Intervention de François Testu

Mission commune d'information sur les rythmes scolaires — Réunion du 12 février 2014 : 1ère réunion
Audition de M. François Testu chronopsychologue

François Testu, chronopsychologue :

J'aborderai la question sous l'angle scientifique, en précisant tout de suite que je suis chronopsychologue, non chronobiologiste. Je vous donnerai quelques pistes sur l'aménagement du temps scolaire. Je suis agréablement surpris que cette question devienne centrale en matière d'éducation. On l'est forcément lorsqu'on a cherché, pendant trente ans, et qu'on est arrivé à certains résultats - eh oui, les chercheurs trouvent parfois - des résultats qui ont connu déjà une certaine application. La question des rythmes scolaires a fait l'objet de débats nombreux. Les auditions tous azimuts auxquelles vous procédez ne manqueront pas de vous donner un panorama très complet. C'est un débat récurrent, mais qui restait jusqu'à présent au stade du débat. J'ai apporté le rapport du professeur Robert Debré et de Daniel Douady sur « La fatigue des écoliers dans le système scolaire français ». Il date de 1962, il est plein de bon sens et de bonnes préconisations. Si nos prédécesseurs l'avaient lu et en avaient tiré les conclusions qui s'imposaient, nous ne serions pas là aujourd'hui. Ce n'est pas le seul rapport pertinent, je pense notamment à celui rédigé par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale ou à ceux commandés par les différents ministres.

Il n'y a pas de solution idéale en fait d'aménagement du temps scolaire. Il s'agit de trouver le moins mauvais des compromis entre le respect du développement des élèves et de leur santé, tout en sachant qu'un élève est aussi l'enfant de ses parents, le participant à des activités extrascolaires, mais aussi un enfant qui voudrait bien, de temps en temps, être tranquille avec ses copains. La question évolue avec la société. L'aménagement du temps scolaire implique celui du temps périscolaire. Si on me demande ce que je pense de la réforme, je réponds que j'en pense du bien. Mais si vous libérez du temps, si vous dé-densifiez la journée, il faut savoir par quoi vous remplacez le temps scolaire.

Un premier axe a été très problématique par le passé : le respect du rythme de vie de l'enfant. J'ai connu des batailles de chiffonniers entre partisans du samedi ou du mercredi, partisans des semaines de quatre jours ou de quatre jours et demi. Le deuxième axe, qui pose plus de problèmes aujourd'hui, est la reconnaissance et l'organisation des activités complémentaires éducatives. Il faut tenir compte des travaux qui relèvent de la chronobiologie - soit l'étude des rythmes biologiques durables - et de la chronopsychologie - soit l'examen selon une méthode expérimentale des variations périodiques comportementales, dont je m'honore, - après mon maître Paul Fraisse, le père de la psychologie expérimentale -, d'être l'un des artisans. La chronopsychologie cherche à connaître les rythmes de vie des jeunes et les conséquences de tel ou tel aménagement sur leurs comportements à l'école et en dehors de l'école.

La notion de rythmes scolaire est ambiguë. Il s'agit, d'une part, des calendriers, des emplois du temps, des vacances, d'autre part, des variations périodiques - biologiques comme psychologiques - propres à l'enfant en milieu scolaire. Le jeune vit avec ses propres rythmes, dans un environnement rythmé par d'autres.

Les résultats que je vous présente s'appuient sur l'observation de 40 000 jeunes, au fil du temps, avec une méthode statistique contrôlée. Trois rythmes doivent être respectés en priorité, même si je pourrais vous en donner d'autres. D'abord, le sommeil. Si un jeune manque de sommeil régulièrement, qu'il s'agisse de la sieste ou du sommeil nocturne, il aura un comportement inadapté, que ce soit en classe (inattention, agacement, apathie) ou en dehors de l'école. Il existe une grande inégalité des enfants devant le sommeil. Certains, à trois ans, n'ont plus besoin de faire la sieste - on les appelle les « petits dormeurs de sieste » - alors que d'autres en auront encore besoin à soixante ans... Certains, rares, éprouvent le besoin d'aller rapidement au lit le soir. Grands ou petits dormeurs, l'important est de trouver la moins mauvaise des solutions, ce qui n'est pas facile pour les parents. S'ils rentrent tard, ils n'ont qu'une hâte, c'est de laver, nourrir, et coucher l'enfant avec, dans le meilleur des cas, une petite comptine, dans le pire, la télévision dans la chambre, pour l'endormir plus vite. C'est aussi difficile à l'école, à cause de plusieurs freins, parfois matériels, comme le manque de locaux ou de personnel, ou l'état d'esprit. Il n'est pas dans l'air du temps de dormir. Voyez ce qui se passe à la maternelle, avec les cahiers de compétence. Parents, enseignants, inspecteurs se préoccupent surtout des prérequis à assimiler. C'est important, oui, mais les enfants de trois ans ne préparent ni l'ENA ni Centrale ! Certains parents se demandent si leur enfant saura lire en fin d'année, ce qui n'est pas l'objectif de la maternelle !

Plusieurs travaux ont fait le lien entre les progrès cognitifs et le sommeil. Les enfants de trois à six ans qui dorment moins de 10 heures risquent d'avoir de faibles performances scolaires à six ans. Si l'on augmente leur temps de sommeil, on constate une amélioration du comportement et des résultats scolaires. L'absence de rythme de coucher régulier est liée statistiquement à des scores cognitifs moins élevés. Il faut donc, sans les contraindre, donner aux enfants la possibilité de dormir. Le sommeil ne garantit pas un bon apprentissage, mais il permet la récupération de la fatigue physique, voire mentale et peut-être la consolidation cognitive, même si ce n'est pas démontré. Cela est aussi vrai pour le secondaire. Les gaillards et les gaillardes de troisième sont parfois sujets à la somnolence l'après-midi, surtout s'ils ont fini leurs devoirs à la maison tard le soir.

Il faut ensuite tenir compte des variations journalières de la vigilance et de l'activité intellectuelle. Il y a des temps forts et des temps faibles dans la journée. Les temps forts sont les fins de matinée et, pour les élèves les plus âgés de l'école primaire, les fins d'après-midi. Il faut en tenir compte pour placer dans l'emploi du temps les activités complémentaires, qui ne sont pas des apprentissages de base. Ces différentes phases ont été mises en évidence par des tests psychotechniques réguliers, qui concordent avec la chronobiologie. Nous avons une chance sur 100 ou 1 000 de nous tromper en affirmant que l'échantillon statistique est représentatif. J'ai été très fier lorsque j'ai mis en évidence cette courbe. Hélas, d'autres m'avaient précédé en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis et en France, au laboratoire de psychologie expérimentale de Rennes. Ce n'est pas seulement une courbe biologique, mais aussi une courbe psychologique. En classe, pour résoudre un problème de proportionnalité, 85 % des élèves, en fin de matinée, utilisent la méthode canonique qu'on leur a apprise et non la règle de trois, alors qu'ils ne sont que 70 % en début de matinée. Des observations, à partir d'indicateurs d'éveil ou de non-éveil, permettent aussi d'identifier des moments forts et faibles, qui recoupent les conclusions précédentes.

On retrouve cette courbe tant en Europe qu'ailleurs - en Algérie, par exemple, où je travaille en ce moment - et dans toutes les configurations d'aménagement du temps. Toutes, sauf dans une : la courbe s'aplatit lorsque les écoliers ont une semaine de quatre jours et pas d'accompagnement par des activités périscolaires. Leurs performances sont alors nettement inférieures. S'il y a un accompagnement, en revanche, le niveau ne baisse pas, mais la courbe ne se rétablit pas.

La courbe évolue avec l'âge. Celle des élèves de maternelle et celle des élèves de CM1 sont très différentes. Aussi, l'une des premières mesures à prendre pour ajuster la réforme serait donc de tenir compte davantage de l'âge, comme cela se fait à Paris, où les parents ont poussé en ce sens.

La troisième variable à prendre en compte est celle des périodes annuelles de faible résistance. Les vacances de la Toussaint devraient durer deux semaines : une pour oublier l'emploi du temps scolaire et ne plus entendre le réveil sonner alors qu'il ne sonne pas, et la deuxième pour bien se sentir dans ses pantoufles de vacancier. C'est d'autant plus important que le premier trimestre est affreusement long et que les études épidémiologiques montrent que la fin octobre et le début novembre sont difficiles à vivre. Quand la semaine de quatre jours a été instaurée, la rentrée scolaire, en compensation, a été avancée à fin août ! Si le législateur voulait raccourcir les grandes vacances, il ne faudrait certainement pas le faire en abrégeant leur durée en août et septembre.

Que peut-on tirer des recherches en laboratoire et sur le terrain ? Les élèves qui présentent les plus belles fluctuations - c'est le chercheur qui parle... - sont ceux qui ne maîtrisent pas ce qu'il faut faire. Ceux qui savent, savent à toute heure. Des enfants de zone d'éducation prioritaire de Bourges ont été comparés avec des enfants de quartiers tranquilles. En début d'année, ils montraient plus de dysfonctionnements liés au rythme. Puis, la municipalité a mis en place, deux fois par semaine, l'après-midi, des ateliers ouverts où intervenaient des animateurs et des enseignants. En fin d'année, les anomalies avaient disparu. J'ai été président national de « La Jeunesse au plein air » : les loisirs des enfants, c'est important.

La variation dépend du niveau scolaire des élèves, des conditions motivantes ou non, et du stade d'apprentissage. Si la semaine de quatre jours n'est pas accompagnée d'activités, la courbe est inversée, symptomatique d'une désynchronisation et d'une baisse de résultats. Si, comme à Rennes, vous accompagnez la semaine de quatre jours d'activités complémentaires, vous retrouvez des niveaux similaires à ceux obtenus dans le cadre d'un autre rythme, mais vous ne retrouvez pas la courbe classique. Les emplois du temps que nous proposons vont dans le sens du respect des rythmes de l'enfant.

Si vous laissez du temps aux enfants, ils ont plusieurs possibilités. Aujourd'hui, en France, 7 % des enfants regardent la télévision plus de deux heures et demie les jours d'école et 12 % d'entre eux, plus de trois heures. Cela est largement en dessous de la moyenne européenne. En Espagne, c'est 17 % et 19 % ; en Allemagne, alors qu'on porte aux nues le « modèle allemand », 17 % et 27 %, parce que l'on ne propose plus guère d'activités. Au Royaume-Uni, c'est 50 % et 9 %.

Mes recommandations sont les suivantes : alléger la journée scolaire d'abord, ou plutôt la dé-densifier, car il faut faire le distinguo entre activités purement scolaires et activités complémentaires ; respecter ensuite, prioritairement, les heures et les jours de meilleures performances, sachant que le lundi est peu favorable, et même le mardi matin, en cas d'un week-end de deux jours, sauf si les enfants ont une vie très régulière ; respecter l'alternance entre sept semaines de classe et deux semaines de vacances, essentielles pour déshabituer les élèves du stress ; éviter la semaine de quatre jours ; créer ou développer les structures et activités complémentaires ; garantir la vie la plus régulière possible aux enfants, si possible un long fleuve tranquille.

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