Je donne des cours d'économie d'Internet aux futurs ingénieurs de Télécom Paris Tech, notamment dans le cadre d'un nouveau master Big data. Le Big data regroupe les personnes qui travaillent, analysent, extraient, donnent du sens à la donnée. Il peut s'agir de données personnelles, mais pas seulement. Dans le commerce électronique, les données peuvent également être des données de géolocalisation par exemple. Je pense que l'ensemble des outils qui concernent la data constitueront le futur coeur de métier des personnes qui travaillent dans le commerce électronique. J'y reviendrai. J'ajoute simplement que ce master accueille aujourd'hui vingt-cinq étudiants.
Il existe donc une demande de la part des étudiants mais également de la part du monde professionnel et des entreprises pour un métier qui n'existe pas à ce jour. Nous réalisons en effet que, de plus en plus, la richesse et l'avantage concurrentiel d'une entreprise, en particulier d'une entreprise du commerce électronique, consistent à cibler et à fournir le produit adapté à une personne pour s'assurer qu'elle acceptera l'offre commerciale. Ce cas de figure est rendu possible par des analyses de comportements, des analyses d'achats, des analyses de préférences. L'analyse des données permettra de cibler la personne pour lui fournir l'offre commerciale adaptée. C'est pourquoi je pense que dans dix à quinze ans, l'analyse de la donnée sera le coeur de métier des grandes entreprises du commerce électronique. Amazon constitue un exemple évident de ce type de pratiques : ce site envoie en effet aux consommateurs des recommandations personnalisées fondées sur des données de consommation, sur des données de navigation et, parfois, sur des données extérieures à celles qu'il possède lui-même.
Nous avons également ouvert une chaire à l'Institut Mines-Télécom sur les informations personnelles d'une façon plus générale. Nous abordons les enjeux économiques, juridiques, philosophiques et techniques de ces notions de ciblage que nous observons chaque jour davantage dans le monde d'Internet. Le sujet soulève des questions non seulement économiques mais également sociétales. C'est pourquoi la chaire est pluridisciplinaire. Nous essayons d'aborder les intersections entre les différentes disciplines concernées.
Dans un second temps, je souhaite par ailleurs donner une perspective plus académique sur ce que j'appelle les effets de substitution. Par le passé, les consommateurs achetaient en magasin physique. Aujourd'hui, une nouvelle opportunité leur est offerte : la possibilité d'un achat sur Internet. Deux évolutions sont liées à cet état de fait. La première concerne le fait d'acheter un produit physique sur Internet plutôt qu'en magasin à travers une forme de commerce dématérialisé. La seconde, que nous vivons actuellement, consiste à acheter un produit numérique dans un environnement numérique (par exemple un streaming sur Deezer). Une question académique se pose. Elle consiste à savoir si les personnes qui, par le passé, achetaient dans un magasin physique achètent à présent sur Internet, auquel cas l'effet économique serait nul. En effet, nous assisterions alors à un simple effet de substitution. Au contraire, les personnes qui achètent sur Internet acquièrent-elles des produits qu'elles n'auraient pas nécessairement achetés en magasin physique ? Existe-t-il, en l'occurrence, un effet d'expansion de la demande ? La demande totale augmente-t-elle avec l'ouverture d'un nouveau canal de distribution ?
La réponse est double. Un certain nombre d'études ont porté sur le sujet. Elles montrent des effets de substitution sur les produits « tête de gondole » de la grande distribution, c'est-à-dire les produits qui se vendent très bien. En revanche, pour les produits qui ne sont pas distribués dans les grands magasins physiques par absence de demande et en raison du coût de distribution induit par cette faible demande, une nouvelle demande apparaît sous la forme du commerce électronique. Ce constat se révèle d'autant plus vrai lorsque nous examinons la seconde évolution, celle du tout numérique, avec achat d'un produit numérique à travers un canal de distribution numérique. Par exemple, s'agissant de l'e-book, des auteurs distribuent des produits qui ne sont même pas commercialisés physiquement. Il ne peut donc pas exister d'effet de substitution. À côté des effets de substitution, nous observons bien alors un effet d'expansion de marché, un effet d'expansion de la demande, en particulier concernant les produits moins connus du grand public.