La proposition de loi repose sur un certain nombre de postulats qui s'avèrent erronés. D'une part, elle mentionne l'existence de 20 000 personnes prostituées. Ce chiffre est bien en-deçà de la réalité, puisque l'association Médecins du Monde a recensé ce même nombre pour seulement quatre grandes villes de métropole ! En outre, le site internet sur lequel je diffuse mon profil compte déjà près de 5.000 membres ! Cette estimation s'appuie en réalité sur l'unique prise en compte des personnes qui travaillent dans la rue et qui tendent à devenir minoritaires, du fait notamment de l'utilisation d'internet.
D'autre part, la proposition de loi considère que près de 90 % des personnes prostituées sont des victimes de la traite des êtres humains et que parmi celles-ci, 80 % sont d'origine étrangère. Cette assimilation nous paraît relever de l'idéologie. Notre constat est plutôt que la majorité des travailleurs du sexe ne sont pas des victimes de la traite des êtres humains. Plutôt que de prétendre interdire la prostitution, il vaudrait mieux agir sur les conditions économiques et sociales qui en favorisent le développement.
Par ailleurs, pénaliser la sexualité entre adultes consentants nous semble constituer, en soi, une grave régression en matière de liberté publique ! Une telle démarche conduit à remettre en cause le discernement des travailleurs du sexe et à assimiler leur comportement à une pathologie. Certes, la suppression du délit de racolage au niveau national est une bonne chose, mais elle est sans intérêt puisque s'y substituera une pénalisation municipale !
En outre, le fait de conditionner le droit au séjour pour les personnes d'origine étrangère à l'abandon de leurs activités de prostituées est juridiquement incohérent. En effet, cela conduit à assimiler la prostitution à une activité illégale, alors qu'elle est considérée par ailleurs comme légale au point d'être imposée fiscalement. De plus, faute d'une aide suffisante à l'insertion, la grande précarité dans laquelle vivent ces personnes ne peut que les amener à revenir à ce travail. N'oublions pas non plus que celles-ci ont été, pour la plupart d'entre elles, trompées dans leur parcours migratoire et que leur désir de s'installer en France est réel ! C'est pourquoi, une telle conditionnalité, appliquée à des victimes, nous paraît créer une nouvelle source de discrimination.
En outre, le montant des aides octroyées en cas d'arrêt de la prostitution nous semble ridicule et témoigner d'un mépris affiché à l'égard des personnes prostituées.
En revanche, la proposition de loi occulte totalement la situation des personnes transsexuelles et les difficultés qu'elles éprouvent pour changer d'état civil, lesquelles sont à l'origine de leur discrimination sur le marché du travail. Elle laisse également à l'arbitraire des préfectures la régularisation des personnes sans papiers et ne précise rien sur la retraite des travailleurs du sexe qui doivent, faute d'un régime de cotisations, poursuivre leurs activités au-delà de soixante ans.
D'autres mesures nous paraissent sans portée aucune. Ainsi, l'interdiction d'accéder à des sites internet basés à l'étranger et proposant des services de prostitution pourra, à l'instar de ce qui se passe actuellement en France, être aisément contournée. Sa mise en oeuvre devrait aboutir aux effets inverses de ceux escomptés. L'ensemble des mesures devraient accroître les difficultés en matière d'accès au logement, du fait de l'extension déjà importante du délit de proxénétisme, et contribuer à la multiplication des intermédiaires induisant des hausses importantes de loyer. L'exemple de la Suède, prise comme modèle par les prohibitionnistes, est, à cet égard, éclairant : la pénalisation du client a accru les violences dont les personnes prostituées, en proie désormais à l'isolement et à la clandestinité, sont les premières victimes. À l'opposé des rapports officiels de son gouvernement, le Défenseur des droits suédois a d'ailleurs souligné que la politique prohibitionniste conduite dans son pays induisait une stigmatisation accrue des travailleurs du sexe et présentait de graves conséquences sanitaires. Privilégier l'abstinence et la répression revient ainsi à occulter un problème social : pour preuve, l'augmentation du nombre de salons de massage clandestins à Stockholm qui accueillent les personnes prostituées chassées de la voie publique.
Mesdames et Messieurs, vous l'aurez compris, le STRASS soutient le retrait pur et simple de cette proposition de loi !