Ce projet de loi est le fruit d'un long cheminement sur lequel je souhaite insister avant de vous présenter le contenu même de ce texte.
La question de l'accessibilité a pris corps dans le débat public à l'occasion de la loi de 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées qui, certes, avait fixé des objectifs prometteurs mais ne s'était pas donné les moyens d'y parvenir. Il a fallu attendre trente ans et l'adoption de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées pour qu'une nouvelle étape soit franchie. La notion d'accessibilité est alors étendue à tous les types de handicap (mental, sensoriel, psychique, cognitif, polyhandicap...) et à tous les domaines de la vie en société (cadre bâti, voirie, espaces publics, transport, citoyenneté, école, services publics, loisirs...). Et cela au bénéfice de l'ensemble de la population.
On parle désormais d'accessibilité universelle pour désigner le processus visant à éliminer toutes les barrières qui peuvent limiter une personne dans l'accomplissement de ses activités quotidiennes. Cette démarche s'adresse non seulement aux personnes atteintes d'un handicap, mais aussi à toute personne pouvant être confrontée, un jour ou l'autre, à une difficulté de déplacement, qu'elle soit temporaire ou durable. Au regard du vieillissement de la population, cette approche transversale revêt un enjeu considérable.
Loi ambitieuse, la loi de 2005 a posé un principe fort : l'obligation de mise en accessibilité du cadre bâti et des transports à l'horizon 2015. En fixant ce cap, elle a indéniablement permis d'opérer un changement d'état d'esprit dans notre société, de porter un regard différent sur le handicap. Des efforts incontestables, qui doivent être salués, ont été déployés par les acteurs concernés pour faire avancer l'accessibilité. Les progrès sont tangibles tant en matière de logements neufs, d'établissements recevant du public (ERP) que de transports.
Pour autant, la France ne sera pas au rendez-vous du 1er janvier 2015. Ce constat, lucide, Isabelle Debré et moi-même l'avons posé dès juillet 2012 à l'occasion de la remise de notre rapport sur l'application de la loi de 2005 à la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois. Quelques mois plus tard, une mission conjointe du conseil général de l'environnement et du développement durable, de l'inspection générale des affaires sociales et du contrôle général économique et financier parvenait à la même conclusion.
Plusieurs raisons expliquent notre retard : un délai de parution des décrets plus long que prévu, un impact financier des travaux à mener mal voire non évalué, une mauvaise appréciation des délais nécessaires à la réalisation de l'ensemble des travaux, une réglementation trop complexe, et un défaut de portage politique. Car après la promulgation de la loi et en dehors des deux conférences nationales du handicap, l'insuffisance de l'impulsion politique n'a pas permis de mobiliser les acteurs de terrain, ni d'assurer une appropriation suffisante des enjeux d'accessibilité.
Cette volonté de suivi et d'accompagnement est désormais au rendez-vous. La nécessité de poursuivre l'adaptation de notre société, en vue de la rendre plus inclusive, a en effet amené le Gouvernement à faire de l'accessibilité l'une de ses priorités. Dès octobre 2012, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, m'a confié une mission afin de faire le point sur l'état d'avancement de ce dossier et de rechercher, en concertation avec l'ensemble des acteurs, les solutions permettant à notre pays de répondre le mieux possible aux attentes légitimes suscitées par la loi de 2005. Je lui ai remis mon rapport, intitulé « Réussir 2015 », le 1er mars 2013. Parmi les quarante propositions qu'il contient, deux mesures se distinguent plus particulièrement : la mise en place des agendas d'accessibilité programmée ou Ad'AP, documents d'engagement et de programmation décidés par les maîtres d'ouvrage, et l'ajustement, dans la concertation, des normes d'accessibilité qui se révèlent peu opérationnelles.
C'est sur la base de « Réussir 2015 » que le Premier ministre a décidé, lors du comité interministériel du handicap réuni pour la première fois le 25 septembre 2013, d'ouvrir, dès le mois suivant, deux chantiers de concertation afin de faire évoluer de manière consensuelle le cadre juridique de l'accessibilité : un premier sur la mise en place, par voie d'ordonnance, du nouvel outil Ad'AP pour poursuivre la dynamique engagée par la loi de 2005 ; un second sur les normes d'accessibilité du cadre bâti, de la voirie et des transports pour les adapter à l'évolution des techniques, aux besoins des personnes handicapées et aux contraintes des opérateurs.
A la demande du Premier ministre, j'ai assuré la présidence de cette concertation, qui s'est déroulée d'octobre 2013 à février 2014, en collaboration avec la déléguée ministérielle à l'accessibilité. Permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur ce processus inédit, qui constitue le point de départ du projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis.
Cette concertation, qualifiée par tous de moment historique, a été l'occasion, pour la première fois et à une telle échelle, de réunir autour d'une même table l'ensemble des parties prenantes au dossier de l'accessibilité : les associations de personnes handicapées membres de l'Observatoire interministériel de l'accessibilité et de la conception universelle (Obiaçu), les représentants du commerce, de l'hôtellerie-restauration et des professions libérales, les responsables du secteur des transports, les associations d'élus locaux, les maîtres d'oeuvre et d'ouvrage, les techniciens et les experts.
Au cours des 140 heures de réunion, j'ai pu mesurer et apprécier le respect qui a prévalu dans les discussions, l'esprit constructif et la très grande assiduité qui ont animé la centaine de participants. Ces échanges nourris ont permis - et c'est là sans doute la plus grande avancée - à tous les acteurs de prendre conscience des attentes, des difficultés, et de la réalité vécues par les uns et les autres, tout en gardant à l'esprit la nécessité de trouver, ensemble, les moyens de faire progresser l'accessibilité. Menée à son terme, cette concertation est parvenue à deux grandes séries de mesures.
La première est l'élaboration d'un cadre national aux Ad'AP, véritable instrument de politique publique.
En quelques mots, qu'est-ce qu'un Ad'AP ? Il s'agit d'un document de programmation et de financement des travaux d'accessibilité, structuré en une ou plusieurs périodes opérationnelles, qui permettra aux acteurs n'étant pas en conformité avec les règles d'accessibilité posées par la loi de 2005 de s'engager sur un calendrier précis et resserré. L'Ad'AP est un acte d'engagement volontaire qui ne se substitue pas à la loi de 2005, mais qui la complète. Il s'adresse aux maîtres d'ouvrage et aux exploitants d'ERP publics et privés, quelle que soit leur catégorie, ainsi qu'aux autorités organisatrices de transport de voyageurs. Cet outil, cohérent et opérationnel, est le fruit d'un véritable équilibre entre les attentes légitimes des uns et les difficultés à faire rencontrées par les autres. Il n'est en effet pas imaginable de retrouver, dans quelques années, la même situation que celle que nous connaissons aujourd'hui ; il faut donc que l'Ad'AP soit attractif et crédible aux yeux de chacun.
Attractif et crédible, l'Ad'AP l'est tout d'abord pour les associations de personnes handicapées en ce qu'il garantit que les objectifs de mise en accessibilité seront tenus : les dossiers d'engagement à entrer dans une procédure d'Ad'AP devront être déposés avant le 31 décembre 2014, puis devront être validés par le préfet ; l'engagement dans un Ad'AP est irréversible : un dossier validé devra être mené à son terme ; en l'absence d'Ad'AP, le non-respect de l'échéance du 1er janvier 2015 sera, sauf dérogation validée, toujours passible des sanctions pénales prévues par la loi de 2005 ; il n'y aura pas d'« année blanche » : la programmation des travaux sera échelonnée sur une, deux ou trois périodes et, dès la première année, l'amélioration de l'accessibilité devra être constatée ; des points de contrôle régulier jalonneront toute la procédure : à la fin de la première année, puis au terme de chaque période ; des sanctions financières graduées seront appliquées en cas de non-respect des engagements pris dans le cadre de l'agenda (mauvaise foi, retard, carence) ; dans le domaine des transports, des obligations assorties de sanctions seront fixées en termes d'une part, de formation des personnels et d'information des usagers en situation de handicap, d'autre part, d'accessibilité du parc de matériel roulant routier.
Attractif et crédible, l'Ad'AP l'est ensuite pour les gestionnaires d'ERP et de services de transport en ce qu'il constitue une solution adaptée et réaliste pour se mettre en conformité avec la loi de 2005 : l'élaboration d'un Ad'AP permettra de ne pas s'exposer aux sanctions pénales instaurées par la loi de 2005 et de poursuivre au-delà du 1er janvier 2015, en toute sécurité juridique, les travaux de mise en accessibilité ; la procédure d'Ad'AP sera simplifiée pour les ERP de 5e catégorie, qui constituent la grande majorité des ERP ; les dossiers d'Ad'AP pourront être déposés dans un délai d'un an suivant la publication de l'ordonnance, à condition que l'engagement ait été pris avant le 31 décembre 2014 ; l'obligation d'accessibilité des points d'arrêt et des gares fera l'objet d'une priorisation ; le droit au transport des enfants handicapés scolarisés est réaffirmé autour du projet personnalisé de scolarisation (PPS).
Au final, c'est bien une démarche d'équilibre, de pragmatisme et de confiance raisonnée, ainsi que je le recommandais dans mon rapport « Réussir 2015 », qui a prévalu. Non seulement nous n'abandonnons pas l'échéance du 1er janvier 2015, mais nous nous donnons aussi les moyens de poursuivre la dynamique au-delà de cette date.
La seconde série de mesures concerne l'évolution des normes d'accessibilité.
L'objectif de cet autre volet de la concertation était, tout en maintenant le corpus juridique structurant issu de la loi de 2005, d'adapter les dispositions techniques et réglementaires afin de les rendre plus lisibles et plus efficientes. Certaines d'entre elles sont en effet trop souvent perçues comme un frein au progrès et à l'innovation. De même, l'on a trop tendance aujourd'hui à privilégier le respect strict de la norme plutôt que la qualité d'usage. Un autre impératif était de mieux prendre en compte toutes les formes de handicap, conformément à l'objectif d'accessibilité universelle.
Grâce là aussi à une écoute réciproque et à une ferme volonté de trouver des solutions partagées, de nombreuses recommandations ont vu le jour, parmi lesquelles : l'assouplissement de certaines normes pour le cadre bâti ; la simplification et la clarification des exigences dans les secteurs du commerce, de l'hôtellerie et de la restauration ; l'amélioration de la sécurité des déplacements et du repérage dans l'espace ; la généralisation de la formation des personnels d'accueil ; l'obligation d'information des usagers des ERP à travers la création d'un registre d'accessibilité ; le développement du sous-titrage dans les lieux publics.
Sur la base des deux rapports de conclusion de la concertation, le Premier ministre a confirmé, le 26 février dernier, que les mesures de niveau législatif, comme la création des Ad'AP, feront l'objet d'un projet de loi d'habilitation à légiférer par ordonnance, et que les autres mesures, notamment celles issues du chantier « environnement normatif », seront mises en oeuvre au niveau réglementaire dans le même calendrier resserré que celui des textes d'application des dispositions prises par ordonnance.
Comme vous tous, chers collègues, je suis toujours très réservée lorsqu'un gouvernement, quel qu'il soit, décide de recourir à la procédure prévue à l'article 38 de la Constitution pour accélérer la mise en oeuvre de sa politique. Si le recours aux ordonnances ne saurait être un mode habituel d'élaboration de la loi, il est cependant justifié dans des domaines précisément circonscrits, comme celui de l'accessibilité.
J'y vois trois raisons. Premièrement, l'urgence de la situation. A quelques mois de l'échéance du 1er janvier 2015, seules les ordonnances nous permettent de rester dans les temps. Je vous rappelle que les Ad'AP doivent être opérationnels très rapidement afin de permettre aux acteurs concernés de faire part, avant le 31 décembre 2014, de leur intention de recourir à ce nouvel outil. A défaut, ce sont les sanctions pénales prévues par la loi de 2005 qui s'appliqueront. Deuxièmement, la technicité du sujet. La concertation l'a montré, l'accessibilité est un dossier d'une grande complexité, sur lequel il est très difficile de trouver un équilibre entre les positions des uns et des autres. Nous y sommes parvenus, mais la confiance mutuelle demeure fragile. Troisièmement, l'approbation unanime du monde associatif qui voit, dans cette méthode, le seul moyen de mettre rapidement en place les outils nécessaires à la poursuite de la dynamique en cours.
J'en viens à présent au projet de loi d'habilitation à proprement parler, qui se compose de quatre articles.
L'article 1er habilite le Gouvernement à créer, pour les ERP, le nouveau dispositif des Ad'AP. Au-delà du contenu de l'agenda, l'ordonnance définira les procédures applicables à son dépôt, à sa validation et au suivi de l'avancement des travaux prévus. Elle précisera également les délais de réalisation des actions de mise en accessibilité et le régime des sanctions administratives encourues en cas de non-respect des engagements pris. L'article 1er permet également d'adapter, sur la base des recommandations de la concertation, certaines obligations législatives prévues par la loi de 2005 en matière d'accessibilité des ERP et des bâtiments d'habitation.
L'article 2 habilite le Gouvernement à instituer, pour les services de transport public de voyageurs (routier et ferroviaire), un dispositif comparable à celui de l'Ad'AP pour les ERP : le schéma directeur d'accessibilité - agenda d'accessibilité programmée ou SDA/Ad'AP. Sur le modèle de l'article 1er, l'ordonnance définira l'ensemble des procédures applicables au SDA/Ad'AP (contenu, dépôt, validation, suivi, délais, sanctions, etc.). Prenant appui sur les conclusions de la concertation, l'article 2 prévoit aussi une habilitation pour adapter les exigences incombant aux services de transport public de voyageurs en matière de points d'arrêt et d'accessibilité du matériel roulant.
L'article 3 habilite le Gouvernement à prendre diverses mesures relevant du domaine de la loi et correspondant aux préconisations de la concertation, parmi lesquelles : l'assouplissement, pour les petites communes, de l'obligation d'élaborer un plan de mise en accessibilité de la voirie et des aménagements des espaces publics (Pave) ; l'autorisation plus large des chiens guides d'aveugle et les chiens d'assistance des personnes handicapées dans les transports et les lieux publics ; l'élargissement de la composition et des missions des commissions communales et intercommunales pour l'accessibilité aux personnes handicapées, ainsi que le changement de leur dénomination ; la création d'un fonds dédié à l'accompagnement de l'accessibilité universelle, dont les ressources proviendront des sanctions financières prononcées dans le cadre des Ad'AP et des SDA/Ad'AP ; l'adaptation à l'outre-mer de certaines des mesures prévues aux articles 1 à 3.
Enfin, l'article 4 fixe à cinq mois, suivant la publication de la loi, le délai dans lequel les ordonnances devront être prises par le Gouvernement. Il fixe également à cinq mois, à compter de la publication de chaque ordonnance, le délai de dépôt du projet de loi de ratification correspondant. Le Gouvernement a d'ores et déjà fait part de son intention de publier les ordonnances au début de l'été.
Je souhaite, pour finir, insister sur un point qui me paraît fondamental et sur lequel je suis revenue à plusieurs reprises lors des travaux de concertation : le nécessaire effort de pédagogie et de communication.
Le chantier de l'accessibilité a, jusqu'à présent, assurément pâti d'un manque d'accompagnement des acteurs de terrain. Ne reproduisons pas les mêmes erreurs. Le nouveau dispositif des Ad'AP aura besoin d'être expliqué tant aux professionnels, qu'aux personnes handicapées et à leurs représentants associatifs locaux. Je suis d'autant plus convaincue de l'utilité de cette démarche que j'ai pu constater combien la diffusion d'informations erronées pouvait avoir des effets dévastateurs. Ainsi, en février dernier, lorsque les conclusions de la concertation ont été présentées et que les arbitrages gouvernementaux ont été rendus, les différents délais de mise en oeuvre des Ad'AP ont été présentés par certains médias comme un report de dix ans de l'échéance de 2015, interprétation qui ne repose évidemment sur aucun fondement.
Conscient de cet enjeu de communication, le Gouvernement a décidé d'agir dans trois directions : le recrutement dès cette année, dans le cadre du service civique, de 1 000 ambassadeurs de l'accessibilité qui auront pour tâche de faire connaître la réforme ; la mise en place d'un accompagnement financier des collectivités locales et des entreprises par la Caisse des dépôts et consignations et la Banque publique d'investissement ; le lancement, dans les prochaines semaines, d'une campagne de communication d'abord à destination des professionnels, puis à destination du grand public.
En tant que nouvelle présidente de l'Obiaçu, je m'impliquerai personnellement dans ce combat car il en va de la cohésion et de l'avenir de notre société.