Intervention de Sébastien Bachollet

Mission commune d'information sur la gouvernance mondiale de l'Internet — Réunion du 18 février 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Gérard daNtec président et de M. Sébastien Bachollet président d'honneur du chapitre français de l'internet society isoc

Sébastien Bachollet, président d'honneur du chapitre français de l'Internet society :

Je centrerai mon propos sur le rôle des utilisateurs à l'ICANN et plus globalement dans la gouvernance de l'Internet.

En 2000, une première forme de représentation des utilisateurs individuels a vu le jour avec une élection directe d'un directeur du conseil d'administration de l'ICANN pour chacun des cinq continents. Cependant, les différents pays n'étaient pas au même niveau d'organisation et l'expression n'était pas bien organisée. Un groupe de travail, mis en place en 2001, sous la responsabilité de l'ancien premier ministre suédois Carl Bildt et avec la participation d'Olivier Iteanu, autre président d'honneur d'Internet society France, a proposé la mise en place d'une structure permettant la participation et la représentation des utilisateurs individuels.

A la base de cette structure sont placés les utilisateurs membres d'organisations reconnues comme structures « At-Large ». Il y en a 160 à l'échelle mondiale : en France, il y a trois structures At-Large - le Chapitre français de l'Internet Society, l'association e-senior et Together against cybercrime ; dans d'autres pays, il y a des associations de consommateurs, des activistes du logiciel libre, etc. En Europe, au titre du regroupement régional, nous avons créé European At-Large Organization (EURALO) en 2007 - j'en ai été membre fondateur en tant que président du Chapitre français de l'Internet Society. L'échelon régional des structures At-Large est représenté par un Comité - pendant pour la société civile du GAC - qui conseille le board de l'ICANN et qui anime la communauté des utilisateurs individuels et de leurs associations.

Un sommet des structures « At-Large » a eu lieu pour la première fois à Mexico en 2009, la prochaine aura lieu en juin de cette année à Londres ; en 2009, le directoire de l'ICANN a créé un siège de plein droit à son board, j'ai eu l'honneur d'y être élu et l'élection est en cours pour le prochain mandat.

L'ICANN est un bon exemple où l'inclusion est la règle, où toutes les parties prenantes ont voix au chapitre, participent aux réflexions, aux travaux et aux décisions. L'ICANN fait tout son possible pour prendre en compte les diversités : culturelles, linguistiques, géographiques... et pour permettre une participation à distance à toutes ses réunions.

Après 15 ans d'existence, où le fonctionnement a donné satisfaction et a su évoluer de façon continue, je crois qu'il est temps de donner à l'ICANN l'ensemble des responsabilités et l'indépendance prévue lors de sa création.

L'Association française pour le nommage Internet en coopération (AFNIC), qui est en charge en particulier de la gestion du « .fr », est un autre type de structure multi-acteurs. La balance y est très différente puisque les pouvoirs publics représentent la moitié du conseil d'administration à parité avec l'ensemble des autres acteurs.

Sans qu'il y ait un seul modèle d'organisation, je crois nécessaire que l'ensemble des sujets qui entrent dans ce que nous appelons la gouvernance de l'Internet soient traités avec une réelle participation multi-acteurs, placés sur un pied d'égalité. C'est en cela que la réunion NetMundial organisée au Brésil en avril prochain à toute son importance. Les sujets qui y seront abordés sont très nombreux : le contrôle parental ; les contenus illégaux ; la protection des données personnelles ; la sécurité ; l'identité ; le paiement ; la propriété intellectuelle ; la propriété industrielle ; la gestion des ressources rares ; les écoutes illégales ; la fiscalité internationale. A ces sujets, je voudrais ajouter la promotion du choix des utilisateurs ; la protection du droit d'expression ; la protection des consommateurs, ou encore la lutte contre la pédopornographie.

Je crois le moment venu d'établir un cadre de haut niveau pour traiter chacun de ces sujets. À Sao Paulo la « réunion globale multi-acteurs sur le futur de la gouvernance de l'Internet » a pour objectif de développer les principes de la gouvernance d'Internet et de proposer une voie pour l'évolution du paysage de la gouvernance d'Internet. L'ICANN gère seulement les adresses IP, les protocoles et les noms de domaine - mais il est indispensable que les autres sujets soient gérés dans un cadre « multistakeholder », ou bien on risque des interférences et des insatisfactions. De fait, les découpages institutionnels varient selon les pays et la participation à la gouvernance d'Internet doit être large, ne pas se limiter aux seuls gouvernements. Je préfère que tous les acteurs soient dans la même salle pour débattre, plutôt que de voir les gouvernements dans une salle et les acteurs de la société civile obligés de manifester dehors. De ce point de vue-là les exemples de Gênes et de Seattle auraient dû ouvrir les yeux de tous.

Les gouvernements et plus généralement les pouvoirs publics doivent s'engager dans cette gestion multi parties prenantes. Mais ils doivent aussi s'assurer que la voix des utilisateurs puisse être entendue, car ce sont ceux qui ont le plus de difficulté à réunir les moyens - en particulier financiers - pour participer. Un tel mode de gestion multi parties prenantes a existé bien avant Internet : lorsqu'en 1964, sous l'impulsion de Maurice Herzog, secrétaire d'État à la jeunesse et aux sports, est créée l'Union nationale des Centres sportifs de Plein-Air (UCPA), sont réunis les pouvoirs publics, des fédérations sportives, des associations de jeunesse et d'éducation populaire, des maires et des bailleurs de fonds - soit l'ensemble des parties prenantes.

Quelques remarques, ensuite, sur le sens des mots et locutions utilisées pour évoquer la gouvernance d'Internet, avec leur difficulté de traduction.

Le mot « internationalisation », d'abord, fait référence aux relations entre les nations - c'est pourquoi je lui préfère ceux de globalisation, qui fait référence au globe, ou de mondialisation, qui fait référence au monde ; pour être compris de mes collègues anglophones j'utilise le terme « Worldisation ».

De même, le mot « multilatéral » renvoie à la recherche d'une solution entre gouvernements, alors que la locution « multi partie prenante » sous-tend la recherche de compromis en associant sur un pied d'égalité l'ensemble des acteurs. J'espère que vous accepterez ce concept et que la réunion du Brésil sera un pas dans cette direction sur l'ensemble des sujets que recouvre la gouvernance d'Internet.

Quelques mots, enfin, sur l'Europe. Notre continent compte des organisations importantes, comme l'European Regional At-Large Organization (EURALO), l'European dialogue on internet governance (EuroDig) ou encore le Council of European National Top Level Domain Registries (CENTR) ; ces organisations regroupent les pays au-delà de l'Union européenne et se positionnent à l'échelle du continent tout entier, comme le Conseil de l'Europe.

L'Europe a un rôle à jouer, et nous, utilisateurs, y tenons une place importante et essentielle tous les jours. Nous espérons que les pouvoirs politiques prendront cette dimension multi parties prenantes en compte sur l'ensemble des sujets de la gouvernance d'Internet.

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