Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 7 décembre 2006 à 9h30
Loi de finances pour 2007 — Politique des territoires

Photo de Thierry RepentinThierry Repentin :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en France, pays de 63 millions d'habitants sur environ 643 000 kilomètres carrés, la densité de population, 98 habitants au kilomètre carré, dissimule de fortes disparités.

Aujourd'hui, en France métropolitaine, les trois quarts des Français vivent dans des aires urbaines qui n'occupent que 18, 4 % du territoire. Zones rurales, littoral, montagne sont autant de composantes de notre identité dont il est de notre devoir de préserver le patrimoine humain, naturel et culturel, afin de maintenir les populations qui y vivent par un développement économique raisonné.

Tel est l'objet de la mission « Politique des territoires », dont nous examinons les crédits. Pour 2007, je note que les autorisations d'engagement sont en diminution de 17, 8 %. M. le ministre délégué à l'aménagement du territoire ne manquera pas de rappeler que les crédits de paiement ne reculent, pour leur part, « que » de 1, 1 %. J'anticipe donc sa remarque et persiste à dire mon inquiétude.

S'il y avait, en effet, un net décrochage entre autorisations d'engagement et crédits de paiement, il eût été utile d'informer la représentation nationale sur les causes de cet écart. Je doute qu'il y ait eu de l'argent en trop : l'aménagement du territoire a tant besoin de moyens ! Avant de mettre en cause la sincérité budgétaire, les parlementaires que nous sommes auraient pu s'interroger sur certains dispositifs, trop complexes ou inadaptés, et redéployer les crédits budgétaires de l'État sur d'autres actions.

Au-delà du montant des crédits inscrits à cette mission, je suis préoccupé par la mutation de leurs modalités d'attribution, qui font de plus en plus l'objet d'appels à projets. Je crains que, d'une politique d'aménagement du territoire national, nous ne passions à une pratique de subventions à des territoires élus.

Le parlementaire de montagne que je suis connaît les risques qu'un tel glissement fait peser sur nombre de pays ruraux et montagnards. Les financements deviennent aléatoires et tendent à reposer, non plus sur les caractéristiques géographiques, économiques et sociales du territoire, mais sur le résultat d'une course d'obstacles dans laquelle les collectivités et leurs élus sont en concurrence.

Oui, il s'agit bien d'une course d'obstacles. Je m'appuierai pour vous en convaincre, mes chers collègues, sur l'exemple des pôles d'excellence rurale.

En quoi donnent-ils lieu à une course ? Le soutien financier de l'État aux pôles d'excellence rurale dits « de la première vague », c'est-à-dire les 176 premiers projets labellisés, est crédité de 120 millions d'euros sur trois ans. Le soutien aux pôles d'excellence rurale de la deuxième vague ne s'élèvera, quant à lui, qu'à 90 millions d'euros, alors que le ministre délégué à l'aménagement du territoire a annoncé, lors de son audition devant la commission des affaires économiques, que 200 pôles labellisés seraient concernés ! Chaque projet labellisé en deuxième vague ne bénéficiera donc, en moyenne, que de 66 % de l'aide perçue par les pôles d'excellence rurale de première vague. Quelle injustice ! Ainsi, en moyenne, un pôle d'excellence rurale labellisé en deuxième vague bénéficiera de 232 000 euros d'aide de l'État de moins qu'un projet similaire labellisé en première vague.

Voilà pour la course : premiers arrivés, premiers servis.

Monsieur le ministre, comment justifier une telle injustice ? Est-ce là votre conception de l'égalité territoriale ?

Mais ce n'est pas tout !

Les premiers arrivés sont, en général, ceux qui ont le moins d'obstacles à surmonter ou le plus de moyens pour les franchir. Les petites communes et les petites intercommunalités sont, à ce titre, pénalisées. Elles ne disposent souvent pas de l'ingénierie suffisante pour élaborer ce type de dossiers, surtout dans les délais extrêmement courts exigés par les services de l'État. Quant à faire appel à une expertise extérieure, leurs faibles ressources financières les en empêchent.

Voilà pour les obstacles sur la ligne de départ.

Car la ligne d'arrivée n'en est, hélas, pas exempte : le suivi et la mise en oeuvre des programmes contractualisés ne peuvent pas toujours être garantis dans les délais imposés et les petites collectivités ne bénéficient alors pas de la totalité de l'enveloppe qui leur était allouée.

Le changement de terminologie qui a vu la DATAR rebaptisée en DIACT est tout à fait éloquent : il témoigne de cette philosophie nouvelle qui guide désormais l'intervention de l'État, à savoir la mise en concurrence des territoires et de leurs élus. Cette attitude laisse sur le bord du chemin nombre de communes et d'intercommunalités, dont les besoins en aménagement et équipements de base ne trouvent plus de financement national, faute de s'inscrire dans un projet « structurant ».

Sans structurer une région, monsieur le ministre, ces équipements n'en structurent pourtant pas moins la vie quotidienne des habitants du territoire de proximité.

Une commune pourra-t-elle encore bénéficier du soutien de l'État si son « excellence » ou sa « compétitivité » n'est pas reconnue et estampillée par un énième label ?

Cette problématique se pose de façon particulièrement aiguë en montagne, où le climat et le relief imposent de réévaluer les distances en fonction du temps de parcours. En matière de services publics, par exemple, prendre en compte l'éloignement d'un bureau de poste ou d'une école à vol d'oiseau n'a guère de sens : parcourir 3 kilomètres peut demander 30 minutes de voiture et conduire à l'isolement de villages entiers.

C'est pourquoi les élus de montagne sont particulièrement attentifs aux crédits alloués dans le cadre des conventions interrégionales de massif. Or ces crédits font l'objet d'une réduction nette quant aux autorisations d'engagement.

Ainsi, les crédits socio-économiques, d'un montant de 191 millions d'euros pour la période 2000-2006, connaissent une baisse de 11 % dans les conventions 2007-2013. Cette réduction ne manquera pas de grever les projets d'autodéveloppement à venir.

Nous devons également nous interroger sur le taux d'exécution des conventions interrégionales de massif : de 56 % sur l'ensemble des conventions conclues dans la période 2000-2006, il est de 68 % sur les crédits socio-économiques, c'est-à-dire hors infrastructures routières et ferroviaires. Je crois y déceler, d'une part, la difficulté pour l'État de respecter ses engagements en matière d'infrastructures lourdes sur l'ensemble du territoire et, d'autre part, l'ampleur des besoins en matière de développement socio-économique pour faire vivre les massifs et y maintenir les populations à l'année.

Enfin, je ne peux conclure sans pointer un autre désinvestissement de l'État, corollaire de son désengagement financier ; je veux parler de son rôle d'assistant à maîtrise d'ouvrage pour les petites collectivités.

Aujourd'hui, l'assistance technique de l'État est un outil intéressant, qui permet aux petites communes d'être accompagnées par les services de la DDE pour des missions spécifiques d'aménagement. Malheureusement, dans les faits, ce dispositif est souvent inopérant, tout simplement faute de moyens humains. À l'heure où le développement durable est sur toutes les lèvres, à cinq mois d'une échéance électorale majeure dans la perspective de laquelle les candidats rivalisent de préoccupations climatiques et environnementales, la politique d'aménagement du territoire orchestrée et financée par l'État doit retrouver le chemin de tous les territoires, y compris les territoires ruraux, y compris les territoires montagnards, labellisés ou non.

Pour les parlementaires socialistes, l'aménagement durable du territoire consiste à permettre à tous nos concitoyens de se loger, de travailler, d'étudier, d'accéder aux soins, aux services bancaires et aux commerces de bouche élémentaires, où qu'ils vivent, et pas seulement dans les territoires que vous avez sélectionnés comme étant « compétitifs ».

Monsieur le ministre délégué à l'aménagement du territoire, votre leader fait de la rupture son slogan pour le futur. Nous observons et regrettons que la rupture territoriale fasse déjà partie de vos pratiques.

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