Intervention de Chantal Jouanno

Commission des affaires sociales — Réunion du 8 octobre 2013 : 1ère réunion
Situation sociale des personnes prostituées — Examen du rapport d'information

Photo de Chantal JouannoChantal Jouanno, rapporteur :

Enfin, il nous a semblé que la question de la cohérence de l'action publique en direction des personnes prostituées nécessitait d'être approfondie. Force est en effet de constater l'oubli dans lequel celles-ci ont été reléguées depuis des décennies.

Celui-ci se traduit tout d'abord par l'absence quasi-totale de données publiques et partagées sur les conditions d'exercice, ainsi que sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées. La loi sur la sécurité intérieure de 2003 prévoyait qu'un rapport soit transmis chaque année au Parlement sur le sujet. Celui-ci n'a, en pratique, été publié qu'une fois et, faute de pouvoir s'appuyer sur une expertise suffisamment étayée, n'a pu proposer qu'une analyse de portée très limitée. Une seule enquête récente permet de disposer d'un aperçu relativement global de l'état de santé des personnes qui se prostituent. Or, dresser un constat partagé par l'ensemble des acteurs de la situation démographique, sanitaire et sociale des personnes prostituées constitue la première et indispensable étape à la mise en place de politiques intelligentes en la matière. Nous estimons donc nécessaire d'aller beaucoup plus loin sur ce point.

Notre deuxième sujet de préoccupation porte sur l'évolution des financements alloués par l'Etat aux associations qui agissent auprès des personnes prostituées. Si la baisse ininterrompue enregistrée entre 2006 et 2012 semble aujourd'hui enrayée, les associations continuent de regretter le manque de visibilité pluriannuelle dont elles disposent, alors même qu'elles sont confrontées à des charges croissantes. En 2014, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) devrait leur attribuer 2,4 millions d'euros. Si les comparaisons doivent être maniées avec prudence, il faut tout de même noter que l'Italie consacre chaque année 8 millions d'euros aux questions d'assistance et d'intégration sociale des personnes prostituées.

A la faiblesse des subventions, s'ajoute le manque de coordination des administrations centrales en charge des questions sanitaires et sociales. En effet, la DGCS et la direction générale de la santé (DGS) mènent des actions parallèles qui ont leurs logiques propres, les unes centrées sur la lutte contre les violences faites aux femmes, les autres sur la lutte contre les IST. Cette absence de coopération est mal comprise par les associations de terrain. Or, dans la période de contraintes budgétaires que nous connaissons, il serait logique de travailler à une meilleure complémentarité des mesures engagées dans les champs sanitaire et social, ainsi qu'à la définition d'une politique de subventionnement partagée.

Plus généralement, nous dégageons trois enjeux essentiels en matière de pilotage de l'action publique auprès des personnes prostituées. Le premier consiste à renforcer les moyens alloués à la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains. Mis en place en 2001, le dispositif national d'accueil et de protection des victimes de la traite des êtres humains dit « Ac.Sé » permet d'assurer l'éloignement géographique et l'hébergement des personnes qui en sont victimes. Quarante-sept structures d'hébergement y participent, réparties dans trente-sept départements. En 2012, soixante-six personnes ont été prises en charge dont près d'un quart étaient des femmes accompagnées de leur(s) enfant(s). Ce dispositif constitue l'une des rares actions de portée quasi-nationale dont l'efficacité est reconnue et saluée par le plus grand nombre. Il est dès lors d'autant plus regrettable qu'une baisse des financements qui lui seront alloués dans les deux prochaines années soit envisagée. A nos yeux, le dispositif Ac.Sé doit au contraire être conforté et étendu à l'ensemble du territoire. Une mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains, la Miprof, a été créée au début de l'année 2013. Il s'agit d'une évolution souhaitée et importante, susceptible de contribuer à améliorer ce pilotage qui fait tant défaut aujourd'hui. S'il est encore un peu tôt pour dresser un premier bilan, nous insistons pour que ses missions en matière de lutte contre la traite des êtres humains soient renforcées, notamment pour qu'elle soit en mesure de développer une véritable expertise sur le sujet. Par ailleurs, nous ne pouvons que regretter le fait que la DGS n'ait pas été intégrée à son comité d'orientation.

Le deuxième enjeu porte sur la coordination des acteurs associatifs et institutionnels dans les territoires. Ceux-ci sont en effet bien souvent désemparés pour arriver à structurer leurs actions et à concilier des objectifs parfois contradictoires. S'y ajoute différence de philosophie entre associations. Plusieurs circulaires ont été publiées depuis les années 1970 pour mettre en place des structures de pilotage dédiées au niveau des départements. Elles ont en pratique été peu appliquées et nous restons circonspects quant à la pertinence de dispositifs trop rigides. La région bordelaise semble au contraire être parvenue à trouver un mode de fonctionnement adapté sous la forme d'un réseau d'intervention sociale, structure relativement souple qui permet d'associer collectivités territoriales, services de l'Etat et associations de toutes tendances autour de principes d'actions communs et de valeurs partagées. Grâce à la dynamique créée par ce réseau, une convention cadre départementale pour la coordination des actions concernant les victimes de la traite des êtres humains a pu être signée en avril 2012. Nous souhaitons que ce type de partenariat très souple puisse être étendu et reproduit dans les territoires.

Le troisième et dernier enjeu tient au renforcement de la présence du système de santé auprès des personnes prostituées. Celles-ci doivent en effet pouvoir bénéficier d'un accompagnement adapté et personnalisé vers les dispositifs de prise en charge de droit commun. Le rôle des permanences d'accès aux soins de santé (PASS) nous parait à ce titre essentiel. Nous en avons eu la preuve en nous rendant à l'hôpital Ambroise Paré qui a mis en place depuis plusieurs années une structure dédiée à la prise en charge des personnes prostituées en s'appuyant sur une de ces permanences ainsi que sur un partenariat associatif et sur une médiatrice culturelle. Les agences régionales de santé (ARS) ont également un rôle à jouer. Quelques-unes prennent déjà en compte les questions relatives à la prostitution dans leurs documents de programmation. Cela devrait être plus systématique. Elles peuvent également contribuer à décloisonner les pratiques et encourager la mise en oeuvre de travaux communs sur les enjeux sanitaires et sociaux.

Les débats très formels auxquels nous sommes habitués sur le cadre légal de la prostitution masquent trop souvent la réalité humaine de celle-ci. Or ce monde est d'une violence inouïe. Nous insistons donc sur la nécessité, avant toute chose, d'inverser le regard que nous portons sur les personnes prostituées. La législation italienne est à ce titre intéressante dans la mesure où elle considère celles-ci en premier lieu comme des victimes potentielles. Nous partageons avec Jean-Pierre Godefroy la conviction qu'il faut tout faire pour agir au mieux pour les personnes prostituées.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion