Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 8 avril 2014 : 1ère réunion
La zone économique exclusive des outre-mer : quels enjeux ? examen du rapport d'information

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette, co-rapporteur :

La planète a connu depuis quelques années une révolution silencieuse : celle du partage des océans.

Si l'on a commencé à parler - sans doute trop tôt - des fameux « nodules polymétalliques » du fond des mers depuis les années 1970, ce n'est en réalité que depuis la convention de Montego Bay, en 1982, que le droit international accorde des droits souverains aux États sur les ressources situées jusqu'à 200 milles des côtes, c'est-à-dire dans la zone économique exclusive, la fameuse ZEE. Cette convention n'est d'ailleurs entrée en vigueur qu'en 1994.

La révolution dont nous parlons est donc très récente. Pourtant, elle constitue d'ores et déjà un changement majeur de la donne géopolitique et économique mondiale, comme en témoignent le progrès très rapide des techniques d'extraction de minerai offshore ou les tensions pour le partage des espaces maritimes, par exemple dans le canal du Mozambique, région dans laquelle la France est très présente grâce aux ZEE liées aux Îles Éparses.

Alors que la planète bleue s'approche des 10 milliards d'habitants et que les ressources terrestres s'amenuisent, la mer attire en effet les convoitises tant elle se révèle être un réservoir de ressources à la fois énergétiques et alimentaires ou, notamment à travers les algues, une source d'innovations considérables, comme dans le domaine médical. Sa biodiversité, à l'origine de cette richesse, doit aussi être préservée car la mer est un milieu fragile. Quoi qu'il en soit, la course au contrôle des ressources marines et sous-marines est lancée, mobilisant notamment les efforts de la Chine, y compris loin de ses propres rivages.

Sur la ligne de départ de cette course, la France bénéficie grâce aux outre-mer d'une position extrêmement favorable. Avec 11 millions de km2, notre ZEE est la deuxième mondiale par son étendue derrière celle des États-Unis. Elle est la plus diversifiée et se trouve répartie aux quatre coins du planisphère. Ceci fait de la France le premier pays maritime au sein des instances onusiennes créées par la convention de Montego Bay, dans la mesure où les États-Unis n'ont pas ratifié ce texte.

Comment la France peut-elle se saisir d'un tel atout ? A-t-elle pris conscience des changements intervenus ces dernières années ? Et si oui, en a-t-elle tiré les conséquences en termes d'actions dans ces territoires nouveaux que beaucoup lui envient ?

Quels sont les enjeux des ZEE ultramarines ? C'est la question dont la délégation nous a confié l'instruction et sur laquelle nous allons vous présenter aujourd'hui nos éléments de réponses.

Richard Tuheiava reviendra sur les ressources des ZEE et Joël Guerriau nous éclairera sur les enjeux pour la France en termes géopolitiques et de gouvernance. Pour ma part, je commencerai par ce qui, nous semble-t-il, est le premier des enjeux intéressant notre délégation. Je veux parler du lien entre les ZEE et les outre-mer français.

Vous ne serez en effet pas surpris que notre rapport commence par cet aspect car 97 % de la zone économique exclusive française se situe dans les outre-mer et ces derniers sont les premiers concernés par la valorisation de ressources extrêmement diverses. Les territoires ont un rôle irremplaçable à jouer dans la valorisation de ces potentiels.

Ces derniers répondent aux souhaits de chacune de nos collectivités, quelle que soit leur situation statutaire, de s'engager dans la voie d'un développement durable et plus autonome, fondé sur les atouts locaux, répondant aux attentes économiques et sociales de nos concitoyens. Le temps n'est plus où l'exploitation de certains intérêts ou de certaines ressources stratégiques aboutissait à l'implantation de poches de compétitivité limitées à un secteur économique ou une zone géographique déterminée, parfois à l'origine d'une économie de rente et, dans tous les cas, échappait à la maîtrise de la société et des acteurs locaux tout en étouffant les ressorts du développement local. Les ZEE offrent une réelle occasion de se dégager du poids du passé en sortant de ce cercle vicieux créé par une relation exclusive et asymétrique avec l'hexagone.

En Guyane, la comparaison entre l'installation du centre spatial européen après la perte du site de lancement du Sahara algérien en 1962 et la conduite actuelle du projet d'exploration pétrolière en concertation étroite avec les élus et l'ensemble des parties prenantes atteste d'un changement d'époque. Les acteurs locaux sont les plus à mêmes de saisir les opportunités et les besoins des territoires.

À La Réunion, une société locale (Bioalgostral), l'agence de développement et un producteur d'électricité se sont ainsi unis pour développer un biocarburant de troisième génération à partir des algues marines destiné à alimenter les centrales et ainsi répondre, avec une ressource locale, au handicap de l'île s'agissant des approvisionnements énergétiques. C'est aux acteurs locaux, et en particulier aux collectivités, que revient naturellement la mission d'assurer le dialogue entre les différentes parties prenantes aux projets liés au développement des ZEE.

Vous ne m'en voudrez pas de reprendre l'exemple de la Guyane mais les récentes tensions avec les représentants des pêcheurs à propos de nouvelles demandes de permis de prospection pétrolière offshore montrent à quel point le dialogue est nécessaire pour arbitrer les conflits d'usage de la mer et pour définir des projets de développement durable sur nos territoires, qui profitent à tous. Les acteurs locaux, en première ligne dans leur environnement régional, jouent aussi un rôle d'aiguillon pour les responsables hexagonaux. Lorsque nous apprenons que le gouvernement polynésien, qui dispose de compétences propres en la matière, discute avec des industriels chinois intéressés par les métaux stratégiques - les fameuses terres rares - de la ZEE de Polynésie française, c'est de nature à nous rappeler l'âpreté de la course mondiale aux ressources sous-marines, en particulier dans le Pacifique, qui n'est pas toujours correctement perçue de Paris.

Il n'y aura pas de valorisation des ZEE sans que cela corresponde à un véritable projet pour chacun des territoires. Cela suppose que chacun d'eux soit en capacité de définir sa stratégie. Bien souvent, cela appelle un changement de regard de l'outre-mer sur lui-même, en quelque sorte une prise en main plus affirmée de ses choix économiques, sociaux et environnementaux. Soyons bien conscients qu'il s'agit aussi parfois de revenir sur la façon dont culturellement nous percevons la mer, et en particulier la haute mer. Il ne suffit pas d'être un peuple insulaire pour être un peuple marin. Or, les nouvelles règles posées par la convention de Montego Bay et la limitation des ressources à terre font de nos ZEE de véritables territoires à conquérir. Cette évolution concerne l'ensemble des sociétés ultramarines et chacune dans son identité propre. C'est sur cette analyse que repose notre recommandation n° 4 qui propose de favoriser, dans chaque territoire ultramarin, la mise en place d'un outil de coordination des actions mises en oeuvre localement. Dans les territoires ne disposant pas d'une compétence statutaire propre, cet outil pourra s'incarner dans un comité territorial de la ZEE animé par la collectivité en charge du développement économique.

Dès à présent, l'enjeu des ZEE nous conduit à un changement de regard en outre-mer mais aussi dans l'hexagone et au niveau européen.

Trop souvent encore, la vision des territoires ultramarins est celle des « confettis de l'Empire » alors que la ZEE nous projette dans la compétition en cours pour la maîtrise des ressources de l'avenir et qu'elle donne à la France des espaces représentant près de vingt fois la superficie de l'hexagone.

La France n'exploitera pas ses zones sans la pleine implication des territoires qui y sont liés. C'est l'un des messages qui ressortent de nos travaux et que nous souhaitons porter aujourd'hui. Or, en 2012, lorsque les élus de Wallis-et-Futuna ont souhaité savoir ce que l'Atalante, bateau de l'Ifremer venait faire dans leurs eaux, on n'a pas souhaité leur répondre et ils ont été éconduits par les services de l'État alors qu'ils avaient simplement demandé à monter dans l'embarcation ! Tout cela traduit un état d'esprit, une forme de « rétention » de la part de l'État que l'on retrouve dans notre droit lorsque, plus de treize ans après le vote de la loi du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer qui prévoit le transfert aux régions d'outre-mer de la compétence de délivrance des titres miniers en mer, les décrets n'ont toujours pas été pris.

De même, si l'on souhaite que les territoires élaborent leurs projets de développement autour de leurs ZEE, il faut les associer aux négociations menées par le ministère des affaires étrangères avec les pays voisins et aux démarches qui affectent les ressources maritimes. Cela vaut notamment pour les accords de délimitation de la ZEE ou d'extension du plateau continental - dont beaucoup restent à finaliser - jusqu'aux accords de pêche. Par son étendue, la ZEE française d'outre-mer constitue un enjeu majeur pour l'insertion des territoires ultramarins dans leur environnement régional. Tel est l'objet de notre recommandation n° 5 relative à une étroite association des collectivités ultramarines aux volets de la coopération régionale relatifs à la gestion des ressources marines.

Notre rapport insiste aussi sur la nécessité d'un nouveau regard de Bruxelles. Dans le rapport de la commission des Affaires économiques du 27 juin 2012, notre président Serge Larcher dénonçait déjà l'insuffisante prise en compte des spécificités ultramarines par la politique communautaire de la pêche. Il mettait ainsi en lumière des incohérences consistant par exemple à brider le développement de la flotte de pêche à La Réunion tout en subventionnant par ailleurs celle des Seychelles au titre de la politique de coopération ! Depuis quelques années, Bruxelles semble toutefois prendre conscience de l'atout des ZEE dans le nouveau contexte géostratégique et économique mondial : en témoigne la communication de septembre 2012 sur la croissance bleue de la Commission européenne qui vient de donner lieu, le 19 mars, au lancement d'une « consultation publique » sur l'exploitation minière sous-marine, dont le terme est fixé à la mi-juin. À plusieurs reprises, cette communication insiste sur la nécessité cruciale pour l'industrie européenne d'assurer son approvisionnement en métaux stratégiques - marché dont on sait qu'il est dominé et régulé - pour ne pas dire plus - par la Chine qui en fait une arme économique redoutable. Or, comme on pouvait le lire dans La Tribune il y a quelques mois, face à la Chine l'Europe possède en la matière deux atouts : la Polynésie française et le Groenland, territoire d'outre-mer danois. Le Danemark peut donc sans doute constituer un allié pour faire bouger l'Europe plus vite et plus fort, même si les deux territoires concernés ne font pas partie stricto sensu du territoire de l'Union européenne. Comme vous le savez en effet, au sens du Traité de Lisbonne, la Polynésie est un PTOM (pays et territoire d'outre-mer) et non une RUP (région ultrapériphérique). Mais, même pour ces dernières, la France doit faire son lobbying à Bruxelles pour que l'Europe investisse aussi sur ces atouts, qu'il s'agisse de la promotion des énergies marines ou de l'inventaire des ressources minérales. Notre recommandation n° 9 vise ainsi à ce que la France promeuve et dynamise le soutien de l'Union européenne à la valorisation des ZEE.

Si notre pays ne la fait pas, personne ne le fera à sa place puisque, à l'image de nos outremer, la ZEE française est absolument sans équivalent parmi les autres États membres.

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