Intervention de Manuel Valls

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 novembre 2013 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2014 — Mission « sécurité » et mission « immigration et asile » - Audition de M. Manuel Valls ministre de l'intérieur

Manuel Valls, ministre de l'intérieur :

Je viens aujourd'hui vous présenter deux des programmes budgétaires dont j'ai la responsabilité et qui touchent directement aux compétences de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Il s'agit des budgets de la Gendarmerie nationale et de celui de l'asile.

Vous m'invitez, Monsieur le Président, à évoquer avec vous de façon un peu plus générale les politiques de sécurité et d'asile. Je réponds volontiers à cette invitation : c'est toute l'utilité d'une audition comme celle-ci. En vous présentant ces budgets, je souhaite donc surtout souligner devant vous quelles sont les priorités du gouvernement et les moyens qu'il entend y consacrer.

Quelques mots donc sur la politique de sécurité. En introduction, vous avez évoqué les zones de sécurité prioritaires (ZSP). La création de ces zones de sécurité prioritaires figurait parmi les engagements du Président de la République, afin de lutter contre la spirale de l'insécurité quotidienne et l'enracinement de la délinquance dans certains territoires où la délinquance est enracinée ; en ville, bien sûr, mais aussi dans certains territoires ruraux.

Cet engagement a été tenu avec la création de 64 ZSP. Parmi elles, 14 ont été mises en place en zone de compétence exclusive de la gendarmerie ou au sein de zones relevant pour partie de la police et de la gendarmerie nationales. J'annoncerai dans les prochains jours une courte liste de nouvelles zones. A terme, il devrait y avoir une centaine de ZSP sur le territoire.

La mise en place des ZSP a apporté des changements profonds. Car pour faire reculer durablement la délinquance, il faut s'y attaquer en profondeur et cela nécessite de revoir nos méthodes.

La coordination des forces de sécurité intérieure a été renforcée. Favoriser les échanges d'information, constituer des équipes communes, décloisonner les pratiques : il s'agit d'une évolution majeure !

La mise en place des ZSP a également permis de rendre le partenariat entre les forces de l'ordre et les acteurs locaux plus opérationnel en le portant sur des objectifs précis : lutte contre les atteintes aux biens, à la tranquillité publique, prévention de la récidive.

Les premiers résultats obtenus dans les ZSP ne sont pas le fruit du hasard. Ainsi, les atteintes aux biens sont en baisse, de près de 800 faits (soit une baisse de 6,2%), sur les 10 premiers mois de l'année 2013 par rapport aux 10 premiers mois de 2012 sur l'ensemble des communes de la zone gendarmerie concernées par les ZSP. Je m'en félicite mais je me garde de tout triomphalisme. En matière de sécurité, de lutte contre la délinquance, contre les trafics, seuls la persévérance, la mobilisation, l'engagement font que l'on parvient à l'objectif fixé.

Vous avez également évoqué, Monsieur le Président, la thématique des cambriolages. Vous le savez, je suis particulièrement attaché à la lutte contre ce phénomène. Les cambriolages sont vécus comme un véritable traumatisme par nos concitoyens. Un cambriolage, c'est une atteinte insupportable à l'intimité du foyer.

Au plan national, cela fait cinq ans que le nombre des cambriolages ne cesse d'augmenter : une hausse de 18% de 2007 à 2012, dont +44% pour les résidences principales. Même si nous sommes encore loin des niveaux enregistrés en 2002 et 2003, la tendance doit absolument être inversée.

Les vols à main armée sont aussi un sujet de préoccupation, car ils augmentent depuis le début de l'année ; très loin, cependant, de l'explosion observée en 2008 et 2009 avec +34%. Il faut stopper cette tendance dont les commerçants sont les principales victimes. On ne peut pas admettre que des commerçants viennent travailler, chaque jour, avec la peur de se faire braquer.

Lutter contre ces phénomènes, de façon déterminée, résolue, offensive, c'est l'objet du plan national dont j'ai annoncé le lancement le 25 septembre dernier.

Ce plan comporte quatre volets :

- la redéfinition d'une stratégie de police judiciaire ciblée sur les délinquants d'habitude et les filières structurées ;

- l'occupation renforcée de la voie publique ;

- la protection des commerçants ;

- la mobilisation de nos partenaires.

Il s'agit de renouveler les méthodes et la stratégie afin de gagner en efficacité et en réactivité. Aucun effort ne sera épargné pour y parvenir : c'est notre engagement devant les Français.

J'en viens aux aspects plus strictement budgétaires de mon propos. Je connais l'attachement des Sénateurs, et celui des rapporteurs, Messieurs Michel Boutant et Gérard Larcher au premier chef, à la gendarmerie nationale, à son maillage territorial, à l'efficacité de son action, et à sa relation de grande proximité avec les élus locaux. Cet attachement est aussi le mien, vous le savez.

Nos concitoyens ont une attente forte en matière de sécurité. Il faut y répondre. Ce qui implique de disposer de forces de l'ordre en nombre suffisant, respectées et considérées, et enfin, bien équipées.

Des effectifs en nombre suffisants d'abord. Vous le savez, les années 2008-2012 ont été des années de diminution drastique des effectifs : 7 000 suppressions dans la police et 6 700 suppressions dans la gendarmerie nationale.

Vous constatez tous les jours les effets de cette politique : des brigades aux effectifs incomplets, qui, parfois, s'approchent dangereusement du seuil minimal nécessaire pour fonctionner.

Sans changement de politique il y a un an et demi, les effectifs des forces de l'ordre auraient encore diminué de plus de 6 000 postes en 2013 et 2014.

Parce que le Président de la République a fait de la sécurité des Français une priorité, nous avons rompu avec la politique de suppressions d'emplois dans la police et dans la gendarmerie.

En 2013, tous les départs en retraite dans les deux forces ont été remplacés. Il en sera de même en 2014 et 405 fonctionnaires et militaires supplémentaires seront recrutés : 162 dans la gendarmerie, 243 dans la police. Deux tiers de ces recrutements seront constitués de titulaires, contre seulement un quart cette année. Cet effort se poursuivra en 2015, jusqu'à la fin du quinquennat.

Je tiens à souligner cet effort de recrutement dans un contexte de contrainte budgétaire et alors même que la quasi-totalité des ministères voient leurs effectifs baisser.

Les effectifs ne sont pas tout. Nous devons travailler sans cesse sur des réorganisations permettant de gagner en efficacité :

 · Redéploiements territoriaux des zones de compétences entre la police et la gendarmerie : les opérations conduites en septembre dernier sont encourageantes. J'ai pu m'en apercevoir moi-même en me rendant dans le Loir-et-Cher, à Romorantin, et dans le Val d'Oise ;

 · Mutualisation des fonctions de police technique et scientifique de premier niveau : elle est déjà à l'oeuvre dans la Creuse, elle le sera dès le début de l'année prochaine dans trois nouveaux départements ;

 · Réforme du renseignement territorial avec l'association plus étroite de la gendarmerie dans les services départementaux d'information générale (SDIG) ;

 · Réorganisation des fonctions support : le service unique des achats, de l'équipement et de la logistique de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de la sécurité civile, que je vous avais annoncé l'an dernier, sera opérationnel le 1er janvier prochain.

Ces réorganisations doivent nous permettre d'atteindre les objectifs que j'ai assignés aux deux forces : que cela soit dans les zones de sécurité prioritaires, mais plus largement, dans la lutte contre les cambriolages et les vols à main armée.

Les effectifs de la gendarmerie nationale seront donc plus nombreux l'an prochain.

Ils seront également mieux considérés au plan statutaire et indemnitaire. L'année 2014 sera de nouveau une année de nette amélioration de la situation des personnels de l'arme. En effet, le passage à la catégorie B des sous-officiers sera poursuivi, avec une entrée en vigueur de la tranche annuelle le 1er septembre prochain.

Par ailleurs, une indemnité de fonctions et de responsabilité sera versée à 3 000 commandants d'unité, afin de mieux valoriser les fonctions d'encadrement.

Pour ce qui concerne les moyens de fonctionnement, d'équipement et d'investissement, les effets de la RGPP ont été néfastes avec une baisse de 18% aboutissant à :

 · des renouvellements d'équipements reportés d'année en année, notamment pour le parc automobile : la gendarmerie n'a acquis que 300 véhicules en 2012 là où elle aurait dû en renouveler 3 000 ;

 · des investissements, notamment immobiliers, réduits à néant ;

 · des crédits de fonctionnement extrêmement tendus et soumis à la contrainte de plus en plus forte du poids des loyers.

L'année 2013 a permis une première inflexion avec une stabilisation des crédits de fonctionnement et d'investissement. Néanmoins les mesures de régulation budgétaire - les gels et surgels - ont placé la gendarmerie, comme la police, dans une situation difficile.

Cette analyse a été partagée par le Premier ministre et le ministre du budget. 111 millions d'euros ont donc été restitués aux deux forces de l'ordre en cette fin d'année 2013. Cela permettra à la gendarmerie nationale, non seulement d'assurer un fonctionnement normal de ses brigades, de ses escadrons et de l'ensemble des unités, jusqu'au 1er janvier prochain, mais aussi d'acquérir 1 500 véhicules et 10 000 terminaux informatiques non remplacés depuis plus de deux ans.

J'ajoute que pour faire face aux besoins immobiliers les plus pressants, j'ai obtenu un dégel supplémentaire de 10 millions d'euros d'autorisations d'engagement. Elles permettront de réaliser d'ici la fin de l'année, des travaux indispensables dans plus de 200 logements de gendarmes et de leurs familles.

Pour 2014, nous continuons à infléchir la tendance à l'oeuvre depuis 5 ans. Les crédits de fonctionnement et d'investissement progresseront de près de 1% l'an prochain. C'est modeste, j'en conviens, mais cette augmentation doit être appréciée au regard des efforts accomplis par la quasi-totalité des services publics.

J'avais entendu l'an dernier vos inquiétudes concernant la réalisation d'opérations immobilières en partenariat avec les collectivités locales. J'ai donc obtenu de pouvoir inscrire 6 millions d'euros d'autorisations d'engagement nouvelles, ce qui permettra de lancer 41 opérations comportant 439 logements.

Enfin, 10 millions d'euros d'autorisations d'engagement permettront d'engager de nouvelles opérations de restructuration et de maintenance lourde.

J'ai bien conscience de la situation très dégradée du parc immobilier, notamment domanial, de la gendarmerie nationale, et que les efforts que nous pouvons faire sont encore éloignés de besoins réels. Nous devons donc travailler sur des solutions innovantes, notamment en partenariat de long terme avec des opérateurs immobiliers. Nous y travaillons actuellement, et j'aurai l'occasion d'évoquer à nouveau ce point devant vous.

J'en viens aux crédits du programme « immigration, asile et intégration ».

J'évoquerai principalement l'asile, qui fait l'objet du rapport pour avis de Messieurs Alain Néri et Raymond Couderc. Les crédits qui y seront consacrés en 2014 dépasseront 503 millions d'euros soit environ 80% des crédits du programme « immigration et asile » et 0,4% de plus qu'en 2013.

L'asile est un droit constitutionnel, conventionnel, européen, bien sûr. Mais dans notre tradition républicaine, c'est surtout un droit sacré ; l'honneur de la France. Mais notre système d'asile implose : depuis 2007 la demande d'asile augmente en moyenne de 10% chaque année. Avec probablement 68 000 demandes en fin d'année, ce chiffra aura doublé en six ans. Nous le savons, 80% de ces demandes aboutiront à un rejet par l'OFPRA et la CNDA.

Les problèmes de l'asile, nous les connaissons ; et beaucoup d'entre vous les vivent au quotidien dans leur territoire : allongement des délais d'instruction ; concentration des demandeurs d'asile dans certaines régions et villes ; saturation des hébergements par les déboutés non éloignés.

En matière d'asile, ce budget 2014 est un budget de transition, avant la réforme de la politique d'asile, que vous avez évoquée, Monsieur le Président Carrère. Ce budget apporte une première réponse d'urgence avec :

 · un nouveau renforcement de l'OFPRA, à hauteur de 10 emplois, comme en 2013, pour améliorer les délais de traitement des demandes d'asile.

 · le financement de 2 000 nouvelles places en centres d'accueil pour demandeurs d'asile qui ouvriront en avril et en décembre prochains ; cet effort vient amplifier l'action déjà conduite en 2013 qui a vu l'ouverture de 2 000 places de CADA en juillet dernier.

 · Enfin, nous tirons toutes les conséquences du rapport que j'avais demandé, conjointement avec le ministre délégué en charge du budget, à l'IGF et à l'IGA sur la gestion de l'allocation temporaire d'attente (ATA). Déjà 7 millions d'euros de versements indus ont été supprimés au deuxième semestre 2013.

Mais, en dépit des efforts considérables du gouvernement, c'est bien l'ensemble du système qu'il faut réformer.

J'ai lancé en juillet dernier une large concertation en associant les collectivités territoriales, les administrations, le HCR, la CNDA et toutes les associations du champ de l'asile. Deux parlementaires, Mme Valérie Létard et M. Jean-Louis Touraine, me feront des propositions pour refonder la politique de l'asile.

A ce stade, aucun scénario de réforme n'est arrêté mais des sujets incontournables ont d'ores et déjà été identifiés par les parlementaires :

 · Une réduction significative des délais (17 mois en moyenne aujourd'hui, 9 mois en 2015) ;

 · Une détermination dès l'arrivée, de l'éligibilité de la demande d'asile avec un traitement accéléré des demandes dont le fondement est de toute évidence infondé.

 · Un pilotage plus directif des hébergements : des équilibres entre territoires doivent être recherchés. Les demandeurs d'asile doivent être dirigés vers des hébergements en fonction des places disponibles.

 · Une territorialisation plus importante de toute la procédure : un dispositif efficace est un dispositif au plus près des réalités locales.

 · L'éloignement des déboutés du droit d'asile qui engorgent les hébergements.

Voilà, mesdames et messieurs les Sénateurs, les éléments dont je souhaitais vous faire part. J'ai essayé de me borner aux programmes budgétaires pour lesquels vous m'auditionnez aujourd'hui. Mais je sais que nous avons d'autres sujets de discussions, qui intéressent principalement vos compétences en matière de défense. Je pense notamment à la loi de programmation militaire, que vous avez examinée récemment, ou encore à la réforme du renseignement intérieur et du renseignement territorial, que j'ai initiée ces derniers mois.

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