Intervention de Chantal Jouanno

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 octobre 2013 : 1ère réunion
Situation sociale des personnes prostituées — Examen du rapport d'information

Photo de Chantal JouannoChantal Jouanno, rapporteure :

Dans la continuité de ce qu'a dit mon collègue, je précise que notre rapport, effectivement centré sur les aspects sanitaires et sociaux de la prostitution, contient un certain nombre de propositions qui peuvent être mises en oeuvre indépendamment d'une évolution de son cadre légal. Notre démarche est complémentaire de celle ayant présidé à l'élaboration de textes portant sur le volet pénal de la prostitution ; je pense en particulier à la proposition de loi récemment déposée à l'Assemblée nationale.

Venons-en à présent à la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées proprement dite. Nous aborderons tout d'abord le volet sanitaire. La prostitution comporte des risques sanitaires communs à toutes ses formes d'exercice. On en distingue deux catégories : ceux qui découlent directement de l'activité prostitutionnelle et ceux qui résultent des conditions de vie.

Les risques sanitaires inhérents à la pratique de la prostitution, bien que non exclusifs de celle-ci, sont bien connus ; il s'agit principalement du virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et des autres infections sexuellement transmissibles (IST). Les données disponibles, bien que très restreintes, conduisent aux constats suivants :

- les populations prostituées transgenre et homosexuelle sont nettement plus exposées au risque de VIH que la population prostituée hétérosexuelle. La prévalence du VIH est, en outre, plus élevée chez les personnes prostituées usagères de drogues que chez celles n'en consommant pas ;

- le taux de prévalence des autres IST parmi les personnes prostituées est deux fois plus important que dans la population générale.

On voit également réapparaître des maladies sexuellement transmissibles, autrefois disparues, comme la syphilis.

Le risque de contamination au VIH et aux IST est, on le sait, directement corrélé au niveau de protection. Chez les personnes prostituées, notamment les « traditionnelles » qui ont une réelle connaissance des pratiques de prévention, le taux d'usage du préservatif est globalement élevé car celui-ci est avant tout considéré comme un outil de travail. On remarque toutefois que si son utilisation est quasi systématique chez la population féminine prostituée, il l'est beaucoup moins parmi la prostitution homosexuelle masculine et la prostitution transgenre. En outre, il semble que dans le cadre de la vie affective privée, l'usage du préservatif soit plus irrégulier, attitude qui reflèterait la volonté de séparer l'activité prostitutionnelle de la sphère personnelle.

Le niveau de protection dépend également du degré d'appropriation des messages et des pratiques de prévention. Ainsi, il apparaît clairement que les personnes prostituées étrangères, issues de pays où l'éducation sexuelle et la prévention des IST sont peu développées, sont beaucoup moins informées des méthodes de protection que les prostituées de nationalité française. Leur réticence à l'égard de ces pratiques, leur mauvaise maîtrise de la langue, leur méconnaissance des dispositifs institutionnels (CDAG-CIDDIST) et l'emprise des réseaux compliquent également leur appropriation des messages de prévention. Qui plus est, lorsqu'il y a usage du préservatif, celui-ci n'est pas toujours efficace en raison de procédures d'emploi inadaptées, entretenues le plus souvent par de fausses croyances.

Par ailleurs, les quelques études disponibles comme les acteurs de terrain mettent en avant le rôle des clients dans les pratiques sexuelles à risque, donc dans la propagation du VIH et des IST. Depuis quelques années, les demandes de rapports sexuels non protégés de la part des clients sont en augmentation : le Conseil national du sida évalue, selon les sources, leur part entre 10 % et 50 % et l'association Grisélidis estime que ce type de comportement concernerait au moins un client sur cinq. C'est énorme !

Plusieurs facteurs pourraient expliquer la recrudescence de ce phénomène : la précarité financière d'une majorité de personnes prostituées, les habitudes prises avec les clients réguliers, le regain de concurrence consécutif à l'accroissement de l'offre prostitutionnelle dans un contexte général de crise, le relâchement global des méthodes de prévention, l'accroissement des pratiques à risque, aussi bien s'agissant de la prostitution de rue que de celle s'exerçant sur Internet.

Outre les IST, l'activité prostitutionnelle expose les femmes qui l'exercent à divers problèmes gynécologiques, lesquels représentent entre 20 % et 25 % des demandes adressées aux associations de terrain. On sait également que le développement du cancer du col de l'utérus est favorisé par des facteurs de risques souvent observés chez cette population (rapports sexuels à un âge précoce, multiplicité des partenaires, tabagisme, IST). Enfin, la vulnérabilité des personnes prostituées sur le plan gynéco-obstétrical se caractérise par une fréquence des interruptions volontaires de grossesse trois fois plus élevée que dans la population générale. Ce chiffre, officiel, est sans doute beaucoup plus important d'après les témoignages des associations que nous avons recueillis : une pratique fréquente des réseaux consiste à provoquer des avortements au moyen de coups de pied répétés dans le ventre des jeunes femmes.

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