J’avais prévu de répondre précisément à chacun, mais j’abrégerai donc mon propos.
Monsieur Frogier, en tant que signataire historique de l’accord de Nouméa, vous m’interrogez sur la préparation des élections provinciales qui auront lieu le 11 mai prochain.
Vous le savez, l’État a un rôle essentiel dans la mise en œuvre de l’accord de Nouméa de 1998. Au même titre que les indépendantistes ou les non-indépendantistes, il en est signataire, il en est garant.
J’ai toujours dit – et le Premier ministre l’a dit aussi lors du congrès, en juillet dernier – que l’État était un partenaire à part entière, neutre mais pas inactif, un partenaire engagé pour la réussite du processus de l’accord de Nouméa, mais un partenaire attentif aux aspirations de l’ensemble des communautés qui composent la Nouvelle-Calédonie d’aujourd’hui, et respectueux des opinions de tous.
L’année 2014 est cruciale pour le destin de la Nouvelle-Calédonie. C’est en effet le congrès issu des élections provinciales du 11 mai prochain qui aura la faculté de demander à l’État, à la majorité des trois cinquièmes, d’organiser la consultation prévue par l’accord de Nouméa. Je rappelle ce que le Premier ministre avait déclaré le 26 juillet à Nouméa devant le congrès : sauf à ce qu’une solution réunisse l’ensemble des forces calédoniennes, la question de l’accès de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté sera posée, et la consultation prévue se tiendra au plus tard en 2018, dans les termes prévus par l’accord de Nouméa.
Vous appelez mon attention et celle du Gouvernement sur le processus de révision des listes électorales spéciales, qui débutera lundi prochain. À l’aune des enjeux des prochaines élections provinciales, ce processus est, nous sommes d’accord sur ce point, particulièrement important. Comme vous le soulignez, les dispositions qui fixent les conditions d’inscription sur la liste électorale spéciale et celles qui précisent les modalités de révision de celle-ci figurent non seulement aux articles 188 et 189 de la loi organique du 19 mars 1999, mais aussi dans le code électoral.
Comme la révision de la liste électorale générale de droit commun, la révision annuelle de la liste électorale spéciale est faite non par les services de l’État en Nouvelle-Calédonie, mais par une commission spécialisée mise en place dans chaque bureau de vote. Au-delà des garanties prévues par le droit commun électoral, des garanties supplémentaires relatives à la composition de la commission spécialisée sont prévues par la loi organique du 19 mars 1999.
La première garantie tient à la présence, dans chaque bureau de vote, de deux électeurs de la commune désignés sur avis du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. En pratique, ils représentent chacune des deux grandes tendances politiques calédoniennes, non-indépendantiste et indépendantiste. À ce titre, ils peuvent intervenir librement, pour relever les difficultés susceptibles de se poser.
La seconde garantie tient à ce que la présidence de chaque commission est assurée par un magistrat de l’ordre judiciaire, désigné par le Premier président de la Cour de cassation. La voix de chacun des membres de la commission compte, puisque les décisions sont prises à la majorité. La voix prépondérante du président est celle d’un magistrat indépendant du pouvoir politique, conformément aux termes de l’article 189 de la loi organique du 19 mars 1999.
Le Gouvernement est particulièrement attaché à ce que la révision et la mise à jour de la liste électorale spéciale soient faites en toute transparence, afin que le processus soit insoupçonnable, que les élections se tiennent dans les meilleures conditions possibles et que la légitimité de leur résultat soit reconnue par tous.
L’État veillera à mettre à la disposition des membres des commissions spéciales tous les éléments qu’ils solliciteront afin de leur permettre de mener à bien leur mission. Un effort significatif sera fait tant par les magistrats qui présideront les commissions que par les délégués du haut-commissaire, afin d’informer le plus en amont possible les personnes concernées sur les démarches qu’elles doivent accomplir et sur les pièces qu’elles doivent produire afin d’être inscrites ou maintenues sur la liste électorale spéciale.
J’en viens aux demandes de radiation que vous avez évoquées, monsieur Frogier. Pardonnez-moi d’être long, monsieur le président, mais il faut être précis, car le sujet est délicat.
Il n’est pas illégal de demander la radiation d’électeurs de listes électorales. C’est une pratique courante, et pas seulement en Nouvelle-Calédonie. Comme le Gouvernement l’a toujours indiqué, il n’est pas possible de préjuger du bien-fondé de ces demandes ; je sortirais de mon rôle si, à ce stade, je portais la moindre appréciation à leur sujet.
Les commissions qui se réuniront à partir de la semaine prochaine disposent de tous les moyens pour mener à bien leurs travaux, d’autant que – c’est une spécificité calédonienne – sont membres de ces commissions deux électeurs de la commune, représentant les deux grandes familles politiques. Il n’y a pas d’automaticité dans la radiation – ni dans l’inscription, d’ailleurs –, et chaque membre de la commission, mais aussi chaque électeur concerné, est à même de présenter ses observations et, si nécessaire, les justificatifs requis.
Les décisions de la commission seront susceptibles d’un recours gracieux et d’un recours contentieux, avec possibilité de pourvoi en cassation.
L’État a-t-il une position à imposer ? Les commissions mènent leurs travaux en toute indépendance, sous le contrôle du juge. Le juge judiciaire est compétent ; c’est donc la Cour de cassation qui, en dernier ressort, tranchera les conflits qui surgiront à propos des inscriptions pour les prochaines élections au congrès de la Nouvelle-Calédonie. Les arrêts des cours suprêmes sont par construction constitutionnels. En outre, en cette matière, l’accord de Nouméa s’applique en Nouvelle-Calédonie comme une Constitution.
Comme je vous l’ai déjà indiqué, je me garderai bien de donner un avis personnel. Cela n’aurait aucun sens et méconnaîtrait les principes mêmes de l’accord de Nouméa. Le législateur peut limiter le droit de voter dans les limites constitutionnelles, c’est-à-dire, en Nouvelle-Calédonie, celles qui sont fixées par l’accord de Nouméa, mais ce sont les juges qui auront le dernier mot, car le droit de voter est une liberté fondamentale.
Sur la question du corps électoral restreint, vous pouvez avoir l’assurance que le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie œuvrera pour que l’application des règles de révision des listes électorales soit strictement conforme à l’intention des signataires de l’accord de Nouméa ; le Premier ministre l’a encore rappelé hier.
Vous vous interrogez sur la mission du comité spécial de la décolonisation en Nouvelle-Calédonie. M. Roch Wamytan s’est rendu à New York au mois de janvier. Il y a rencontré le président du comité spécial de la décolonisation, ainsi que le représentant de la France auprès de l’ONU. Il a sollicité la venue d’une mission du comité spécial de la décolonisation pendant la période de révision des listes électorales. Le président de cette instance s’y est déclaré favorable.
Le Gouvernement ne voit aucune objection à la venue d’une mission de travail du comité spécial de la décolonisation début mars, afin de poursuivre le dialogue avec cette instance et les explications sur les conditions de révision des listes électorales spéciales pour le scrutin des élections provinciales de mai prochain. J’ai déjà eu l’occasion de vous le dire personnellement, mais je le redis devant la représentation nationale : il s’agit bien d’une mission de travail, et certainement pas d’une mission d’observation électorale ou d’une mission de supervision ou de contrôle. Tel est bien d’ailleurs le sens que donne à cette mission le président du comité spécial de la décolonisation.
Vous le savez, la France a une tradition de collaboration avec le comité spécial de la décolonisation au sujet de la Nouvelle-Calédonie ; cette visite s’inscrit dans ce cadre. Je veux l’affirmer avec la plus grande solennité à l’intention de tous mes compatriotes calédoniens : non, il n’y a pas de soupçon qui pèse sur vous qui travaillez à la révision des listes, pas plus ici qu’à New York ; non, vous n’êtes l’objet d’aucune vindicte.
L’État français et le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie travaillent avec l’ONU depuis de nombreuses années. Il n’y a là rien d’exceptionnel, et tous, au sein du comité des vingt-quatre, se félicitent du travail mené par la France et par tous les Calédoniens depuis vingt-cinq ans.
S’agissant de la proposition de loi constitutionnelle que vous souhaitez présenter, vous savez que l’arithmétique politique ne lui permettrait pas de prospérer. Pour organiser une réunion exceptionnelle du comité des signataires, il faudrait avoir l’accord de toutes les parties ; une telle réunion ne pourra donc pas se tenir.
Comme l’a fait le Premier ministre hier à l’Assemblée nationale, j’en appelle au sens des responsabilités de chacun. Nous devons tous peser nos mots et y réfléchir à plusieurs fois avant d’engager une action. Le processus électoral doit se dérouler dans les meilleures conditions, afin que l’on ne puisse douter du sens du vote. Aucun soupçon ne doit être possible.
Pour conclure, j’ai entendu les interpellations des orateurs sur la vie chère. Notre priorité, c’est d'abord le développement économique, l’emploi et la défense du pouvoir d'achat. Nous luttons contre tous les lobbies. Il faut du courage politique pour s’attaquer à ce lourd dossier. Le Gouvernement n’a pas cédé ; nous avons prélevé 27 millions d'euros : 23 millions aux Caraïbes et 4 millions à Mayotte. À la Réunion, les conséquences de la mise en œuvre de l’article 1er de la loi relative à la régulation outre-mer se feront sentir d’ici au mois de mai.
Il ne s’agit pas d’être dithyrambique, mais nous avons changé de paradigme. Aidez-nous, notamment lors du prochain débat sur le plan d’action pour la croissance, le développement et l’emploi dans les économies ultramarines, à faire prospérer cette ambition, qui rejoint celle qu’a évoquée M. Cointat. §