Intervention de Dominique Gillot

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 avril 2014 : 3ème réunion
Communication diverse

Photo de Dominique GillotDominique Gillot, rapporteure :

La construction d'un système d'enseignement supérieur et de recherche performant et à fort rayonnement international dans la zone des Antilles et de la Guyane exige de mettre un terme dans les meilleurs délais aux dysfonctionnements graves dénoncés par les deux derniers contrôles de la Cour des comptes couvrant la période 1999-2010 et les rapports d'audit de l'IGAENR de 2007 et 2010.

Il faut d'abord, en finir avec toutes les formes de déstabilisation de la gouvernance et de l'administration. À cet égard, la gestion d'un laboratoire de recherche installé en Martinique, le Centre d'études et de recherche en économie, gestion, modélisation et informatique appliquée (CEREGMIA), fait depuis longtemps l'objet de critiques sévères. Il est urgent de sanctionner les responsables d'une gestion dans laquelle un grand nombre d'irrégularités ont été révélées et de mettre fin à un système longtemps et plusieurs fois dénoncé mais qui a perduré en toute impunité. Le 7 avril 2014, une information judiciaire a d'ailleurs enfin été ouverte contre X pour favoritisme, escroquerie en bande organisée au préjudice de l'Union européenne et violation des règles des marchés publics.

Nous avons constaté un court-circuitage systématique des instances dirigeantes centrales de l'UAG dans les procédures de contrôle concernant la gestion des subventions européennes perçues par le CEREGMIA. Ces contournements à répétition sont manifestement le fait d'une méthode, vieille de plusieurs décennies, de dialogue direct entretenu par le directeur du CEREGMIA avec les partenaires du laboratoire qui, si elle n'est pas critiquable en soi, l'a conduit de façon quasi systématique à se dispenser de toute information de la présidence de l'UAG, à plus forte raison de toute validation auprès d'elle, avec la complaisance, sinon la complicité d'une partie des services chargés d'exercer les contrôles.

On peut s'étonner des retards pris par les services de l'État dans la mise en oeuvre de contrôles administratifs sur la gestion des fonds européens consentis au CEREGMIA, alors que des soupçons sérieux avaient été soulevés dès la fin des années 1990 sur les dysfonctionnements et les irrégularités de gestion au sein de ce laboratoire. Plusieurs responsables universitaires antillais ont dénoncé les défaillances des services de l'État et des services territoriaux chargés de l'instruction et du contrôle d'exécution des projets financés sur fonds européens. Il est grand temps de sanctionner des individus qui ont assis leur autorité sur l'intimidation et le mépris de la légalité.

Nous proposons de prendre les sanctions disciplinaires et administratives qui s'imposent et de faire cesser le climat délétère et les intimidations exercées par des responsables de composantes, qui défendent des comportements sectaires et remettent systématiquement en cause l'autorité des instances centrales de l'université, comme celle de l'État.

L'actuelle présidente de l'UAG, qui, malgré les nombreuses intimidations, s'attache à renverser un système organisé illicite de préservation d'intérêts privés, mérite d'être encouragée et accompagnée dans la poursuite de ses efforts de rétablissement des principes fondamentaux de l'État de droit dans la gestion de l'université. Le déferlement d'attaques personnelles dont elle fait l'objet nous a profondément choqués.

Nous proposons en conséquence d'aider l'équipe de direction de l'UAG à assainir et à rendre plus transparentes les procédures de gestion, notamment par une expertise de l'IGAENR et un appui de l'Agence de mutualisation des universités et des établissements (AMUE), et de mettre en place une charte de déontologie applicable aux responsables des services, des composantes et aux personnels enseignants en matière de contrôle du cumul d'activités et de déclarations d'intérêts.

L'accent doit ensuite être mis sur la mise en place d'une gestion prospective et d'un pilotage pluriannuel en matière de ressources humaines, de scolarité et de politique immobilière, grâce au développement d'outils de pilotage et de suivi conçus en partenariat avec l'AMUE, voire avec le soutien ponctuel de la conférence des présidents d'université (CPU) ou de la direction générale pour l'enseignement supérieur et l'insertion professionnelle (DGESIP) du ministère.

Aussi l'une de notre propositions consiste-t-elle à refonder l'organisation comptable et financière, par la mise en place d'une comptabilité analytique, ou au moins d'un contrôle de gestion - le développement de systèmes d'information interfacés consolide les données et les rend plus fiables - et à renforcer la transparence et le suivi des procédures de gestion des heures complémentaires et de politique indemnitaire. La Cour des comptes comme l'IGAENR ont relevé que les conditions de suivi et d'exercice de la tutelle par les services de l'État sur l'UAG gagneraient à être clarifiées et renforcées. L'UAG étant implantée sur le territoire de trois académies, les trois recteurs sont chanceliers de la même université. Cette organisation est source de difficultés, relevées régulièrement par les recteurs eux-mêmes.

Pour clarifier les modalités des contrôles budgétaire et de légalité, nous proposons de prévoir dans la future ordonnance que le recteur de la Guadeloupe exercera l'ensemble des fonctions de chancelier pour ce qui devrait devenir l'Université des Antilles et que le recteur de la Martinique sera désigné vice-chancelier disposant de compétences d'attribution sur le contrôle du pôle martiniquais de l'université.

Le réalisme budgétaire est l'un des premiers principes à prendre en compte dans la réflexion. Le contexte de contrainte budgétaire impose de prévenir la démultiplication des coûts. Tous les acteurs, aussi bien dans les Antilles qu'en Guyane, ont désormais conscience que l'attractivité d'une université, qui détermine la crédibilité et la valeur de ses diplômes en France et à l'international, repose en partie sur sa taille.

Il est parfaitement légitime qu'une université assume la fonction de locomotive du progrès social, culturel et économique du territoire dans lequel elle est implantée en garantissant une offre d'enseignement supérieur et de recherche de proximité. Toutefois, sa capacité à rayonner aux niveaux national et international est conditionnée par la mise en place de projets de formation et de recherche innovants, atteignant une masse critique conforme aux standards internationaux.

Il s'agit de ne pas être à rebours de la dynamique actuelle de l'écosystème universitaire. La logique de regroupements universitaires observée dans l'hexagone est aussi à l'oeuvre à l'étranger et l'exemple de l'Université des Indes occidentales (University of the West Indies, UWI) est, à cet égard, particulièrement instructif. Fondée en 1948, l'UWI consiste en une vaste fédération d'établissements d'enseignement supérieur publics qui se déploie sur 16 pays et territoires anglophones de la Caraïbe et revendique près de 50 500 inscriptions en 2011-2012. En 1963, le Guyana s'est retiré de l'UWI, en estimant que l'institution ne proposait pas de services d'enseignement adaptés aux besoins de sa population. Si l'Université du Guyana accueille environ 5 000 étudiants, elle a du mal à s'insérer dans le paysage universitaire international, à la différence l'UWI.

Nous proposons d'élaborer sur chaque territoire un schéma directeur de l'enseignement supérieur et de la recherche, sous l'égide de la région ou de la future collectivité unique, à partir d'une large concertation de l'ensemble des partenaires concernés organisée dans le cadre d'un comité de liaison. Ce schéma directeur comportera un projet de carte territoriale des formations universitaires, en particulier pour les parcours professionnalisants courts et les formations de premier cycle, après identification des secteurs d'activité créateurs d'emploi et des besoins de qualifications correspondants. Le comité de liaison, présidé par le président de région ou de la collectivité unique, réunirait les responsables de l'université dans le territoire - présidence d'université ou de pôle et directeurs de composantes - les représentants des organismes de recherche, l'État, les collectivités territoriales et les représentants des organisations professionnelles, consulaires et syndicales.

Le schéma institutionnel mis en oeuvre dans chacune des trois régions doit concilier développement des territoires et rayonnement universitaire et scientifique. Nous avons examiné les différents schémas d'évolution institutionnelle de l'UAG sur la base d'un cahier des charges comportant plusieurs éléments incontournables. Le système universitaire doit être mis en adéquation avec la réalité géopolitique et offrir aux territoires une capacité d'insertion et de rayonnement dans leur environnement régional. L'université doit voir consolidé son rôle d'outil majeur de la stratégie de développement territorial ; pour cela, les conditions de l'autonomie universitaire doivent être réunies dans chaque région pour qu'une carte des formations adaptées à ses besoins économiques, sociaux et culturels soit appliquée. Le schéma universitaire doit rester visible et lisible afin de garantir le potentiel de recherche et la reconnaissance internationale des diplômes. Des coopérations et mutualisations doivent être mises en place entre régions afin d'optimiser, dans un cadre budgétaire contraint, leurs missions et compétences. Des pôles d'excellence doivent être développés en cohérence avec le développement régional. Il faut renforcer les partenariats de financement dans le strict respect de l'autonomie des universités, en favorisant un investissement plus ample des collectivités territoriales et des entreprises dans le financement de projets de formation ou de recherche, en fonction de priorités stratégiques définies collectivement. Des parcours de réussite ambitieux et innovants, limités dans le temps ou pérennes, doivent être offerts à de jeunes professeurs ou chercheurs. Il faut développer les partenariats internationaux. Le contrôle de l'attribution et du suivi d'exécution des fonds européens doit être renforcé.

Après avoir défini trois schémas possibles d'évolution institutionnelle du système d'enseignement supérieur et de recherche de la zone des Antilles et de la Guyane, nous avons retenu le scénario susceptible de répondre le mieux aux exigences de ce cahier des charges.

Nous proposons de créer une Université des Antilles (UA), à caractère pluri-territorial, constituée par deux pôles, guadeloupéen et martiniquais, dont l'autonomie pédagogique et de gestion serait renforcée et sanctuarisée, notamment pour les formations de premier cycle, dans le cadre de l'ordonnance de juillet 2014. La légitimité d'une UA ne peut être acceptée qu'à la condition d'accorder à chacun de ses pôles constitutifs une véritable autonomie en matière pédagogique, dans son fonctionnement et sa gestion. Au sein de chaque pôle universitaire régional (PUR) doit ainsi être institué un conseil de pôle doté de compétences importantes.

Il reviendra au conseil de pôle de définir la stratégie de développement, dans le respect du contrat d'établissement liant l'Université des Antilles (UA) à l'État. Il devra négocier avec la présidence de l'UA et approuver un contrat d'objectifs et de moyens (COM). Il proposera, après avis du conseil académique de pôle, une répartition des crédits et des emplois entre composantes et services, sous réserve du respect du cadre stratégique défini par le contrat d'établissement et le COM du pôle. Il définira la carte de formations du pôle pour le premier cycle. Un cahier des charges pour l'ouverture des formations aura été préalablement adopté par le conseil d'administration de l'UA. Le conseil de pôle répartira les moyens entre les composantes du pôle pour les formations de premier cycle, conformément au contrat d'établissement liant l'Université des Antilles à l'État et au COM. Il décidera de l'ouverture et de la publication des postes correspondant aux formations de premier cycle dispensées sur le pôle, dans le respect des plafonds d'emplois prévus par le COM.

Le conseil de pôle devra comprendre des membres du conseil d'administration de l'université élus et nommés au titre de la région dans laquelle est implanté le pôle et des responsables des composantes ayant leur siège dans le pôle, dans des conditions définies par les statuts de l'université.

L'autonomie des pôles ne pourra s'exercer que dans un cadre conforme au contrat d'établissement liant l'UA à l'État. C'est pourquoi ce contrat d'établissement devra être négocié en tenant compte des orientations stratégiques de développement de chaque pôle, après consultation des conseils de pôle et des conseils académiques de pôle. Dans ces conditions, le contrat d'établissement comprendra, d'une part, un volet commun correspondant au projet stratégique de l'ensemble de l'établissement et, d'autre part, des volets spécifiques correspondant aux orientations stratégiques de développement propres à chacun des deux pôles universitaires régionaux. En fonction des orientations et des plafonds fixés par ces différents volets, chaque conseil de pôle conclura un COM de pôle avec le conseil d'administration de l'UA pour la durée d'exécution du contrat d'établissement.

Le président de chaque conseil de pôle aura des prérogatives en matière de gestion déconcentrée et décentralisée du pôle, notamment pour les affectations sur le pôle, la sécurité des personnes et des locaux et l'ordonnancement des recettes et des dépenses. Un conseil académique de pôle sera compétent pour l'organisation des comités de sélection chargés d'examiner les candidatures pour les postes ouverts et publiés par le conseil de pôle. Il sera également consulté sur la stratégie du pôle dans le cadre de la négociation du COM de pôle avec le conseil d'administration de l'UA.

Le conseil d'administration de l'UA demeurera compétent pour définir une trajectoire financière et une cohérence stratégique communes aux deux pôles et pour contractualiser avec eux dans le cadre des COM de pôle pour la répartition des moyens - dans le respect des orientations et des plafonds fixés par le contrat d'établissement conclu avec l'État et ses volets spécifiques pour les pôles -, mais aussi pour contractualiser avec l'État. Il obtiendra les habilitations pour les formations de tous niveaux régulièrement créées par les pôles sur la base d'un cahier des charges. Il coordonnera la mutualisation entre pôles de services communs et de composantes, en particulier pour les deuxième et troisième cycles. Il définira une politique de coopération avec les institutions nationales et internationales d'enseignement supérieur et de recherche.

Pour le financement de la déconcentration de gestion au profit des pôles, des redéploiements au sein des moyens globaux de l'université devront être envisagés. L'enveloppe globale consentie à l'administration de l'université sera déterminée en tenant compte de la nécessité de redéployer en faveur de la Martinique des moyens destinés à créer une véritable administration opérationnelle sur chaque pôle. Le recours à l'ordonnance afin de définir l'étendue des prérogatives des pôles en matière de gestion déconcentrée et décentralisée semble donc incontournable.

Il est, enfin, souhaitable de fixer une règle d'alternance concernant la présidence de l'Université des Antilles. Nous proposons de prévoir dans l'ordonnance que l'UA ne peut être présidée par une ou plusieurs personnes issues d'un même pôle que dans la limite de mandats successifs d'une durée totale maximale de huit ans, afin de garantir l'alternance au niveau de la présidence de l'UA. Compte tenu des prérogatives importantes reconnues au président du conseil de pôle selon le schéma proposé, il convient de garantir une communauté de vues entre le président de l'université et chacun des présidents de pôle, d'où la proposition que la désignation du président de l'université et celle des deux présidents de pôle fassent l'objet d'un seul et même vote par le conseil d'administration. Il reviendra à chaque candidat au poste de président de l'université de présenter également au conseil d'administration deux personnalités chargées d'assurer les fonctions de président de pôle, choisies parmi les représentants élus des enseignants-chercheurs au titre de chacune des deux régions. Le conseil d'administration se prononcera par un seul vote sur ce ticket de trois candidats, qui auront démontré au préalable la cohérence entre le projet global d'établissement porté par le président de l'université et les stratégies de développement de pôle défendues par les présidents de pôle.

L'impérieuse nécessité pour les pôles d'élaborer une carte des formations de premier cycle en adéquation avec les besoins d'emploi et les perspectives d'insertion professionnelle identifiés sur le territoire suppose enfin la mise en place, au niveau de chaque composante du pôle, d'un conseil de perfectionnement des formations.

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