Intervention de Mark Keese

Mission commune d'information impact emploi des exonérations de cotisations sociales — Réunion du 2 avril 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Mark Keese chef de la division de l'analyse et des politiques de l'emploi Mme Pia Rattenhuber statisticienne à la division des politiques sociales M. Hervé Boulhol économiste de la division des politiques sociales et Mme Gwenn Parent économiste sur les politiques sur les travailleurs licenciés à l'organisation de coopération et de développement économiques ocde

Mark Keese, chef de la division de l'analyse et des politiques de l'emploi :

Merci pour votre invitation et votre accueil. Nous vous présenterons un exposé qui s'efforce d'apporter un regard international sur la situation de l'emploi en France, articulé en deux parties. La première fait le point des comparaisons internationales, d'abord sur le niveau des cotisations sociales et leur lien avec la compétitivité, ensuite sur les dispositifs d'exonération de cotisations sociales en Europe et enfin sur le salaire minimum, avec ses interactions sur les politiques d'exonération de cotisations sociales. Dans une deuxième partie, nous évoquerons les effets de ces exonérations sur l'emploi, en particulier pour les jeunes et les peu qualifiés qui sont les groupes les plus vulnérables.

Premier constat : le coût unitaire de main d'oeuvre est en constante augmentation en France de 2000 à 2013. On peut noter que l'écart entre la France et l'Allemagne a beaucoup augmenté. Au Portugal, en Italie et en Espagne, ce coût a également augmenté sur la longue période mais cette tendance s'est infléchie à partir des années 2009, avec l'apparition d'un chômage massif. Cette inflexion est particulièrement nette en Espagne ou au Portugal alors que les coûts salariaux ont maintenu leur progression en France.

Un des principaux facteurs explicatifs du niveau élevé du coût du travail en France réside dans le poids important des cotisations sociales : la France détient le record OCDE du pourcentage de cotisations sociales salariales et patronales par rapport aux coûts totaux de main d'oeuvre. Le poids élevé des charges patronales, qui atteint 30 % du coût total de main d'oeuvre (contre 10 % pour les cotisations salariales), est également une singularité française par rapport à la moyenne de ses partenaires de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Je signale qu'au Danemark, les cotisations sociales représentent seulement 4 % du salaire moyen, ce qui s'explique par un mode de financement de la protection sociale par le budget de l'Etat et des prélèvements sociaux par le biais de l'impôt sur le revenu.

Une autre manière de prendre la mesure de ce phénomène est de constater que les prélèvements pesant sur le travail atteignent 15,5 % du PIB en France, ce qui correspond au taux le plus élevé des pays de l'OCDE, avec, à l'autre extrémité, le Danemark où cette proportion se limite à 1 %.

S'agissant de l'utilisation de l'outil de politique économique que constituent les exonérations de cotisations sociales, on observe, tout d'abord, que dans les autres pays européens ces allègements n'ont pas comme objectif premier le renforcement de la compétitivité. Les réductions généralisées de cotisations sur les bas salaires sont ainsi assez rares, en dehors du cas français, avec la réduction dite « Fillon » de 20 milliards d'euros concernant les salaires jusqu'à 1.6 Smic. On peut tout de même citer l'exemple du « bonus social » en Belgique, d'une mesure temporaire d'exonération prise en Hongrie pendant la crise et d'une exemption de cotisation sociale en Irlande qui s'applique aux premiers 352 euros de salaire hebdomadaire, mais ces politiques d'exonération ne sont pas mises en oeuvre à la même échelle qu'en France.

En revanche, en Europe, les allègements de cotisation sont plus volontiers ciblés pour venir en aide à des groupes défavorisés : tel est le cas en Belgique, pour les jeunes peu qualifiés, et en Allemagne pour les chômeurs de longue durée.

L'impact négatif des prélèvements sur le travail est renforcé par les rigidités salariales. Ainsi, en France, le plancher que constitue le salaire minimum ne permet pas de donner des marges de manoeuvre aux employeurs pour moduler les salaires et faire face à la charge très importante que constituent les prélèvements sur le travail. Le salaire minimum représente, en France, 62 % du salaire médian en 2012, contre 47 % au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Le pourcentage français est le plus élevé de l'OCDE et il a augmenté de façon continue alors qu'il a diminué dans d'autres pays comme l'Australie ou les Pays-Bas. Ce niveau élevé soulève des difficultés surtout pour les jeunes qui entrent sur le marché du travail et pour les peu qualifiés ; on a donc tenté, en France, de contrecarrer les effets de cette rigidité salariale par des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires. Comme en témoignent les données comparatives, si le ratio salaire minimum sur salaire médian est en France le plus élevé des pays de l'OCDE, ces exonérations de cotisations diminuent sensiblement le coût du salaire minimum par rapport au coût du travail médian le ramenant dans la moyenne supérieure européenne.

Cette première partie de notre exposé permet donc de constater que les allègements généraux de cotisation sur les salaires permettent, en France, de réduire les rigidités salariales en diminuant le coût du salaire minimum.

Quels sont, dans un second temps, les effets des allègements de cotisations sociales patronales sur l'emploi et les salaires ? Selon les études qui ont été réalisées, les allègements concentrés sur les salaires inférieurs à 1,6 du Smic ont permis de créer entre 200 000 et 550 000 emplois. L'impact semble donc avoir été important. Toutefois, le risque de blocage des progressions salariales pour ceux qui perçoivent jusqu'à 1,6 fois le Smic semble bien réel, les employeurs s'efforçant de maintenir les salariés dans un niveau de rémunération permettant de bénéficier des exonérations de cotisation. Celles-ci rendent en effet plus couteuse pour l'employeur l'augmentation de salaire avec les gains de productivité.

Cet effet pervers amène à se demander si la politique généralisée d'allègement des cotisations n'atteint pas ses limites en France. D'où l'idée d'agir plus directement sur le salaire minimum des jeunes français. Ces derniers ont été sévèrement affectés par la crise avec un taux de chômage élevé qui avoisine 25 %, ce qui est certes inférieur à celui que connaît, par exemple, l'Espagne, mais dont le niveau, en France, ne se réduit pas ou très peu, contrairement à ce que l'on observe dans d'autres pays comme en Irlande ou au Royaume-Uni. Ce taux de chômage atteint plus de 40 % pour les jeunes français sans diplôme, soit presque le double de la moyenne et plus du quadruple du taux de chômage des diplômés de l'enseignement supérieur. Dans le même temps, on constate un tassement des salaires entre les jeunes qualifiés et non qualifiés : les salaires des jeunes qualifiés sortant de leur formation initiale a diminué depuis les années 1990, alors que ceux des jeunes sortants non qualifiés a continué de progresser en raison du plancher que constitue le salaire minimum.

Nous faisons observer que de nombreux pays de l'OCDE ont institué un salaire minimum modulé en fonction de l'âge comme par exemple aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni. Il s'agit peut-être d'une piste à suivre en France car il semble difficile d'aller beaucoup plus loin en matière d'allègements généraux de cotisations.

En dehors des rigidités salariales, trois autres principaux facteurs expliquent les difficultés d'accès des jeunes français à l'emploi avec, tout d'abord, une dualité du marché du travail qui se traduit par le fait que 55 % des jeunes salariés de 15 à 24 ans sont en CDD, ensuite, les faiblesses de la formation professionnelle, et enfin la transition malaisée entre l'école et la vie professionnelle.

Ces difficultés appellent quatre séries de recommandations de la part de l'OCDE. La première est de renforcer les allocations pour les jeunes qui ne trouvent pas d'emploi tout en réduisant le salaire minimum : il conviendrait ainsi de généraliser la « Garantie Jeune », en cours d'expérimentation dans dix territoires, en envisageant une modulation du Smic en fonction de l'âge et en élargissant le RSA aux jeunes adultes ayant terminé leurs études, selon un barème progressif, également en fonction de l'âge. Notre seconde suggestion porte, pour autant que la conjoncture de l'emploi le permette, sur la réduction des contrats aidés dans le secteur non marchand car ces derniers s'accompagnent d'effets d'aubaines très importants. Il convient, en outre, de mieux coordonner l'accompagnement des jeunes par les différents acteurs et, enfin, d'accorder une priorité au développement de l'apprentissage, en s'inspirant de l'exemple allemand, mais aussi aux contrats en alternance pour les jeunes sans diplôme avec des aides ciblées, tout en généralisant les écoles de la deuxième chance pour les « décrocheurs scolaires » et en développant les programmes pour les jeunes sans qualification, comme en Autriche ou en Finlande.

Nous insistons sur la recommandation qui consiste, pour la France, à s'inspirer des facteurs de succès de l'apprentissage dans d'autres pays. Elle comporte les différents volets suivants : développer les programmes de pré-apprentissage permettant de mettre à niveau les jeunes en difficulté et de les préparer à leur entrée en apprentissage en entreprise comme en Allemagne ou au Royaume-Uni ; abolir les limites d'âge, en apprentissage, pour inclure tous les publics en difficulté ; compléter la formation initiale par des modules permettant de valider des diplômes similaires à ceux de l'enseignement général, comme en Allemagne ; rapprocher la voie de l'enseignement professionnel scolaire et celle de l'alternance, qui en France sont trop cloisonnées et souffrent de l'insuffisance de passerelles ; rendre l'apprentissage plus flexible en développant la certification basée sur l'acquisition des compétences et non sur une durée prédéfinie d'apprentissage ; encourager l'implication des représentants des employeurs, des syndicats et de l'Etat dans la révision périodique du contenu des formations afin de suivre l'évolution du progrès technique et organisationnel, comme en Allemagne, et enfin, compléter les aides financières accordées aux employeurs pour les formations axées sur les métiers en tension, sur les personnes très peu qualifiés (comme en Australie), ou sur certains métiers spécialisés (comme au Canada).

De façon générale, nous estimons que le système allemand de l'apprentissage qui repose sur une tradition historique spécifique est difficilement transposable en France ; c'est pourquoi il est sans doute plus pertinent de s'inspirer des récentes évolutions intervenues au Royaume-Uni ou en Australie qui ont reconstruit intégralement leur modèle d'enseignement professionnel, d'apprentissage et d'alternance.

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