L’économiste Bernard Mendès-France avait publié, voilà très longtemps de cela, une analyse économétrique de la situation à la Réunion : ses conclusions différaient de ce que j’entends aujourd'hui. Il convient de raison garder et de bien mesurer les risques d’une évolution aussi fondamentale.
Le Gouvernement, bien entendu, est là pour proposer des outils, des moyens, des conventionnements, pour mettre en œuvre des politiques publiques spécifiques, mais pas – en tout cas, c’est ma conception – pour dire aux élus et aux collectivités locales ce qu’ils doivent faire.
Si certaines de vos propositions, monsieur le sénateur, en particulier en matière institutionnelle, font consensus parmi les élus locaux, le Gouvernement les accueillera de façon positive, mais il est, je le répète, hors de propos de demander à Paris de décider pour vous.
Si je prends la peine de vous répondre en détail, c’est parce que je ne voudrais pas laisser prospérer de fausses pistes et de mauvaises polémiques, reposant par exemple sur l’idée, parfois encore soutenue, en particulier dans la presse réunionnaise, qu’un mauvais traitement serait réservé à la Réunion. Je tiens aujourd'hui, à cette tribune, à faire litière de telles affirmations. Ces polémiques, souvent dirigées contre ma personne, sont blessantes lorsqu’elles relèvent d’une suspicion assez systématique et jamais étayée sur mon impartialité.
Non, le Gouvernement ne traite pas moins bien la Réunion, par exemple dans la répartition des contrats aidés. Ainsi, la Réunion a obtenu une enveloppe permettant de financer 5 000 emplois d’avenir, contre 1 500 pour la Guadeloupe ou la Martinique. Il est simplement dommage que la Réunion n’ait utilisé que 3 000 de ces emplois.
Non, le Gouvernement n’oublie pas les investissements à la Réunion. À cet égard, je ne citerai qu’un seul exemple : le financement du Pôle sanitaire de l’ouest décidé par ce gouvernement, qui vient concrétiser une décennie de combat acharné mené par votre collègue députée-maire Huguette Bello au bénéfice de la santé des Réunionnais.
C’est également ce gouvernement qui concrétise enfin les engagements pris par l’État dans le cadre du protocole de Matignon. Je connais bien sûr votre opinion, monsieur le sénateur, sur le projet retenu par la région Réunion, mais l’État se doit d’être impartial, à la Réunion comme ailleurs, et il ne pouvait priver les Réunionnais des retombées économiques de cet investissement de 1, 6 milliard d’euros.
Non, je n’ai jamais décrété la mort de la canne à sucre, secteur essentiel et stratégique pour la Réunion. J’ai déclaré qu’il fallait anticiper la disparition des quotas sucriers, qui ont été condamnés par l’OMC en 2004. Il me semble important, aujourd'hui au Sénat, d’aborder ce sujet qui suscite de la frayeur, de dire qu’il y a égalité de traitement entre tous les territoires et que les moyens sont dispensés en fonction de critères objectifs. Il nous faut penser dès maintenant l’avenir. Dès l’automne dernier, un cabinet d’études indépendant a donc été missionné pour évaluer l’efficacité du système de soutiens publics actuel, dans la perspective notamment de la fin des quotas sucriers. Comment se préparer à celle-ci ? Il me semble que nous aurons tout à gagner à accroître la compétitivité-prix de la filière, à augmenter le niveau de production et à intensifier la compétitivité hors prix, qu’il s’agisse de la qualité, de la sécurité d’approvisionnement, de la logistique ou de l’exploitation des sous-produits.
D’ores et déjà, nous avons activé plusieurs leviers.
Ainsi, nous travaillons à ajuster au mieux le dispositif d’aide à la filière dans le cadre du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité, le POSEI, et de l’aide nationale. L’étude actuelle doit nous permettre d’identifier objectivement les diverses situations, d’évaluer l’efficacité des dispositifs de soutiens publics et les éventuels besoins. Ses conclusions sont attendues pour la fin du mois d’avril 2014 et elles vous seront communiquées.
Nous soutenons également la production de cannes. À cet égard, la défense du foncier est une préoccupation majeure. Plusieurs outils y concourent directement, tels que la commission départementale de consommation des espaces agricoles ou l’optimisation de l’utilisation des terres agricoles, notamment à travers la mesure sur l’indivision inscrite dans le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de mon collègue Stéphane Le Foll.
Il convient en outre d’analyser le développement de la filière sucres spéciaux et d’accompagner la reconnaissance de la qualité, notamment grâce aux indications géographiques protégées.
Nous nous préoccupons d’encourager les nouveaux débouchés, au travers de la chimie verte, de l’innovation, de la recherche. La canne, on le sait, est une plante miraculeuse !
Il importe d’assurer la recette rhum des usines, avec le maintien du régime fiscal pour le rhum : sur ce point, une décision favorable du Conseil européen est intervenue voilà quelques jours.
Enfin, nous envisageons la possibilité que les sucres bruts non destinés au raffinage puissent être considérés comme un produit sensible dans les accords commerciaux en cours ou à venir, dès lors que le partenaire est en capacité d’exporter du sucre sur le marché européen
Au cours du premier semestre de 2014, toute une série de rencontres et de groupes de travail permettra de mutualiser la réflexion de toutes les parties sur la définition d’une stratégie d’ensemble pour la filière et d’arrêter un plan d’action et d’adaptation à la fin des quotas. L’amélioration de la compétitivité, le développement du secteur des sucres spéciaux et la mise en place des démarches de qualité et de reconnaissance géographique constituent des orientations qu’il conviendra bien entendu d’étudier.
Cette perspective de réforme du mécanisme de soutien au secteur sucrier, je le disais, n’est donc en rien une nouveauté : elle est connue depuis près de dix ans, si bien que le POSEI mis en place en 2006 a intégré cette perspective de la fin de l’organisation commune du marché du sucre et qu’une partie essentielle de l’aide au secteur est constituée d’une « aide forfaitaire à la réforme de l’OCM sucre ».
Le secteur bénéficie depuis de nombreuses années d’un soutien public important aux niveaux tant européen que national. Ces aides ont augmenté de manière inversement proportionnelle à la baisse du prix de référence du sucre sur le marché européen. Elles ont ainsi favorisé la stabilité économique de la filière canne-sucre – j’allais ajouter « rhum » – et permis aux sociétés sucrières de mettre en œuvre des investissements importants.
J’ai lu dans la presse et entendu souvent affirmer, ces jours derniers, que ces aides profiteraient plus aux Antilles qu’à la Réunion. Je tiens à répondre sur ce point. On peut entrer dans le détail des chiffres, mais il faut surtout se concentrer sur l’essentiel des aides, s’assurer que leurs modalités correspondent bien aux surcoûts rencontrés par la filière et que le dispositif de soutien est efficace.
Pour le détail de ces aides, je rappelle que le prix de la canne n’est pas fixé par l’État, mais qu’il est construit à partir du prix industriel de base auquel s’ajoutent la valorisation énergie, diverses primes liées aux zones difficiles, une aide nationale à la production de la canne, une fraction de l’indemnité compensatoire aux handicaps naturels, une aide au transport… Toutes les aides sont détaillées dans la convention canne de chaque département, signée par les planteurs.
Le prix industriel de base d’achat de la canne fixé dans les conventions prévoit un prix d’achat de 34, 76 euros par tonne pour une richesse en sucre de 8 % en Martinique, de 23, 81 euros par tonne pour une richesse de 9 % en Guadeloupe et de 39, 49 euros par tonne pour une richesse de 13, 8 % à la Réunion. On sait que les variétés de canne sont différentes d’un territoire à l’autre.
Ainsi, en Martinique, le total des aides aboutit à un montant de 84, 84 euros par tonne. À la Réunion, la même assiette d’aides s’élève à 85 euros par tonne, sans compter la prime bagasse, qui vient s’ajouter. Il est donc délicat de comparer la situation d’un territoire à celle d’un autre. Surtout, je crois que nous avons besoin d’être unis sur le sujet, plutôt que de jouer la division. Le précédent de la fiscalité sur le rhum est là pour nous rappeler que c’est seulement en étant unis que nous pouvons gagner des combats.
Monsieur le sénateur, vos développements sur la nécessaire ouverture de nos régions outre-mer sur leur environnement sont naturellement frappés au coin du bon sens.
Comme certains d’entre vous le savent, une exposition intitulée « Les outre-mer : territoires d’excellence » se tient actuellement dans les salons du ministère des outre-mer. Onze entreprises y présentent des produits innovants qui démontrent un savoir-faire, souvent ignoré, dans des domaines très variés, tels que les cosmétiques, les biotechnologies, l’aquaculture, les chantiers navals, la cartographie, l’utilisation des fibres végétales, l’agroalimentaire.
Pour trouver des débouchés à ces entreprises, il faut élargir leurs marchés. Les nôtres sont souvent trop étroits. La priorité est donc de réussir l’insertion régionale, mais il faut procéder avec méthode et selon le principe de la réciprocité.
Exporter ne s’improvise pas, et il faut maîtriser toute une mécanique commerciale pour le faire de manière durable. Un apprentissage est nécessaire, or quoi de mieux que d’apprendre avec ses voisins ? Il est bien de se lancer à la conquête du marché caribéen, mais je pense que nous serions plus forts pour le faire si nous réussissions d’abord à créer un véritable marché unique antillais ou – pourquoi pas ? – antillo-guyanais. Les échanges économiques dans l’océan Indien avec l’Afrique du Sud, Madagascar ou le Mozambique sont l’avenir de la Réunion, mais sommes-nous déjà capables d’augmenter d’abord les échanges entre la Réunion et Mayotte ? Cet apprentissage achevé, ce savoir-faire commercial acquis, il faudra aussi penser à la grande exportation, pour ceux qui le pourront.
Je voudrais également insister sur la question des services. Les outre-mer sont des morceaux de France, et donc d’Europe, dans l’océan Indien, l’océan Pacifique ou l’océan Atlantique. Ils sont pour la plupart d’entre eux des morceaux d’économies développées – ce terme de « morceaux » a soulevé bien des polémiques lorsque nous étions plus jeunes – entourés de voisins qui, souvent, le sont moins. Ils offrent donc des services dans certains secteurs demandant de hauts niveaux de compétences et des infrastructures publiques efficaces. Cet atout doit être valorisé.
J’illustrerai mon propos par quelques exemples. J’ai organisé au mois de mai dernier, avec ma collègue Fleur Pellerin, une journée du numérique en outre-mer, dans le but de donner une information précise aux collectivités et aux opérateurs sur la politique du Gouvernement et de mobiliser les énergies sur les projets nouveaux, tel le plan « très haut débit », dans lequel l’État investit beaucoup d’argent.
J’ai reçu la semaine dernière le directeur de la mission « très haut débit », qui m’a fait un tableau complet de l’avancement des projets. Les choses progressent et, si elles maintiennent le rythme, les collectivités d’outre-mer peuvent devenir des territoires d’excellence numérique, ce qui les aidera à mieux surmonter les handicaps de l’insularité et de l’éloignement. Le rétrécissement du monde que provoque le développement des échanges numériques en ligne est une aubaine pour nos territoires.
Le ministère des outre-mer accueillera, le 6 mars prochain, la réunion du comité consultatif « France très haut débit », qui examinera les projets de quatre départements d’outre-mer. J’espère que des avis favorables seront donnés et que les fonds d’État seront débloqués pour mettre en œuvre ces projets. J’espère aussi que le projet guyanais sera présenté prochainement et que ce département rejoindra le groupe de tête rapidement.
Enfin, le Gouvernement a annoncé, par la voie d’un communiqué commun avec l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, le lancement de la sélection des candidats pour les licences mobiles 4G en outre-mer.
Depuis la journée du numérique en outre-mer que j’avais organisée avec Fleur Pellerin, nous avons, en huit mois, bien travaillé. Des dossiers majeurs sont entrés dans une phase opérationnelle pour préparer l’avenir de nos territoires.
La transition énergétique en outre-mer est un autre sujet crucial, qui a été évoqué par tous.
À la différence de l’Hexagone, qui bénéficie de la production nucléaire nationale, les outre-mer sont très dépendants des énergies fossiles. Ils doivent donc passer du pétrole aux énergies renouvelables.
Or, en ce domaine, nous sommes riches. Énergie solaire, éolien, géothermie, énergie thermique des mers, biomasse : une large palette de technologies est utilisable en outre-mer, même si certaines ne sont pas encore matures et doivent passer par une phase d’expérimentation. Avec la biodiversité, cette transition énergétique sera un de nos atouts à long terme, y compris pour relancer le tourisme.
Une fois le savoir-faire acquis, une fois que nos entreprises auront une vitrine technologique à valoriser, elles pourront exporter ces compétences dans des pays comparables, notamment insulaires. Il faut donc en faire un de nos axes de développement et de compétitivité.
Le Président de la République et le Premier ministre ont fait de la transition énergétique un enjeu essentiel pour les outre-mer. Celle-ci est en conséquence au cœur de l’action du ministère pour cette année 2014.