Intervention de Hélène Paris

Mission commune d'information impact emploi des exonérations de cotisations sociales — Réunion du 2 avril 2014 : 1ère réunion
Audition de Mme Hélène Paris secrétaire générale du conseil d'analyse économique cae et de M. Pierre Cahuc économiste membre du cae

Hélène Paris, secrétaire générale du Conseil d'analyse économique :

Je rappellerai, dans une introduction générale, le raisonnement économique qui fonde les dispositifs d'exonération et d'allègement de cotisations sociales avant de laisser la parole à Pierre Cahuc.

Sur ce sujet, la réflexion a débuté au début des années 1990, sur le fondement d'un double constat. Celui, tout d'abord, d'une détérioration de la situation du marché du travail, pour les emplois les moins qualifiés en particulier, avec un chômage important et une situation chronique de sous-emploi. Celui, ensuite, d'une réduction de l'écart, en matière de coût du travail, entre le Smic et le salaire moyen, ainsi que le pointait le rapport Charpin de 1992, qui relevait que la France n'était pas tant handicapée, à l'époque, par le coût moyen du travail que par la réduction de cet écart, tandis que parallèlement, se développait un chômage des moins qualifiés sans rapport avec la courbe de leur productivité, d'où un vrai problème sur le marché du travail, d'autant que le développement technologique allait dans le sens d'une demande croissante d'emplois qualifiés. D'où la recherche de moyens pour alléger le coût du travail.

La première phase des politiques d'allègement, jusqu'en 1998, fut offensive, et ciblée autour du Smic, avec un seuil de sortie à 1,2 ou 1,3 Smic. Ce furent les exonérations Balladur puis Juppé. Vint ensuite une phase défensive, entre 1998 et 2002, qui vit le champ des allègements étendu aux entreprises qui réduisaient le temps de travail. Il s'agissait de compenser l'impact de cette réduction sur le coût du travail. Les exonérations Aubry relevaient donc le seuil de sortie à 1,6 ou 1,7 Smic. Puis vinrent, dans la période 2003-2005, les exonérations Fillon, qui poursuivaient cette phase défensive en tentant de neutraliser l'impact de la convergence vers le haut du Smic. Depuis 2007, la réduction a été de 26 points de cotisations sociales pour les entreprises de plus de vingt salariés, avec un seuil de sortie à 1,6 Smic, qui représente un engagement budgétaire important, de plus de 20 milliards d'euros, soit l'équivalent d'un point de PIB. En 2013 est venu s'y surajouter le crédit d'impôt compétitivité emploi (Cice), avec un ciblage différent, le seuil de sortie étant porté à 2,5 Smic, pour un coût estimé à 20 milliards après montée en charge.

Quel est l'effet de ces allègements sur le rapport entre Smic et salaire médian ? Jusqu'au début des années 1990, la courbe du salaire net et celle du coût du travail coïncidaient. A partir des allègements de charge, le coût du travail évolue moins vite que le niveau du Smic. L'effet des allègements est donc indéniable. Leur objectif macroéconomique premier est d'enrichir la croissance en emplois, ce qui n'est possible que sous réserve qu'ils ne se traduisent pas par une hausse des salaires. Au niveau microéconomique, celui des entreprises, trois mécanismes sont à l'oeuvre. Un effet de substitution, tout d'abord, sachant que la baisse du coût d'un facteur de production par rapport à d'autres peut conduire les entreprises à se réorganiser et, au cas présent, à favoriser l'emploi moins qualifié. Un effet volume, ensuite, la baisse du coût du travail pouvant être utilisée par les entreprises pour baisser leurs prix de vente et stimuler leur production, avec un impact positif sur l'emploi en général. Un effet profitabilité, enfin, l'entreprise tirant profit de la baisse du coût du travail pour accroître ses marges sans modifier ses prix de vente, afin de restaurer une situation financière dégradée ou d'augmenter l'investissement.

Se pose, bien évidemment, le problème du ciblage des allègements, autour de trois grandes questions. Première question, l'effet sur la demande de travail. Les allègements agissent-ils de la même façon selon le type d'emploi ? Sur ce point, les études économiques convergent : tout dépend de l'élasticité de la demande de travail au salaire, variable selon le niveau de qualification, donc le niveau de salaire. De nombreux travaux ont mis en avant le fait que l'élasticité diminue à mesure que l'on monte dans l'échelle des salaires. Quant à l'élasticité de l'offre de travail au salaire, elle varie également selon le degré de qualification des emplois. La deuxième question porte sur l'effet d'assiette. A budget donné, l'efficacité de la mesure est d'autant plus importante que l'effet est calibré sur une population réduite. Si l'on couvre une population plus large, l'effet est nécessairement plus diffus. La troisième question, enfin, concerne l'effet de trappe à bas salaire, illustré par le rapport Malinvaud de 1998, rendu au nom du Conseil d'analyse économique, qui se penche sur les effets indésirables potentiels des allègements de cotisations employeur : développement des carrières bridé, effets négatifs sur la productivité, notamment. Robert Malinvaud préconisait ainsi de veiller, pour s'en prémunir, à ne pas retenir un seuil de sortie trop large.

Les travaux visant à mesurer les effets des allègements de cotisations sociales sur l'emploi sont difficiles à conduire, en l'absence de population témoin, qui ne bénéficierait pas d'allègements. Il faut donc mobiliser une boîte à outils assez complexe. Deuxième difficulté, pour ce qui concerne la vague d'allègements intervenue à partir de 1998, l'objectif n'était pas seulement d'enrichir la croissance en emplois mais aussi de répondre aux effets de la réduction du temps de travail et à la convergence des Smic. Il est, de ce fait, plus difficile d'isoler les effets à l'oeuvre.

La plupart des travaux concluent, pour la phase précédant 1998, à une fourchette de 200 000 à 400 000 emplois sauvegardés ou créés. Je vous renvoie au rapport du Conseil d'analyse économique de 1997, établi par Pierre Cahuc. Avec la deuxième vague, après 1998, l'ordre de grandeur passe à 800 000 emplois créés ou sauvegardés. La largeur de la fourchette témoigne de la difficulté de l'exercice. De même qu'il est difficile d'évaluer le bouclage budgétaire total, qui doit pourtant être pris en compte dans l'effet global.

Les derniers travaux du Conseil d'analyse économique portent sur la dynamique salariale en temps de crise. Dans une note d'avril dernier, le Conseil relève que l'écart se creuse entre évolution de la productivité du travail et évolution des salaires. Depuis 2008, l'évolution de la productivité est atone, alors que les salaires continuent de progresser - de 0,8 % par an pour le salaire réel net. Ce phénomène joue en défaveur de l'emploi, en particulier peu qualifié. Nos recommandations vont à décloisonner les négociations sur les rémunérations, l'emploi et les conditions de travail, sachant que dans la dynamique de l'évolution salariale, la fixation du salaire minimum n'est qu'un élément, les conventions de branche jouant aussi un large rôle. Ce qui peut aller en défaveur de l'emploi, en particulier en période d'évolution très lente de la productivité et de basse inflation. Autre recommandation, adosser le financement de la protection sociale à une base fiscale, ce qui revient à intégrer les allègements de cotisations sociales dans le barème, en en faisant des dispositifs non plus dérogatoires mais de droit commun.

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