Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le groupe UDI-UC d’avoir demandé l’inscription de ce débat à notre ordre du jour.
Permettez-moi de débuter mon propos par une citation : « Le taux de centralisation des dépôts collectés au titre du livret A et du livret de développement durable est fixé de manière à ce que les ressources centralisées sur ces livrets dans le fonds prévu à l’article L. 221-7 soient au moins égales au montant des prêts consentis au bénéfice du logement social et de la politique de la ville par la Caisse des dépôts et consignations au titre de ce même fonds, affecté d’un coefficient multiplicateur égal à 1, 25. […]
« Les ressources collectées par les établissements distribuant le livret A ou le livret de développement durable non centralisées en application des alinéas précédents sont employées par ces établissements au financement des petites et moyennes entreprises, notamment pour leur création et leur développement, ainsi qu’au financement des travaux d’économie d’énergie dans les bâtiments anciens. […] Les établissements distribuant le livret A ou le livret de développement durable rendent public annuellement un rapport présentant l’emploi des ressources collectées au titre de ces deux livrets et non centralisées. »
Dans ces extraits du code monétaire et financier se retrouve, à notre avis, le fond de notre débat de ce jour.
Je compléterai cette introduction en rappelant que, dans son programme présidentiel, le candidat François Hollande avait, entre autres mesures, annoncé le doublement du plafond du livret de développement durable, garanti une rémunération du livret A supérieure à l’inflation et annoncé, pour favoriser la construction de logements sociaux, le doublement de son plafond.
Au point où nous en sommes, rappelons donc que le taux de rémunération du livret A est aujourd’hui de 1, 25 % et que son plafond n’a pas été doublé, mais n’a été porté qu’à 22 950 euros, au lieu de 15 300 euros au printemps de 2012. À la vérité, le Gouvernement semble bel et bien avoir changé son fusil d’épaule en matière d’épargne populaire, puisque la baisse de la rémunération des livrets défiscalisés, issue de la formule de calcul « Raffarin », a provoqué une relative décollecte ces derniers temps.
Mais le magot du livret A, comme celui du LDD ou des autres formules de livrets défiscalisés, continue d’intéresser au plus haut point les banquiers qui, en 2008, sur l’initiative d’établissements comme le Crédit agricole et sous la houlette de Christine Lagarde, ont combattu le « monopole » de distribution des caisses d’épargne et de La Poste, afin de pouvoir proposer, eux aussi, un équivalent du livret A.
Le livret A est devenu le produit d’appel des services financiers de BNP Paribas, de HSBC, de la Société générale et de l’ensemble de ces établissements « philanthropiques » dont la pingrerie, lorsqu’il s’agit de financer les petites et moyennes entreprises, n’a d’égale que la propension naturelle à développer des produits dérivés spéculatifs ! Il faut dire que les sommes attirent la convoitise : à la fin de janvier 2014, l’encours global atteint 267, 8 milliards d’euros pour le livret A et 101, 6 milliards d’euros pour le livret de développement durable.
Nous connaissons une partie des critiques formulées à l’encontre de cette épargne qui ne serait pas « vraiment » populaire, au sens où une minorité de détenteurs de livrets seraient « au plafond » et cumuleraient l’essentiel de l’encours. Il faut dire que, avec 63, 3 millions de livrets A et 24, 6 millions de LDD, les Français dépourvus de ce placement financier sont assez peu nombreux…
Mais comment ne pas souligner que cette ressource financière qui échappe à toute imposition ou contribution sociale – c’est une affaire d’un coût unitaire limité : 8, 20 euros par an en moyenne pour le livret A et 9, 15 euros pour le LDD, ce qui ne les apparente guère à des niches fiscales excessives –, relève d’un autre usage que certains autres dispositifs incitatifs que nous connaissons ?
Le détenteur d’un livret A dont l’encours atteint le plafond touchera en 2014 moins de 290 euros d’intérêts… Rien à voir, bien évidemment, avec les dispositifs incitant à l’investissement immobilier – voyez ce que nous a coûté le Scellier au regard de la crise du logement dans notre pays ! – et rien à voir avec, par exemple, le dispositif ISF-PME, dont le coût, pour les finances publiques et le bonheur des 40 000 contribuables concernés, est double de celui de l’exonération des intérêts du LDD pour 24, 6 millions de livrets ! Pour les uns, c’est 9, 15 euros d’exonération par livret, et pour les autres, c’est 11 000 euros de réduction d’impôt !
Le problème du devenir de l’épargne populaire est donc éminemment politique. Le Gouvernement, alors même que les politiques d’austérité à l’œuvre en Europe conduisent désormais à la déflation – à force de comprimer les salaires, on finit par faire baisser les coûts de production –, ne peut se permettre de réduire encore le taux de rémunération du livret A.
Il va falloir aussi s’expliquer sur l’usage de la collecte. Nos petites et moyennes entreprises ont des difficultés d’accès au crédit, que quelques rêveurs pensent résoudre en permettant aux plus « performantes » d’entre elles d’accéder aux marchés financiers, alors même que la cotation en bourse est d’un coût encore plus élevé !
Des centaines de milliers de nos compatriotes sont mal logés, privés de logement ou résident dans des gourbis insalubres, portant atteinte à la dignité humaine et à la décence la plus élémentaire !
Nous devons, dans le même temps, mener des politiques audacieuses et déterminées de transition énergétique et écologique, développer, en particulier, une offre de transports alternatifs à l’automobile.
Or, aujourd’hui, le Gouvernement laisse les plus récents collecteurs du livret A – les banques privées, pour aller vite – disposer à leur guise de la collecte réalisée en abaissant le niveau de la centralisation de l’encours, une centralisation que les deux réseaux historiques de La Poste et des caisses d’épargne continuent d’assumer pour l’essentiel, fidèles en cela à leurs missions de service public et d’intérêt général.
Le 30 juillet 2013, M. le ministre des finances, qui s’était déjà illustré en apportant la garantie de l’État à PSA Banque pour 10 milliards d’euros et, plus récemment, en facilitant l’entrée de l’État dans le capital du groupe automobile, a signé un décret laissant à la disposition des banques privées 20 milliards d’euros issus de la collecte du livret A et du LDD, et rien de moins que 10 milliards d’euros provenant de la collecte du livret d’épargne populaire. À quoi bon créer une Banque publique d’investissement si, parallèlement, on rend aux aventuriers de la finance rien de moins que 30 milliards d’euros !
Qu’il semble bien loin le temps où les parlementaires socialistes des deux assemblées cosignaient et défendaient des amendements pour assurer la centralisation des encours du livret A et l’utilisation de sa collecte en faveur du logement social ! Pour donner une chance à l’épargne populaire, la solution serait peut-être, mes chers collègues, de revenir sur ce décret passé évidemment inaperçu dans la tiédeur de l’été dernier… Encore une fois, les besoins sont immenses et nous devons mobiliser les outils nécessaires pour y répondre. Or ces outils, nous les avons, nos compatriotes demeurant attachés et fidèles à cette forme d’épargne presque bicentenaire : alors pourquoi s’en priver ? Entre la finance sans limites et la satisfaction des besoins collectifs, je le dis haut et fort, il va bien falloir choisir ! §