Intervention de Richard Swetenham

Mission commune d'information sur l'accès aux documents administratifs — Réunion du 3 avril 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Richard Swetenham conseiller du directeur général chargé de contribuer à la mise en oeuvre et au développement de la politique de la commission européenne dans le domaine de l'open data

Richard Swetenham, conseiller du directeur général chargé de contribuer à la mise en oeuvre et au développement de la politique de la Commission européenne dans le domaine de l'open data :

Je vous remercie d'avoir invité un représentant de la Commission européenne et je me réjouis que le Sénat s'intéresse à ce sujet que la Commission considère depuis longtemps comme un enjeu majeur, ce qui l'a conduite à jouer un rôle pionnier en la matière. L'on ne peut en effet pas dire que lorsqu'elle s'est saisie du sujet en 2001, il était considéré comme d'une grande importance politique. Cependant, au fil du temps, l'intérêt de ce sujet n'a fait que croître, avec le développement de la réutilisation des données publiques à des fins commerciales par des entreprises, l'émergence d'un large mouvement en faveur de l'open data au nom de la transparence de l'action publique, du contrôle des citoyens, voire de l'efficacité de la gestion des services publics, et, plus récemment encore les enjeux du big data, - la collecte automatique massive de données publiques et privées par des entreprises -, soulève des questions autour de la protection de la vie privée et de la répartition des coûts et des bénéfices éventuels. Au-delà de l'adoption de la directive, la discussion se poursuivra.

Dans les années 1990 déjà, des travaux préparatoires ont été menés par un groupe d'experts, le Legal Advisory Board. Une première impulsion politique a été donnée par un commissaire européen qui avait compris, grâce à des contacts avec l'industrie, qu'il y avait là un gisement inexploité. Le législateur européen - Parlement et Conseil -, a été convaincu et une première directive a été adoptée. Dans la plupart des cas, les délais de transposition n'ont pas été respectés. Il a en outre fallu que les dix nouveaux Etats membres mettent en place une législation ad hoc. Certains d'entre eux, issus du bloc de l'Est, avaient déjà adopté une législation très libérale en matière d'accès aux documents administratifs, parfois plus que celle de l'Allemagne, mais nous avons dû négocier avec eux pour qu'ils aillent au-delà et assurent l'entrée en vigueur sur le plan national des règles posées par la directive de 2003.

En 2010, la Commission, qui était tenue de passer en revue l'Etat d'avancement de la mise en oeuvre de la directive, a constaté qu'il était encore prématuré de tirer des leçons. Aussi, a-t-elle demandé un rapport sur l'aspect macroéconomique du sujet, un rapport très détaillé établi par Deloitte, avec des études de cas, sur la tarification par les administrations nationales de la réutilisation de leurs données et, enfin, une étude sur le domaine culturel qui n'était pas couvert par la directive. Ces documents sont intéressants et des enseignements en ont été tirés. Le potentiel économique d'une réutilisation des données cédées au maximum à leur coût marginal a été chiffré à 40 milliards d'euros. De même, il a été constaté que certaines administrations, qui avaient d'abord demandé des redevances très élevées, calculées en fonction du coût de production des données, les avaient abaissées afin de permettre une augmentation significative de la réutilisation. Ces données sont incontestables puisqu'elles ont été validées par les administrations - une administration française a toutefois finalement trouvé trop gênant de participer à la rédaction finale de ce rapport.

Deux visions s'opposent en la matière. Dans une approche microéconomique, certaines données présentent un intérêt évident pour un groupe d'acteurs économiques dont les clients sont prêts à acquitter des sommes non négligeables. Les redevances élevées qu'ils peuvent alors leur facturer présentent un intérêt immédiat évident pour leur financement des producteurs publics de données mais contrarient la concurrence entre entreprises en introduisant une barrière à l'entrée sur un marché. Dès lors, il convient de ne pas en rester à une vision immédiate. Mieux vaut, dans une vision macroéconomique, prendre en compte toutes les retombées de l'activité.

La Commission a proposé une révision de la directive, afin que la règle de base soit le coût marginal. Avec Internet, le coût marginal de mise en ligne des données est nul. Malgré les invites de certains, nous n'avons toutefois pas cru possible d'en tirer une règle absolue. Les Etats membres conservent donc la possibilité de décider que la réutilisation de certaines données sera payante. Nous avons simplement édicté des règles un peu plus contraignantes sur les niveaux acceptables et les voies de recours. Nous avions été très intéressés par le système français mis en place pour les nouvelles redevances, parce qu'il fallait les justifier auprès d'une instance consultative auprès du Gouvernement. Le législateur européen ne nous a pas totalement suivis sur ce point.

La directive révisée crée un véritable droit à la réutilisation des données publiques, même si cela n'apparaît pas ainsi dans la rédaction. Les Etats membres pouvaient jusqu'à présent accepter ou non la réutilisation. Désormais, les documents sont réutilisables pour autant que le législateur national a prévu que le public y a accès.

Nous espérons qu'avec le développement de la mise en ligne des informations publiques, les documents seront à la fois beaucoup plus facilement accessibles pour les utilisateurs comme pour les réutilisateurs, et bien moins onéreux, voire même gratuits.

Nous avons inclus dans le champ d'application de cette directive certaines institutions culturelles, comme les archives, les musées ou les bibliothèques. En revanche, orchestres, théâtres et ballets n'y figurent pas, car il s'agit d'activités créatives, ce qui aurait donné lieu à des complications supplémentaires. Ces institutions ont été incluses à des conditions voisines de celles de la directive originale, en particulier pour la facturation, car la redevance suit les coûts exposés par l'institution.

La Commission va poursuivre son action pour s'assurer que les Etats membres mettent bien en oeuvre les nouvelles règles. Nous avons des contacts avec les services compétents des Etats membres qui préparent les modifications législatives ou techniques nécessaires. La législation européenne nous a en outre invités à présenter des orientations sur la tarification, sur les licences et sur les jeux de données dont l'ouverture doit être privilégiée. A cette fin, la Commission a procédé à une consultation dans le but d'aider les administrations et les réutilisateurs à profiter au maximum de ces nouvelles règles.

En pratique, il est nécessaire d'encourager toutes les initiatives, qu'elles émanent des Etats, d'individus, d'organismes ou de collectivités locales, afin que le plus de données possibles soient mises à disposition. Comme toujours, l'application est affaire de conditions et de personnes. En France, je salue l'action d'Etalab et le rapport de M. Trojette que j'ai eu l'occasion de rencontrer, ou l'engagement de la ville de Nantes. L'émulation se révèle tout à fait positive. Quand Montpellier met immédiatement en ligne les résultats des dernières élections municipales, cela a un effet d'entraînement.

Un autre moyen d'action consiste à encourager les rencontres d'experts, comme nous le faisons depuis longtemps. Un groupe d'experts nationaux en matière d'informations du secteur public se réunit depuis ainsi plusieurs années. Un sous-groupe technique s'occupe des portails. Un contrat de soutien permet d'apporter une aide technique à la mise en place de portails par les Etats membres. Un autre groupe analyse les questions juridiques.

Des projets de recherche sont financés par la Commission, comme le portail regroupant les informations des institutions et agences européennes. La Commission a commencé par ses informations et celles des institutions : le portail open-data.eu a vocation à être utilisé par les institutions qui le souhaitent, le portail recherche PublicData.eu a vocation à s'appuyer sur les nouveaux programmes de recherche qui viennent d'être décidés.

La Commission, sans avoir entrepris une action formelle en la matière, souhaite que tout détenteur de données qui les met en ligne et y donne accès par l'intermédiaire d'un portail, se conforme à certains standards. Les niveaux de qualité des données sont très variés : un peu comme pour les restaurants, tous n'ont pas trois macarons... Certains ont conçu la mise à disposition de documents papier dans un format pdf, ce qui rend difficile la réutilisation des données. Si les linked data apparaissent préférables car ils décrivent les jeux de données, ce qui permet d'en automatiser le traitement et de les restructurer pour un usage différent, mieux vaut toutefois que l'information soit en ligne qu'absente...

Il est encore trop tôt pour parler de l'extension de la directive aux institutions culturelle ; reste que de nombreuses initiatives sont déjà en oeuvre en la matière, comportant parfois des partenariats avec le secteur privé. Nous formons le voeu que cette directive accélère le mouvement déjà amorcé. Il faudrait que l'ouverture de ces contenus à la concurrence devienne la norme et l'exclusivité l'exception. La tarification en matière culturelle devra en tenir compte, sans compter les conséquences macroéconomiques : le budget public profite de ces activités qui dégagent des recettes fiscales tant au titre de l'impôt sur les sociétés que de l'imposition des salariés qui travaillent chez les réutilisateurs ou encore de la TVA.

Vous souhaitez une précision sur les exceptions. L'exclusion des documents relatifs à la sécurité nationale et à des informations commerciales confidentielles existait déjà. La directive ne fait que clarifier les choses à cet égard.

S'agissant des institutions européennes, la Commission européenne s'inspire des principes de la directive et a adopté une décision en ce sens pour ses propres données. Le Parlement européen et le Conseil n'ont pas pris formellement une telle décision mais nous les y encourageons vivement. Ces deux institutions mettent toutefois déjà en ligne beaucoup de documents, dans plusieurs langues, tout comme la Cour de justice. Gros producteur de données, l'Office statistique européen a abandonné la tarification depuis six ou sept ans.... Bientôt, les satellites du système Galileo vont produire des quantités considérables de nouvelles données satellitaires, extrêmement intéressantes. La possibilité de leur réutilisation est prévue. Ex ante, il est difficile de dire à quoi serviront les données mises en ligne. Leur disponibilité en créera les usages.

La demande de jeux de données du secteur public aisément réutilisables est aujourd'hui très élevée et la Commission encourage les Etats membres à y répondre.

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