Mon intervention comportera quatre précisions et deux commentaires. En préambule, quatre précisions pour mieux comprendre le contexte et les limites des observations du référé de la Cour des comptes.
Je rappellerai tout d'abord la chronologie. Le contrôle qui a donné lieu à ce référé s'est déroulé pour l'essentiel au début de 2013. Ce contrôle s'est traduit par un référé qui a été adressé par le Premier président à la fin de novembre 2013 aux trois ministres chargés respectivement de l'économie et des finances, du logement et du budget. La ministre de l'égalité des territoires et du logement y a répondu en janvier 2014. Conformément à la loi, le référé a ensuite été transmis au Parlement et il a été mis en ligne sur le site Internet des juridictions financières. Les constats de la Cour des comptes concernent donc une situation observée il y a environ un an ; ils doivent être examinés en tenant compte des évolutions qui ont pu se produire depuis lors - et il y en a eu.
Deuxièmement, le contrôle de la Cour des comptes avait un objet à la fois plus large et plus étroit que le thème de cette audition.
Ce contrôle était plus large, car il portait sur l'ensemble des aspects de la gestion de l'ANAH et sur toutes les activités opérationnelles de l'agence, et pas seulement sur le programme de rénovation énergétique. Rappelons que, selon les documents du projet de loi de finances pour 2014, les subventions dans le cadre de la lutte contre la précarité énergétique devraient représenter cette année moins de la moitié du montant total des subventions de l'ANAH, soit un peu moins de 210 millions d'euros.
Ce contrôle était aussi plus étroit parce qu'il portait seulement sur les interventions propres de l'ANAH, et non sur l'ensemble des aides publiques en matière de rénovation énergétique. Il n'avait donc pas pour objet de traiter des sujets comme les dépenses fiscales concernant la rénovation énergétique ou encore les concours financiers en provenance d'autres sources que l'ANAH, par exemple les collectivités territoriales ou les organismes sociaux tels que les caisses d'assurance vieillesse ou les mutuelles.
Troisièmement, le référé contient des observations que la Cour des comptes a jugées suffisamment significatives pour faire l'objet d'une communication aux différents ministres concernés, mais il ne contient pas l'ensemble des observations faisant suite au contrôle. D'autres observations, plus ponctuelles ou de moindre portée, ont été communiquées en octobre 2013 à l'ANAH et à diverses administrations centrales de l'État. La Cour y a notamment relevé des progrès dans la gestion interne de l'ANAH et dans l'organisation de ses interventions. Le référé de la Cour des comptes ne couvre donc pas toute la gestion de l'ANAH, mais il ne doit pas non plus être interprété comme le signe d'un dysfonctionnement particulier de cet opérateur. Vous pouvez d'ailleurs constater que les sujets abordés dans le référé concernent au moins autant l'État lui-même que l'opérateur.
Quatrièmement, ce référé ne met pas un point final aux travaux de la Cour des comptes sur le thème qui nous intéresse aujourd'hui. Je peux notamment mentionner l'existence d'un contrôle actuellement en cours dans le cadre d'une autre enquête ; nous y examinons de manière plus détaillée certaines actions de l'ANAH en Île-de-France, dont celles en faveur de la rénovation énergétique. Je suis accompagné de Claire Gasançon-Bousselin, rapporteur extérieur à la Cour des comptes, qui est le rapporteur de ce nouveau contrôle et qui pourra le cas échéant vous fournir quelques précisions sur les problématiques étudiées. Toutefois, l'instruction du contrôle n'étant pas terminée, nous ne pourrons anticiper sur les constats et les recommandations que la Cour des comptes pourrait formuler.
Je terminerai par deux commentaires sur les points du référé qui concernent plus directement le thème de cette audition.
Le premier sujet, qui soulève des interrogations dans de très nombreux domaines de l'action publique, est donc l'articulation et l'évaluation des politiques publiques. S'agissant de l'ANAH, que constate la Cour des comptes ? Elle observe tout d'abord que l'ANAH est certes un acteur important de la politique de rénovation énergétique, mais qu'il existe aussi, comme je viens de le dire, d'autres dispositifs et d'autres acteurs.
La Cour des comptes relève ensuite que ces différentes actions ont besoin d'être articulées entre elles, par exemple pour organiser les règles de leur cumul, ou encore pour simplifier ou harmoniser les procédures.
La Cour des comptes observe enfin que cette articulation mériterait d'être mieux connue et expertisée afin de pouvoir répondre à certaines questions : les règles de cumul sont-elles bien adaptées ? Sont-elles respectées ? Le coût de gestion cumulé des différentes aides n'est-il pas excessif ? Quel est leur degré de complexité combiné ? Cette combinaison permet-elle d'atteindre les objectifs visés en termes de ciblage et de volume ? Nous avons constaté que les études et les évaluations qui permettraient de traiter ces questions font encore largement défaut. Au demeurant, ces travaux dépassent le seul cadre de l'ANAH. La Cour des comptes a donc souhaité attirer l'attention des ministres sur ce point.
Le second sujet est celui du financement de l'ANAH. Dans la loi de finances pour 2013, il a été décidé que ce financement reposerait principalement sur l'affectation à l'ANAH, dans la limite d'un plafond de 590 millions d'euros par an, du produit de la cession par l'État de quotas d'émission de tonnes de CO2 - les quotas carbone. La capacité de l'ANAH à remplir ses missions, notamment en matière de rénovation énergétique, dépend donc du niveau de cette ressource. La question posée à cet égard par le référé est double : la recette des quotas carbone est-elle suffisamment stable et prévisible ? Le financement de l'ANAH par cette recette est-il soutenable ?
Sur le premier point, on peut constater ces derniers mois encore que le prix de la tonne sur le marché des quotas carbone est extrêmement volatile et très difficilement prévisible. Ainsi, au cours de la discussion du projet de loi de finances pour 2013 devant le Sénat, le ministre du budget avait indiqué que les prévisions reposaient sur une recette de l'ordre de 620 millions d'euros, sur la base d'un cours de 9,30 euros la tonne. En réalité, le prix moyen constaté en 2013 s'est établi à seulement 4,50 euros la tonne, comme l'a rappelé la ministre du logement dans sa réponse au référé de la Cour des comptes. La ministre a aussi assuré qu'à ce niveau, et compte tenu du fonds de roulement disponible, l'ANAH serait en mesure de remplir ses missions jusqu'à la fin de 2014. Mais qu'en sera-t-il ensuite ? La question de la soutenabilité de cette recette reste posée. Il serait donc utile de savoir quel montant de recette de quotas carbone a été réellement perçu en 2013 par l'agence, quel montant elle a budgété en 2014 à ce titre, et quelles seraient les conséquences du maintien du cours actuel sur l'équilibre financier de l'agence à partir de 2015.