Permettez-moi tout d'abord de vous exposer la raison pour laquelle nous demandons l'accès aux données de santé. Si cette raison est simple, les solutions qui permettraient d'y répondre ne le sont pas.
Chaque année, jusqu'à 700 000 articles médicaux sont publiés dans les revues à comité de lecture, et la déontologie médicale voudrait que les médecins aient tout lu. Les connaissances médicales doublent actuellement tous les trois ans. La classification commune des actes médicaux recense 8 000 actes, dont 1 000 actes de biologie. Dans la pharmacopée française figurent 8 000 médicaments : dans cette masse, les médecins peuvent tout prescrire, sans pouvoir tout connaître. Un médecin généraliste connaît entre 200 et 300 médicaments, un spécialiste une trentaine, et ces médicaments ne sont bien entendu pas les mêmes selon les médecins. On relève que les prescriptions ne correspondent pas forcément à l'état morbide de la population : actuellement, en France, aucun lien ne peut être établi entre les prescriptions de médicaments cardiaques et les pathologies cardiaques recensées, avec des variations géographiques sensibles. De ce fait, le traitement d'un patient peut sensiblement varier selon le lieu où il est pris en charge.
Dans le monde entier, on laisse l'industrie pharmaceutique décider de ce sur quoi portera la recherche, des molécules qui seront développées, et du suivi des médicaments après leur mise sur le marché. Bien entendu, ces décisions sont davantage motivées par des raisons économiques que par l'état morbide de la population. La règlementation française elle-même s'intéresse à l'efficacité des molécules avant leur mise sur le marché, mais pas à leurs usages en aval. De même que des instruments bien accordés ne suffisent pas pour produire une belle musique, le recours à une thérapeutique efficace ne garantit pas le bon traitement d'un patient.
L'accès aux données de santé permettra de révéler les incroyables variations des pratiques cliniques et pointera l'usage de certains médicaments douteux ou dangereux. Par exemple, la pilule Diane 35 a été interdite par le ministère de la santé, puis remise sur le marché après décision contraire des autorités européennes. S'il est clair qu'elle a été trop prescrite, elle reste néanmoins le moins mauvais médicament, dans la plupart des cas, pour les jeunes filles souffrant d'acné. Tout est question d'usage.