Intervention de Dominique Maraninchi

Mission commune d'information sur l'accès aux documents administratifs — Réunion du 13 mars 2014 : 1ère réunion
Audition conjointe de Mme Geneviève Chène M. Grégoire Rey pour l'institut national pour la santé et la recherche médicale inserm ; M. Dominique Maraninchi Mme Carole Le saulnier M. Mahmoud Zureik pour l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ansm ; Mm. Jean-Patrick Sales et thomas le ludec pour la haute autorité de santé has

Dominique Maraninchi, directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) :

Vous m'ôtez les mots de la bouche. L'ANSM est l'autorité nationale de régulation des produits de santé. L'Etat lui délègue la capacité d'autoriser, de surveiller ou d'interdire l'usage des produits de santé. La loi de décembre 2011 a rappelé à cet égard que les arbitrages devaient d'abord prendre en compte la sécurité des personnes et non la sécurité ou l'équité du commerce. Bien sûr, nos décisions font grief, à l'encontre de parties qui sont rarement d'accord... D'où la nécessité d'expertises fortes et transparentes, pour lesquelles nous devons disposer de moyens à la hauteur de ceux des producteurs de santé. L'obligation de transparence, que la loi du 29 décembre 2011 a imposée à toutes les parties, nous y compris, ainsi que le recours au principe de précaution pour protéger les patients, ont fait évoluer notre travail : nos décisions, plus transparentes et plus réactives, sont établies sur des faisceaux d'arguments fondés sur des données de sources diverses. Nous vivons dans une interpellation régulière de la part des citoyens.

Où collectons-nous les données ? Auprès des parties et d'abord des opérateurs de santé : résultats d'expériences in vitro et in vivo, données cliniques, précliniques et para-cliniques, protégées par le secret industriel et commercial, qui fondent nos arbitrages bénéfice-risque, au regard des indications revendiquées pour les populations concernées. Cela vaut avant et après l'autorisation de mise sur le marché (AMM). Une fois qu'elle est accordée, des données sur la sécurité du produit continuent à nous être transmises. Tous les producteurs de principes actifs ou de nouveaux traitements sont soumis à l'obligation de mettre en oeuvre des plans de gestion des risques, y compris post marketing. Depuis 2011, après l'AMM, nous prenons fréquemment des décisions relatives à la sécurité des produits, tels qu'ils sont réellement utilisés dans la vraie vie, à partir de données de marketing réelles ou de l'assurance maladie et non plus sur la base d'études cliniques, plus ou moins idéalisées... On se rappelle du Médiator ; d'autres décisions comparables sont intervenues depuis lors à partir de signaux de vigilance qui ont pu être vérifiés très rapidement par l'accès aux bases nationales et grâce à la collaboration des chercheurs. Nous disposons maintenant d'une antenne de pharmaco-épidémiologie avec un chercheur de l'Inserm et nous avons une bonne capacité à collecter des données venant d'autres sources que les producteurs.

Nous disposons d'une capacité de collecte des données d'autres sources que les entreprises pharmaceutiques. Les réseaux de vigilance (pharmacovigilance, matériovigilance, hémovigilance) nous adressent près de 100 000 déclarations par an : l'articulation de ces données avec les autres bases (mortalité, Sniiram) nous confère une puissance d'analyse et de détection considérable. Le travail de repérage des données de signalement précède celui de recherche d'explications. Il est en grande partie automatisé et en lien avec des bases de données européennes. Bien sûr, nous pourrions publier une partie de ces données mais elles sont souvent abstraites et incompréhensibles pour le grand public. Nous n'avons guère les moyens de forcer les industriels, ni les chercheurs, à faire une étude dans le temps voulu par nos processus de décision. Il importe donc que nous puissions disposer de nos propres capacités de collecte, d'instruction, d'investigation et de traitement des données.

Il faut en outre lutter contre les risques de conflits d'intérêts. Les règles déontologiques sont de plus en plus poussées. Dans l'analyse, notre agence doit être totalement indépendante des équipes de recherche liées de près ou de loin à l'industrie.

Depuis trois ans, nos fonds d'intervention nous donnent les moyens de conduire des études indépendantes, publiques, de qualité. Il est très difficile pour le citoyen de comprendre qu'une même équipe puisse travailler de temps en temps pour l'industrie et pour le régulateur. Cette recherche indépendante que nous mettons en place est une petite révolution. Elle a besoin de financements publics. Dans le domaine du médicament, les financements les plus importants proviennent toujours des industriels. Ce n'est pas une fatalité. Nous sommes à un tournant.

Les données que nous utilisons relèvent du secret médical et du secret industriel et commercial et sont donc très confidentielles. Nous en produisons, aussi, en réponse à une demande ou pour informer le public. Toutes les réunions de nos commissions font l'objet d'ordres du jour et de comptes rendus et sont filmées. Ces données sont accessibles, sous réserve du secret industriel et commercial et des données personnelles ou qui pourraient être tracées.

Où allons-nous ? Le futur règlement sur les essais cliniques obligera les industriels à publier les résultats des essais, même non publiés, même négatifs. L'accès aux données sources n'a pas encore fait l'objet d'un arbitrage et est au coeur d'un contentieux judicaire européen. Certaines entreprises se sont dotées de codes de bonne conduite et mettent déjà spontanément ces données à disposition, peut-être pour améliorer leur image... Le sujet doit être suivi dans notre pays avec la plus grande attention afin de mieux fonder les décisions.

Ce qui compte, c'est de relier plusieurs types de données entre elles. En France, elles sont très riches mais l'établissement des liens reste difficile alors que nos décisions de sécurité doivent être fondées sur des faisceaux d'arguments. Nos décisions faisant grief et étant souvent contestées, nous devons avoir les moyens de les défendre et que les industriels ne soient pas privilégiés dans l'accès aux données publiques. Le financement public de la recherche doit donc être un critère d'accès aux données. Les données que nous produisons pour fonder nos décisions sont rendues publiques et notre site Internet compte désormais 2,7 millions de connexions par an, soit deux fois plus qu'il y a deux ans. La base de données du médicament, mise à jour mensuellement, a été ouverte en novembre et sera téléchargeable fin mars. Le partage de données est donc possible et répond manifestement à une véritable demande.

Nous produisons également de l'information à destination des professionnels pour les mettre en garde sur les risques que présente l'usage de certains produits soumis à prescription obligatoire, dès que nous recevons des signaux indiquant qu'ils sont trop ou mal utilisés. Le partage de données, de vente, par exemple, avec les professionnels est très utile, comme on l'a vu avec la consommation des pilules de troisième et quatrième générations, dont la part est passée de 40 % à moins de 20 % à la suite de nos mises en garde, sans qu'il ait fallu faire évoluer la réglementation.

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