Intervention de Rosen Hicher

Commission spéciale sur la lutte contre le système prostitutionnel — Réunion du 9 avril 2014 : 1ère réunion
Audition de mmes laurence nöelle et rosen hicher sorties de la prostitution

Rosen Hicher :

Je vous remercie d'entendre d'anciennes prostituées. Je me suis prostituée à l'âge de 31 ans et pendant 22 années, jusqu'en 2009, et je peux témoigner combien m'en sortir a été un parcours du combattant. Il m'avait fallu cinq minutes pour « tomber dedans ». Alors que je ne pensais me prostituer que quelques semaines pour résoudre des problèmes financiers temporaires, j'y suis restée 22 ans pour la bonne et simple raison que j'étais alors « accroc » à l'argent, devenu ma seule raison de vivre. Je faisais partie des prostituées soi-disant « libres », celles que l'on appelle aussi les « traditionnelles », « les historiques », qui soi-disant « choisiraient » la prostitution de manière volontaire. Je conteste cette vision des choses et les très nombreux témoignages que je reçois vont dans mon sens. Il n'y a pas de liberté dans la prostitution mais des personnes qui « tombent dedans » suite à des vies difficiles, à des abus sexuels pendant l'enfance, à de la violence conjugale ou à des viols. Ces personnes ont été progressivement construites, y compris par elles-mêmes, comme des prostituées et demandent la plupart du temps à arrêter, sans trouver toujours, parce que cela est très difficile, la voie pour s'en sortir. Je me souviens de la première fille qui m'a accompagnée sur le trottoir. Juste après ma première passe, elle m'a dit qu'elle avait l'impression que j'avais fait « ça » toute ma vie. Il m'a fallu des années pour comprendre pourquoi cela paraissait si naturel. J'ai mis bien du temps à voir que je m'étais de très longue date préparée, construite comme prostituée, depuis que j'avais été abusée sexuellement par un oncle puis par un ami de mon père, lequel était alcoolique, jusqu'au jour où, lors d'une fugue, j'avais été prise en autostop par deux proxénètes qui m'avaient conditionnée, d'abord couverte de cadeaux et de petits soins, avant de me livrer à une « tournante » entre copains et de me jeter sur le trottoir. Puis un jour, un homme m'a ouvert les yeux. Il se disait amoureux, je l'ai suivi, nous nous sommes mariés, nous avons eu trois enfants, j'ai trouvé du travail dans l'électronique, j'ai travaillé pendant dix ans ; puis j'ai perdu mon emploi et lorsque je n'ai plus eu de ressources, mon premier mouvement a été de me rendre dans un bar à hôtesses. Pendant dix ans j'avais arrêté, mais j'étais encore à ce point conditionnée que je suis retournée comme naturellement me prostituer et suis repartie dans mes vieux démons.

Toutes les femmes prostituées qui me parlent ont des parcours similaires. C'est en leur nom autant qu'au mien que je viens témoigner devant vous : toutes ces femmes sont en détresse, on ne peut continuer à laisser leur vie être ainsi gâchée ! Je pense à une jeune maman de 28 ans, qui vit à la rue et qui me parle des souffrances de l'une de ses « copines » qui lui demande de l'attendre pendant qu'elle se prostitue parce qu'elle a peur - mais cette « copine » n'est autre que cette jeune mère qui n'ose pas me dire qu'il s'agit d'elle-même. Ne croyez pas qu'on choisisse « librement » de se prostituer. Quoi qu'on en dise, la prostitution est toujours le résultat d'un parcours subi et violent. J'ai une fille de 17 ans et la prostitution, c'est tout ce que je ne veux pas qui lui arrive.

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