherches sur les maladies émergentes.
Toutefois, dans l’immédiat, la lutte contre la transmission du virus demeure la priorité. Elle devrait prendre plusieurs formes.
Je citerai d’abord l’information des populations, afin que les personnes infectées se signalent et que leur environnement puisse être traité. En effet, si le vecteur de transmission de ce virus est le moustique, le réservoir est bien l’homme. Il faut donc cibler les zones de contamination pour une efficience maximale du contrôle de l’épidémie.
Or, à Kourou, où le chikungunya est présent, les agents de lutte et de prévention délivrent leur message dans des quartiers qui peuvent cumuler les difficultés socio-économiques. Comment faire entendre à une famille en situation économique difficile qu’il lui faut à la fois signaler les cas suspects et s’équiper de moustiquaires imprégnées et de répulsifs adaptés ? Il est à craindre que des répulsifs peu efficaces soient privilégiés, dans le meilleur des cas. Si l’on veut une action efficace, il faut dès maintenant distribuer des répulsifs au dosage adéquat et, pour cela, débloquer des fonds spéciaux.
L’information doit donc se doubler d’une protection des personnes.
La lutte contre l’épidémie doit également se faire par l’élimination de gîte larvaire.
Le choix de l’insecticide doit privilégier un produit efficace, ce qui nécessite d’obtenir une dérogation de l’Union européenne, car les insecticides autorisés se révèlent inefficaces contre le moustique vecteur de la maladie.
Mais il faut aussi un plan de salubrité des départements des Antilles et de Guyane. Les dépôts de déchets doivent faire l’objet d’un ramassage et des solutions doivent être trouvées pour la résorption de ces réceptacles artificiels de nidification.
En 2010, lorsque la dengue a frappé la Martinique et causé 17 morts, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, s’est vu débloquer plusieurs centaines de milliers d’euros pour éliminer plus de 2 000 véhicules hors d’usage à l’abandon sur l’île. N’attendons pas davantage pour mener un plan identique sur les Antilles et la Guyane.
J’attends une réponse à la mesure de la situation que je viens d’évoquer, et que vous connaissez bien, monsieur le ministre.
Au premier temps de l’épidémie à la Réunion, en 2005, le gouvernement d’alors avait débloqué moins de 100 000 euros.
Au mois de février 2006, en déplacement sur l’île de la Réunion, le Premier ministre d’alors annonçait 60 millions d’euros pour venir en aide au secteur économique, 22 millions d’euros pour la réponse sanitaire et la prévention, 9 millions d’euros pour la recherche et 300 000 traitements antimoustiques distribués gratuitement.
Cela paraît-il une dépense inadéquate en ces temps de restriction budgétaire ?
Je cite l’étude de l’université Pierre-et-Marie-Curie sur le coût de l’épidémie de chikungunya à la Réunion. Entre la prise en charge médicale, les hospitalisations, les coûts indirects dus aux arrêts maladie, la baisse de consommation, l’effet néfaste sur le tourisme, les chercheurs ont établi le prix de l’action tardive du gouvernement de l’époque à 44 millions d’euros en fourchette moyenne et à 63 millions d’euros en fourchette haute.
La structure économique des Antilles et de la Guyane est similaire. L’arrêt des microentreprises qui en constituent le tissu aura un effet tout aussi terrible.
Ainsi, la réponse du système de santé français doit s’inscrire dans une démarche qui aille au-delà de la seule lutte anti-vectorielle, qui est un élément parmi d’autres de la lutte que nous devons mener contre le chikungunya.
Il s’agit d’organiser l’offre de soins, libérale et hospitalière, d’ajuster les plateaux techniques pour la prise en charge des formes sévères ou pour une plus grande réactivité du diagnostic.
Enfin, au-delà du plan blanc, il faut d’ores et déjà anticiper sur un renfort en personnels de santé avant même de se tourner, en recours ultime et parfois tardif, vers l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, l’EPRUS.
Monsieur le ministre, vous faites face à une situation sanitaire grave, qui demande des réponses à la hauteur de l’enjeu, en particulier le déblocage de fonds spéciaux. J’ai toute confiance en votre capacité à apprécier la situation et apporter au Sénat des éléments sur votre action.