Intervention de Gérard Dantec

Mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet — Réunion du 18 février 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Gérard daNtec président et de M. Sébastien Bachollet président d'honneur du chapitre français de l'internet society isoc

Gérard Dantec, président du chapitre français de l'Internet society :

Je vous remercie d'accueillir notre association d'usagers, qui est, comme la plupart des associations, composée de bénévoles, et qui tire ses ressources des seules cotisations de ses membres. Je témoignerai de notre expérience associative qui a déjà plus de vingt ans sur la scène de l'Internet, des difficultés que rencontre la société civile regroupée au sein d'associations à faire valoir localement son point de vue, et à plus forte raison à porter ses valeurs sur la scène de la gouvernance internationale de l'Internet.

Tout le monde s'accorde à dire qu'aujourd'hui, le réseau est devenu un enjeu technologique, économique et sociétal majeur. Depuis 2010, le nombre d'utilisateurs de l'Internet dépasse les deux milliards, près du tiers de la population mondiale. Plus qu'un gigantesque marché où s'échangent les biens et les services, plus qu'un outil supplémentaire de communication aux mains d'une élite, l'Internet est devenu le socle du développement matériel, intellectuel et social de l'humanité.

L'Internet society France s'efforce de faire valoir ce point de vue, et contribue à défendre les valeurs fondamentales de l'Internet que sont l'universalité, l'accessibilité, le respect des standards ouverts, la non-discrimination du réseau, la liberté de production, de partage et d'expression.

L'Internet society France est le chapitre français d'une organisation associative internationale « Internet society » basée à Reston et à Genève, qui promeut le déploiement de l'Internet dans le monde. Fondée en 1992 par Vint Cerf, l'Internet society gère l'extension « .org » et participe aux activités de la communauté technique comme le W3C dont elle assure une grande partie du financement et de l'Internet Engineering Task Force (IETF) dont l'Internet society assure la coordination et une partie du financement. L'Internet society regroupe dans ses chapitres de nombreux acteurs y compris de la société civile, des associations et de simples usagers. L'Internet society compte 65 000 membres répartis dans une centaine de chapitres dans le monde.

Ainsi, si l'Internet society peut financer une partie des travaux de la communauté technique qui élabore les normes et les standards de l'Internet - pour y faire prévaloir les principes d'universalité, d'accessibilité, d'ouverture et de neutralité, le fonctionnement des chapitres eux-mêmes n'est pas financé ; en fait, chaque chapitre doit trouver ses financements, ce qui nous pose des problèmes pour participer aux réunions internationales qui se tiennent un peu partout dans le monde.

Depuis l'organisation, à l'initiative de l'ONU, du premier sommet mondial de la société de l'information (SMSI) - à Genève en 2003 puis à Tunis en 2005 - des Forums de la gouvernance de l'internet se tiennent régulièrement. Le SMSI réunit les gouvernements, les entreprises de l'Internet, la communauté technique et la société civile, fonctionnant sur le modèle multi parties prenantes qui évite les écueils de sommets où la société civile doit, pour se faire entendre, organiser des sommets parallèles. Cependant, les associations n'ont pas toujours les moyens de participer aux forums où elles sont invitées ; depuis 2005 l'Internet society France n'a pu participer qu'à quatre réunions internationales, dont une fois comme expert au sein de la délégation gouvernementale. Il en est de même pour les différentes réunions organisées à l'échelle européenne entre ces sommets annuels. Une association loi de 1901 fonctionnant sur les cotisations de ses membres a rarement les capacités d'assurer de fréquents déplacements.

L'affaire Snowden a révélé des dérives contre lesquelles des voix demandent d'adopter une organisation inspirée du modèle onusien, en confiant par exemple l'organisation de l'Internet à l'UIT. Or, le modèle multi parties prenantes nous paraît bien plus pertinent pour établir un consensus entre les États, tout en garantissant les intérêts du secteur privé et des individus citoyens internautes. Si le modèle multi parties prenantes avait été utilisé en France, nous aurions peut-être évité que l'invention d'une ébauche de l'Internet, par Louis Pouzin dans les années 1970, ne soit développée en Minitel, ce qui est un échec certain par comparaison à l'Internet... L'élaboration des protocoles liés au Minitel tel que le RNIS/ISDN fut en son temps moquée par la communauté technique internationale en « Innovations Subscribers Don't Need », des innovations dont les abonnés n'ont pas besoin.

Plus récemment la France a failli porter une atteinte majeure à la neutralité des réseaux au travers de la loi Hadopi qui, au prétexte de sauver une industrie du disque agonisante et sans écouter la société civile, presque accusée de vouloir encourager le piratage, aurait favorisé les ententes entre opérateurs, fournisseurs d'accès et fournisseurs de contenu et ainsi plongé la France dans un mouvement de privatisation de l'Internet et donné un coup d'arrêt à l'émergence de nouveaux protocoles d'échanges de données sur le réseau. Là encore, la communauté technique et la société civile sont intervenues pour éviter cette catastrophe technologique qui s'annonçait.

Les valeurs fondamentales de l'Internet permettent de garantir sa pérennité, sa solidité et son évolution, ce qui signifie qu'à chaque décision politique concernant ce réseau, il faut se rappeler qu'il est devenu un outil en passe de devenir universel pour propager la culture, le savoir et relier les hommes de toutes les origines à travers le monde - et pas seulement un levier de croissance. Du reste, seul un Internet centré sur l'utilisateur et sur lequel règne la confiance pourra se déployer massivement et générer de l'activité économique. Dans ces conditions, chaque décision politique doit privilégier l'intérêt collectif, donc respecter les équilibres au sein d'un Internet pensé comme un écosystème et dont la gouvernance ne peut être que multi parties prenantes.

Le chapitre français de l'Internet society a participé à des forums internationaux et nous avons organisé, de 2002 à 2008, les États Généraux Européens du Nommage sur Internet (EGENI). Nous sommes également consultés par les commissions parlementaires et nous avons ainsi pu participer à la réécriture en 2011 du code des communications électroniques et faire valoir l'introduction de l'intérêt général et la participation des particuliers dans l'attribution des noms de domaine en France. Nous sommes actuellement partie prenante du premier Forum sur la Gouvernance de l'Internet en France qui se déroulera le 10 mars prochain et nous espérons que de nombreux parlementaires viendront participer aux débats.

J'aimerais, pour finir, esquisser quelques pistes d'action pour l'avenir. Je crois qu'il faut protéger effectivement les lanceurs d'alertes, multiplier les initiatives pour mettre le numérique au coeur des préoccupations des parlementaires, former les élus au numérique et à ses enjeux, favoriser l'expression citoyenne des internautes afin de préserver un modèle internet centré sur l'utilisateur ; enfin, mieux encadrer l'action des lobbyistes pour garantir les besoins des utilisateurs.

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