Intervention de Michel Magras

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 avril 2014 : 3ème réunion
Communication diverse

Photo de Michel MagrasMichel Magras, rapporteur :

Après des années de dysfonctionnements, sur fond de grave malaise identitaire, une ultime secousse, à la rentrée 2013, a provoqué la fracture de l'édifice universitaire tripolaire des Antilles et de la Guyane, mettant fin à une union de trente ans. La scission du pôle guyanais fut consommée en deux mois à peine, dans un contexte où les perspectives d'évolution institutionnelle et les rivalités politiques locales ont eu un effet catalyseur et ont conduit à un emballement des événements.

L'UAG, c'est l'histoire d'un ménage à trois à bout de souffle. Un embryon d'enseignement supérieur émerge d'abord en Martinique à la fin du dix-neuvième siècle avec la création d'une école préparatoire de droit rattachée à la faculté de Bordeaux, devenue en 1948, lors de la départementalisation, l'Institut Vizioz, du nom du doyen de la faculté de Bordeaux. À la fin des années 1960, deux branches d'enseignement supérieur se développent dans les Antilles, les sciences en Martinique et les lettres en Guadeloupe. En décembre 1970, est créé le centre universitaire des Antilles et de la Guyane (CUAG), doté de l'autonomie financière mais toujours rattaché pédagogiquement à la faculté de Bordeaux.

Les Antilles-Guyane émergent comme une zone de cohérence éducative et universitaire propre avec la création de l'académie Antilles-Guyane en 1973, qui met fin au rattachement historique, au moins sur le plan de la politique scolaire, à l'académie de Bordeaux. Le CUAG est finalement transformé en université de plein exercice à compter d'octobre 1982. Sous l'impulsion de son premier président, les implantations scientifiques et littéraires sont interverties : la Martinique se spécialise dans les domaines des sciences humaines et sociales, en particulier le droit et l'économie, la Guadeloupe dans les sciences exactes et naturelles. Dans le même temps, les formations technologiques courtes se développent en Guyane. L'ombre des rivalités entre territoires plane de façon continue sur le processus de construction de l'enseignement supérieur dans la zone : alors que le rectorat des Antilles-Guyane est installé en Martinique, la Guadeloupe obtient le siège de l'université.

Dès le milieu des années 1980, la spécialisation pédagogique et fonctionnelle de l'UAG est sérieusement mise à mal par un mouvement continu de duplication des formations et des composantes sur l'ensemble des territoires, au nom de l'exigence de proximité de l'offre d'enseignement supérieur. Le coût et la complexité de la mobilité des étudiants entre les trois départements incitent également au développement d'une offre universitaire de plus en plus pluridisciplinaire sur chaque territoire.

La Guyane ne pèse alors que très peu dans le processus décisionnel central du centre universitaire. Face à la rivalité ancienne entre la Martinique et la Guadeloupe elle a du mal à jouer un rôle dans les décisions stratégiques d'un établissement qui se veut, pourtant, tripolaire. Ni le CUAG ni l'UAG n'ont eu, à aucun moment de leur histoire, un président directement issu du pôle guyanais. L'enseignement supérieur antillo-guyanais a ainsi été dirigé pendant près de 19 ans par des universitaires martiniquais et pendant 23 ans par des universitaires guadeloupéens. Depuis 2006, l'alternance d'usage entre présidents guadeloupéens et martiniquais n'est plus respectée, trois universitaires originaires de la Martinique s'étant succédé à la présidence.

Il en résulte en Guyane un fort sentiment d'injustice consécutif à la non-prise en compte des attentes spécifiques de la communauté universitaire du pôle guyanais, en particulier sur la répartition des emplois, le fonctionnement des services communs et la qualité des services étudiants comme le sport ou la restauration universitaires. De plus, plusieurs de nos interlocuteurs ont dénoncé les comportements sectaires de certaines facultés ou laboratoires et les efforts répétés de quelques responsables de composantes pour entraver toute tentative de la présidence de l'UAG de procéder à des redéploiements d'emplois en faveur du pôle guyanais ou de composantes en voie de développement.

L'ordonnance du 31 janvier 2008, prise en application de la loi LRU, a adapté la gouvernance de l'établissement à son organisation tripolaire afin que l'UAG puisse résister aux forces centrifuges et pour garantir un mode de fonctionnement conciliant respect des identités territoriales et unité autour d'un projet stratégique partagé. Cette ordonnance prévoyait une égale répartition des sièges entre les trois régions, indépendamment du nombre de leurs étudiants et du poids de la recherche sur leur territoire respectif ; un vice-président de pôle devait être désigné au titre de chaque région. Pour favoriser une gestion à la fois déconcentrée et décentralisée, le président de l'université pouvait déléguer sa signature au vice-président de chaque pôle universitaire régional (PUR), notamment pour l'ordonnancement des recettes et des dépenses du pôle.

Toutefois, les statuts de l'université de 2009 n'ont pas exploité toutes les possibilités de gestion déconcentrée offertes par l'ordonnance de 2008. Les vice-présidents de pôle sont restés cantonnés à un rôle purement consultatif, animant la concertation et la vie du pôle et y représentant le président. En pratique, les délégations de signature octroyées par le président de l'université aux vice-présidents de pôle ont essentiellement porté sur la gestion de crédits d'intendance et n'ont pas été utilisées pour alléger les procédures de gestion. Dès lors, les pôles ont été écartés du traitement des questions stratégiques.

L'enseignement supérieur en Guyane connaît à l'évidence une véritable crise d'identité et de croissance. Malgré une population active jeune et en forte expansion, le potentiel de développement économique de la Guyane est lourdement entravé par le manque de qualification de sa population. Les chiffres sont préoccupants : seuls 37 % d'une classe d'âge terminent leurs études secondaires en Guyane, contre 70 % en France métropolitaine, et 53 % des jeunes entre 25 et 34 ans n'ont aucun diplôme, contre 19 % en France métropolitaine. Seuls 10 % des jeunes d'une classe d'âge sont titulaires du baccalauréat en Guyane, 4 % atteignent le niveau bac + 2 et 3 % le niveau bac + 4. La mobilité des étudiants entre le pôle guyanais et les pôles antillais pâtit de coûts de déplacement et d'installation rédhibitoires, ce qui incite les familles à envoyer leurs enfants poursuivre des études supérieures en métropole : la dépense globale est équivalente, voire moindre si elles s'appuient sur le dispositif du passeport mobilité.

Des déséquilibres persistent dans la répartition des moyens entre pôles, au détriment de la Guyane. Le pôle guyanais se caractérise, en particulier, par un sous-encadrement pédagogique et administratif en termes qualitatifs. La structure du personnel enseignant dans le PUR de la Guyane est particulièrement déséquilibrée, avec seulement neuf professeurs des universités, selon le dernier recensement effectué par l'administration provisoire, et une forte proportion d'enseignants du second degré et de vacataires. La prévalence des enseignants vacataires pour certaines disciplines pose la question de la continuité des enseignements. Les enseignants du second degré sont sollicités de façon beaucoup plus significative en Guyane que dans les Antilles. Cette situation est particulièrement pénalisante pour la consolidation des capacités de recherche du pôle guyanais.

Le positionnement géographique distinct des trois départements français d'Amérique a conduit au sentiment d'une divergence qui ne cesse de se creuser entre les Antilles, historiquement tournées vers la Caraïbe, et la Guyane, dont l'affirmation identitaire repose sur un ancrage amazonien et sud-américain. À des stratégies de développement distinctes, il faut également ajouter des évolutions institutionnelles divergentes qui, en redéfinissant les équilibres entre collectivités territoriales, risquent d'accentuer les rivalités entre les trois pôles de l'UAG : la Martinique et la Guyane deviendront en 2015 des collectivités uniques, ce qui n'est pas le cas de la Guadeloupe.

L'histoire de l'UAG est jalonnée de mouvements sécessionnistes et de crises. La scission de l'académie des Antilles et de la Guyane en trois rectorats, effective en 1997, a débouché sur un climat d'instabilité chronique qui a perduré tout au long de la première décennie des années 2000.

Les revendications des étudiants et des syndicats au début de la crise d'octobre 2013 en Guyane étaient concrètes, relatives à l'offre de formation et aux conditions de vie étudiante, et ceux-ci dénonçaient publiquement les malversations et coteries minant le fonctionnement universitaire et générant un climat délétère sur le campus. La création d'une université de plein exercice en Guyane était absente des revendications initiales de l'intersyndicale et du collectif étudiant. Des éléments contextuels ont manifestement contribué à dramatiser la crise et à en précipiter la gestion : la proximité d'une visite du Président de la République prévue pour le 13 décembre 2013, le contexte de préparation de la campagne des municipales de 2014 et la perspective de la mise en place de la collectivité unique en 2015 ont, de toute évidence, créé les conditions d'un climat politique propice à un emballement des revendications.

À l'issue d'une négociation qui ignore les Antilles et dont la présidence de l'UAG semble avoir été mise à l'écart, un protocole d'accord de fin de conflit est finalement signé, le 11 novembre 2013, entre l'intersyndicale, le collectif des étudiants guyanais et la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, représentée par le préfet de la région Guyane et le recteur de l'académie de Guyane. Ce protocole, contresigné par l'ensemble des élus locaux et nationaux du territoire, met un terme à cinq semaines de blocage sur le PUR de la Guyane. Il valide le principe de la création d'une Université de la Guyane de plein exercice et consacre l'engagement du ministère à attribuer à la Guyane 40 à 60 emplois supplémentaires sur trois ans à partir de 2013.

Comme chaque fois ou presque dans les crises qui éclatent outre-mer, les autorités ont attendu pour réagir le moment ultime, au point de devoir trancher dans le vif, causant, faute d'évaluation préalable, des dégâts collatéraux. Malgré les multiples audits de la Cour des comptes et de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche (IGAENR) réalisés au cours de la dernière décennie, qui auraient dû susciter la prise de conscience nécessaire et des mesures énergiques, les premiers signaux annonciateurs du séisme, n'ont pas conduit les pouvoirs publics à anticiper la gravité de la situation. Et, par la suite, la gestion de la crise a révélé une absence de maîtrise de la situation : les Antilles, laissées à l'écart des tractations sur l'éclatement de l'UAG, ont été à leur tour touchées par l'onde de choc.

Dans une confusion extrême alimentée par l'absence de perspectives globales, les tensions se sont exacerbées. Elles sont aujourd'hui encore extrêmement vives, et la présidence de l'université, en dépit d'efforts remarquables, tout comme l'administration provisoire du pôle guyanais, éprouvent les plus grandes difficultés à assurer un fonctionnement minimal.

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