Intervention de Daniel Béhar

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 25 février 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Daniel Béhar géographe

Daniel Béhar :

Je ne pense pas qu'elles doivent pouvoir légiférer, mais on pourrait imaginer un pouvoir réglementaire. Si l'on prend le développement économique, on dit qu'il s'agit d'une compétence de la région - c'est d'ailleurs ce qui ressort des premières négociations sur le futur projet de loi. Mais les agglomérations interviennent également ; concrètement, tout le monde intervient.

Pour revenir à la question des inégalités territoriales, elle est englobée dans une question beaucoup plus complexe : celle des contradictions territoriales. Aujourd'hui, lorsqu'une collectivité fait du développement, elle ne fait pas de la cohésion ou du développement durable. Ce qu'il faut traiter, ce sont les interfaces entre les politiques sectorielles. Chaque niveau doit être capable de travailler sur ces interfaces. Il ne faut donc pas de spécialisation des compétences. En revanche, ce qui est nécessaire, c'est d'avoir une différenciation des rôles politiques. En matière de développement économique, il est évident que la région a un rôle en ce qui concerne les pôles de compétitivité, par exemple, mais les agglomérations agissent sur la maîtrise d'ouvrage des projets... Plutôt que de réfléchir compétence par compétence, il serait plus opportun de penser à une distinction des fonctions politiques par niveau. Ce que j'appelle l'inter-territorialité, la composition, est l'identification d'une fonction politique régionale qui distingue cette collectivité de l'agglomération.

Je pense que globalement nous avons fait notre décentralisation sous forme de « des centralisations », consistant idéalement à reproduire le modèle étatique au niveau local. Or, après trente ans de ce modèle, il est nécessaire de repenser l'architecture des pouvoirs locaux en sortant du modèle étatique. Nous avons en France un modèle « étatico-communal ». La commune est l'Etat en modèle réduit, un modèle politique globale, holiste. Et, entre les deux, tous les niveaux intermédiaires cherchent à reproduire ce modèle. Pour tenter de trouver un modus vivendi, on a mis en place un taylorisme territorial : l'un s'occupe des collèges, l'autre des lycées. Il faut essayer de penser autrement. Cela se fait sans se dire entre la commune et l'intercommunalité.

En 1982, la décentralisation a également transposé le modèle étatique dans la construction des politiques publiques, en s'appuyant sur le modèle de la redistribution. Tout le monde a le même mandat politique : prélever sur les plus riches pour redistribuer aux plus pauvres via l'impôt. Mais le modèle de la redistribution ne fonctionne qu'à très grande échelle et dans des territoires fermés, en circuit fermé. Or, le niveau local est beaucoup plus globalisé que le niveau national. Ainsi, si le modèle dunkerquois a fonctionné pendant un temps, c'est qu'il était en circuit fermé : il attirait de la richesse en permettant l'implantation d'usines « Seveso », ce qui permettait une fiscalité élevée et, ainsi, le financement de beaucoup de politiques sociales. Ce modèle fuit aujourd'hui de toute part. Ainsi, lorsque vous développez de la richesse sur Dunkerque, ce sont aussi des salariés venant de Lille qui en profitent. En outre, la population vieillit et peut quitter Dunkerque une fois à la retraite. La redistribution publique au niveau local court après ces flux et interdépendances. Nous devons changer de paradigme. La redistribution est l'affaire de l'État, et l'action publique territoriale a une autre vocation politique qui est ce que j'appelle la régulation, la régulation des flux. Ainsi, en Ile-de-France, on souhaite faire des politiques de l'habitat en partant des besoins locaux. Mais quelle est la signification de la notion de besoins locaux en matière d'habitat dans une métropole ? Ce lieu ne représente, pour beaucoup de gens, qu'une étape dans leur trajectoire éducative ou professionnelle.

Sur le plan des politiques publiques comme sur le plan institutionnel, il faut sortir de ces « des centralisations » et penser l'action publique territoriale comme un modèle spécifique qui n'est pas un décalque de l'action publique d'État.

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