Il y a certes des entreprises qui auraient de toute façon embauché, mais il n'y a pas de biais, comme en témoigne l'effet de surprise sur Google. Nous avons également vérifié qu'aucune autre mesure réglementaire n'avait été prise qui aurait pu affecter différemment les entreprises de plus ou de moins de dix salariés.
La proportion des entreprises ayant eu recours au dispositif « zéro charges » n'a été, au maximum, que de 33 %. Outre que 40 % des entreprises ont embauché au-dessus de 1,6 Smic, d'autres ont fait le calcul que le gain serait pour elles très faible. Mais il y a aussi des entreprises qui auraient eu intérêt à s'emparer de cette mesure et ne l'ont pourtant pas fait. Quant au taux d'attention, soit la proportion d'embauches éligibles qui ont effectivement eu lieu, il ne dépasse pas 50 %. La faiblesse de ces taux n'est pas une spécificité : c'est le fait de toutes les politiques publiques, et l'on constate le même phénomène pour le RSA, par exemple. Ici, on observe que le taux de recours chute pour les entreprises comptant 8 ou 9 salariés. Sans doute parce qu'il était compliqué de calculer en ETP, et que beaucoup d'entreprises ont pu penser être au-delà du seuil. On observe également que 3 % d'entreprises ont bénéficié de la mesure alors qu'elles ne l'auraient pas dû - peut-être dû à des déclarations annuelles de données sociales mal remplies.
Si l'on observe le taux de croissance moyen de l'emploi dans les entreprises de 6 à 10 salariés et celles de 10 à 14 salariés, on constate à partir de 2009, une rupture de tendance : les courbes ne sont plus parallèles. On peut ainsi mesurer l'impact du « zéro charges » et constater qu'une baisse de 1 % du coût du travail accroît l'emploi de 2 % à un an - de novembre à novembre. L'effet est donc relativement fort ; néanmoins, ce chiffre est un minorant de l'effet sur l'emploi. Les salaires ont pu augmenter, or, l'effet est plus important quand tel n'est pas le cas. Cependant, s'agissant de très bas salaires, très influencés par le Smic, on peut considérer qu'ils n'ont pas augmenté. Il faut tenir compte, également, du délai d'ajustement. Il est assez rapide, en France, où les embauches se font à 90 % en CDD ; mais la subvention était temporaire, ce qui peut minorer l'effet de la mesure. Si l'on élimine, enfin, la petite proportion d'entreprises de plus de 10 salariés qui n'auraient pas dû bénéficier de la mesure, on constate un effet deux fois supérieur : dans la comparaison entre entreprises de 5 à 8 salariés et entreprises de 12 à 15 salariés, il n'est plus de 2 % mais de 3,5 %. L'effet, enfin, a été prompt : à partir d'avril, l'emploi s'ajuste rapidement.
On peut considérer que la mesure a créé quelque 30 000 emplois. Son budget, pour 2009, ayant été de 360 millions, le coût par emploi créé est de 12 000 euros. On objectera que c'est assez cher, mais il s'agit d'un coût brut. Lorsque quelqu'un retrouve un emploi, cela a un effet, qu'il faut prendre en compte, sur les finances publiques : moins d'allocations chômage ou de revenu minimum, moins d'allocation logement - et des rentrées de cotisations sociales salariés. Bercy l'a estimé à 1 000 euros par mois, ce qui signifie que le coût net de la mesure est nul.
Sachant que l'effet que nous avons constaté, à deux points, est plus élevé que d'habitude, on peut se demander si ce résultat est crédible, et si l'entrée en récession n'a pas pu, à l'époque, avoir un impact différent selon la taille des entreprises. Nous avons donc comparé l'évolution de deux autres cohortes au moment de l'entrée en crise, les entreprises de 12 à 16 salariés et celles de 16 à 20 salariés, pour vérifier si l'on n'observait pas une même rupture de tendance en 2009. Or, tel n'est pas le cas : les courbes restent parallèles. Même chose si l'on compare les entreprises de 1 à 4 salariés à celles de 4 à 7 salariés.
Nous avons également étudié l'effet, au sein des entreprises de moins de 10 salariés, sur l'emploi subventionné et non subventionné : plus on est en dessous de 1,6 Smic, plus l'impact doit être fort. Or, c'est bien ce que l'on constate : un fort effet sur les plus bas salaires, et rien au-dessus de 1,6 Smic. Pour toutes ces raisons, nous pensons que l'entrée en récession et la taille des entreprises n'affecte pas nos résultats.
Doit-on considérer que ces entreprises ont créé de l'emploi au détriment des entreprises de plus de 10 salariés ? Si tel était le cas, les entreprises de plus de 10 salariés situées dans les bassins d'emploi où les entreprises de moins de 10 salariés sont nombreuses devraient être plus affectées. Nous avons observé ce qu'il en était sur les 348 zones d'emploi de l'Insee, et n'avons rien constaté de tel.
L'étude est donc convaincante, grâce à l'existence d'un groupe témoin bien identifié. Il existe d'autres études, comme celles de Bruno Crépon et Rozenn Desplatz, ou celle de Mathieu Bunel, Fabrice Gilles et Yannick L'Horty, qui concluent à des taux d'élasticité très inférieurs. Mais cela est logique, puisqu'en l'absence de groupe témoin, elles comparent des entreprises comptant une forte proportion de salariés avec allègement de charge à d'autres qui en comptent une moindre proportion, et que l'on ne peut exclure, de surcroît, à la différence de notre cas, les effets d'anticipation. Quant à l'étude de Francis Kramatz et Thomas Philippon, elle compare la probabilité de conserver leur emploi pour les personnes rattrapées par l'augmentation du Smic et celles qui sont juste au-dessus, et conclut que la probabilité de perdre leur emploi est plus élevée de 1,5 point pour celles qui sont rattrapées par le Smic. Mais on ne peut non plus exclure, dans ce cas, les effets d'anticipation.
Les baisses de charges sur les bas salaires, dans un contexte de chômage élevé, ont donc un effet potentiellement fort sur l'emploi. Nous sommes, en France, dans ce cas. Notre étude permet de penser que les baisses de charge actuelles, à hauteur de 20 milliards, permettraient, ainsi concentrées, de conserver non pas 400 000 à 800 000 emplois mais le double.
En revanche, avec des dispositifs plus étalés, l'effet est moindre. Une diminution des charges patronales revient à augmenter la productivité du travail et donne à l'entreprise une marge de manoeuvre pour augmenter les salaires. Dans un contexte de chômage faible, les entreprises se font concurrence pour attirer les salariés, et les baisses de charges se traduisent par des augmentations de salaires, ainsi que l'a montré Jonathan Gruber, professeur au MIT. La baisse des charges au Chili, liée à la privatisation de la sécurité sociale, a été de 20 % entre 1980 et 1986, avec des différences de taux pouvant aller jusqu'à 12 points selon les secteurs. Or, elles n'ont eu aucun effet sur l'emploi, mais seulement sur les salaires, parce que le chômage était faible, et le marché du travail tendu.
En France, 70 % des salariés sont en dessous de 2,5 Smic. Les 30 % qui sont au-dessus connaissent un taux de chômage très faible, autour de 4 % à 5 %, voire moins. Si l'on baisse les charges sur ces salaires, l'effet sera une augmentation des salaires qui compensera rapidement les baisses de charges. D'autant qu'en France, le système de la négociation collective, avec extension possible des accords, entraîne une rigidité des salaires à la baisse. Il n'y aura donc guère d'effet sur la compétitivité.
Certes, les partenaires sociaux sont plutôt favorables à des allègements étalés, mais les raisons en sont simples : côté entreprises, pour qu'un maximum d'entre elles en bénéficie, côté salariés, pour bénéficier d'augmentations de salaires. Pour nous, il est au contraire crucial de cibler les allègements sur les bas salaires. On m'objectera l'effet de trappe à bas salaires, mais il n'est pas évident à démontrer. La baisse des charges, encore une fois, a pour premier effet d'augmenter les salaires.