Nous examinons aujourd'hui, en deuxième lecture, le projet de loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, pour lequel la commission des lois a décidé de nous déléguer l'examen au fond de 32 articles sur les 93 restants en discussion. Présenté en Conseil des ministres le 3 juillet 2013, ce texte a été adopté en première lecture au Sénat le 17 septembre suivant, puis à l'Assemblée nationale le 28 janvier dernier.
Partant du constat que les inégalités entre les femmes et les hommes perdurent dans l'ensemble des sphères de la société et qu'elles se renforcent les unes les autres, il vise à les combattre non plus par une approche sectorielle - méthode qui prévalait jusqu'ici - mais par une approche transversale ou intégrée, démarche totalement novatrice. Il couvre ainsi plusieurs grandes thématiques qui sont au coeur des inégalités entre les sexes : le meilleur partage des responsabilités parentales pour faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale ; la poursuite du combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans l'entreprise ; la lutte contre la précarité des femmes, notamment celle des mères isolées ; la protection des femmes contre toutes les formes de violences ; la concrétisation de l'objectif constitutionnel de parité.
Quelles sont les principales modifications adoptées par l'Assemblée nationale en première lecture ?
Commençons par les dispositions en faveur d'un partage plus équitable des responsabilités parentales. La plus emblématique d'entre elles, inscrite à l'article 2, est l'instauration d'une période de partage des droits au complément de libre choix d'activité (CLCA) entre les parents, dont l'objectif est double : inciter les pères à réduire ou interrompre leur activité professionnelle pour s'occuper de leur enfant ; améliorer le retour à l'emploi des mères qui le souhaitent. A compter du 1er juillet 2014, il est prévu que le CLCA soit versé pendant une durée initiale de six mois pour un enfant de rang un, de trente mois pour un enfant de rang deux et plus. Cette durée pourra être prolongée de six mois, dès lors que chacun des parents aura fait valoir son droit au complément.
A mon initiative, le Sénat avait décidé de modifier le nom du CLCA, considérant que le recours à cette prestation n'était pas toujours l'expression d'un libre choix dans la mesure où plus de 96 % de ses bénéficiaires sont des femmes. Le nouvel intitulé proposé, « prestation partagée d'accueil de l'enfant », mettait en évidence l'incitation au partage de la prestation entre les parents. Craignant une confusion avec la prestation d'accueil du jeune enfant (Paje), dont elle constitue l'un des quatre volets, l'Assemblée nationale a préféré la renommer « prestation partagée d'éducation de l'enfant » ou « Prépare », solution qui me convient très bien également.
Elle a, par ailleurs, complété le dispositif sur plusieurs points, en particulier concernant les naissances multiples d'au moins trois enfants. Compte tenu des difficultés organisationnelles auxquelles sont confrontés les parents de « multiples », une disposition a été introduite afin de mettre en cohérence la durée du congé parental d'éducation - actuellement limitée à trois ans - avec la durée de versement de la prestation partagée qui est de six ans au maximum. Le congé parental pourra désormais être prolongé jusqu'au sixième anniversaire des enfants.
L'Assemblée nationale a également décidé d'ouvrir, à titre expérimental, le bénéfice du montant majoré de la Prépare (anciennement complément optionnel de libre choix d'activité ou Colca), aujourd'hui réservé aux parents de trois enfants ou plus, aux parents de deux enfants, le but étant de faciliter le retour à l'emploi de ceux ayant temporairement cessé leur activité professionnelle pour s'occuper de leurs enfants (article 2 bis E).
J'indique également que l'Assemblée nationale a maintenu l'article 2 ter, introduit au Sénat à l'initiative du Gouvernement, qui prévoit la conclusion d'une convention entre Pôle emploi et la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) portant sur l'accompagnement vers l'emploi des bénéficiaires de la Prépare qui étaient en inactivité au moment de leur entrée dans le dispositif.
S'agissant de la santé des femmes, l'Assemblée nationale a tout d'abord adopté un nouvel article 5 quinquies B qui modifie le titre de la deuxième partie du code de la santé publique. Actuellement intitulée « Santé de la famille, de la mère et de l'enfant », cette deuxième partie est renommée « Santé reproductive, droits de la femme et protection de la santé de l'enfant ». Cette nouvelle formulation permet d'une part, de mieux définir les différents thèmes traités dans cette partie du code, d'autre part, de reconnaître explicitement les droits des femmes en matière de santé, notamment s'agissant de la maîtrise de leur sexualité.
L'Assemblée nationale a ensuite introduit un nouvel article 5 quinquies C qui supprime, à l'article L. 2212-1 du code de la santé publique, la référence à « l'état de détresse » de la femme demandant une interruption volontaire de grossesse (IVG). Cette disposition de la loi Veil de 1975 est devenue obsolète puisque la situation de détresse n'est, dans les faits, jamais vérifiée. Par cette modification sémantique, il s'agit donc non seulement de mettre le droit en conformité avec la pratique, mais aussi d'affirmer solennellement le droit des femmes à disposer de leurs corps, celles-ci devant être les seules juges de leur état et des motifs pour lesquels elles ont recours à une IVG. Contrairement à ce que l'on a pu entendre ici ou là, l'objectif de cette mesure n'est pas de sous-estimer la détresse qui peut accompagner le parcours d'une femme vers l'IVG, mais de ne pas en faire une condition de recours à ce droit. Dès 1980, le Conseil d'Etat avait d'ailleurs considéré que « la référence à la situation de détresse n'était pas une condition » pour qu'une femme puisse pratiquer une IVG. Je rappellerai, en outre, que cette suppression ne modifie en rien le délai pendant lequel l'IVG peut être pratiquée, qui demeure fixé à douze semaines.
Enfin, nos collègues députés ont maintenu l'article 5 quinquies, introduit au Sénat à l'initiative du groupe socialiste, qui étend le délit d'entrave à l'IVG au fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher l'accès à l'information sur cet acte.
Le développement de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est un volet du projet de loi que son examen parlementaire a considérablement enrichi. Il ne comptait à l'origine que deux articles, sans apporter de modifications majeures au droit existant. Le texte adopté par l'Assemblée nationale comporte une douzaine d'articles abordant cette thématique et améliorant significativement l'effectivité des dispositions actuelles.
Je vous rappelle que le Sénat avait adopté, sur proposition du Gouvernement, plusieurs amendements assurant la transposition législative de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013. Signé par la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC, le Medef, l'UPA et la CGPME, il traite à la fois de la qualité de vie au travail et de l'égalité professionnelle. Au coeur de celui-ci se trouve l'article 2 E, qui réforme la négociation d'entreprise sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Aujourd'hui cohabitent deux négociations annuelles mal articulées, l'une sur l'égalité professionnelle et l'autre sur l'égalité salariale. Elles sont fusionnées, sans que sur le fond les obligations des entreprises ne soient modifiées. Ce n'était d'ailleurs pas le souhait des partenaires sociaux.
De même, nous avions engagé une rénovation du rapport de situation comparée. L'Assemblée nationale l'a poursuivie, à l'article 5 ter, afin d'en faire un outil de mesure des écarts de rémunération et de promotion professionnelle qui s'accumulent au cours d'une carrière.
Je vous rappelle que l'article 4 met enfin en place une protection des collaboratrices libérales contre la rupture de leur contrat de collaboration en cas de grossesse. Il reconnait également aux collaborateurs libéraux la possibilité de bénéficier de l'équivalent d'un congé de paternité et d'un congé d'adoption. Ce sont des avancées du Sénat qui n'ont pas été remises en cause par l'Assemblée nationale.
Les députés ont souhaité renforcer les droits et la protection offerte aux conjoints salariés d'une femme enceinte. L'article 2 bis A institue une protection des pères salariés contre le licenciement pendant les quatre semaines qui suivent la naissance de leur enfant. L'article 2 bis B leur accorde trois autorisations d'absence pour assister aux examens médicaux prénataux de leur compagne. C'est le corollaire du partage plus équilibré des responsabilités parentales recherché par ce projet de loi.
Enfin, un effort particulier devra être réalisé au niveau des branches professionnelles, lorsqu'elles établissent leurs classifications, afin que les critères retenus ne génèrent pas de discriminations à l'égard des femmes (article 2 C). De même, les entreprises devront mieux prendre en compte l'exposition des femmes aux risques professionnels (article 5 quater A). C'est une urgence : une étude très récente de l'agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) a montré que le nombre d'accidents du travail a diminué de 23,3 % chez les hommes entre 2001 et 2012 mais qu'il a progressé de 20,3 % chez les femmes dans la même période.
Les dispositions relatives à la lutte contre la précarité n'ont pas été sensiblement modifiées. Dans la continuité du travail effectué par le Sénat, l'Assemblée nationale a apporté des précisions techniques à l'article 6, qui vise à mieux protéger les parents vivant seuls avec leurs enfants contre les impayés de pensions alimentaires en expérimentant un renforcement des mécanismes de garantie publique existants. Elle a également maintenu, tout en les enrichissant, deux articles introduits au Sénat à l'initiative du Gouvernement. L'article 6 quinquies ouvre aux bénéficiaires de la Prépare le bénéfice du dispositif d'accès prioritaire aux places de crèches, actuellement réservé aux personnes en parcours d'insertion. L'article 6 septies prévoit quant à lui l'expérimentation du versement en tiers-payant du complément de libre choix du mode de garde perçu par les familles modestes.
Enfin, dernière disposition qui nous a été confiée, le nouvel article 23 bis A, vise à assurer, de manière progressive, la parité au sein des conseils d'administration des caisses nationales de sécurité sociale, où la présence des femmes est encore bien modeste.
Plus de trente ans après l'adoption de la loi « Roudy », je suis convaincue que ce texte est porteur de nouvelles avancées pour cette grande cause qu'est l'égalité entre les femmes et les hommes. Il est la traduction de l'engagement fort du Gouvernement en sa faveur, qui est également illustré par le maintien d'un ministère des droits des femmes de plein exercice aux côtés de Manuel Valls. Je vous propose donc de l'adopter sous réserve des quelques amendements, essentiellement d'ordre rédactionnel, que je vous présenterai dans un instant.