Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat budgétaire sur l'action extérieure de la France est aussi l'occasion de faire le point sur les affaires du monde et sur le rôle qu'y joue notre pays.
Aussi, je souhaite aborder avec vous plusieurs sujets, à savoir la question de la prolifération nucléaire, l'évolution de la situation en Afghanistan et dans toute la région Est de l'Afrique, mais j'évoquerai tout d'abord l'Irak, et le probable infléchissement de la politique américaine dans la péninsule arabique.
Mardi dernier, devant le Sénat des États-Unis, le nouveau secrétaire d'État à la défense, M. Robert Gates, laissait entendre que les troupes américaines « n'étaient pas en train de gagner la guerre en Irak ». Ces propos révélaient déjà une nouvelle appréciation de la situation. Un nouveau coup de tonnerre a éclaté hier, avec la publication des conclusions du rapport de la commission Baker. Un retrait, progressif et complet, des troupes américaines est désormais préconisé, et ce dès 2008.
Désordre, guerre civile, fluctuation des marchés pétroliers et impact sur l'économie mondiale, déplacements de djihadistes, risque d'embrasement de la région et terrorisme, tel est le constat que chacun d'entre nous peut faire. La décision d'intervenir en Irak a été une catastrophe, et la France a été le premier pays à le dire. Mais si, aujourd'hui, les Américains se retirent, c'est certainement une autre catastrophe qui s'annonce.
Face à ce dilemme, la France doit-elle aujourd'hui modifier sa politique irakienne ? L'Europe doit-elle intensifier son aide aux Américains et au peuple irakien ? Monsieur le ministre, quel est votre sentiment en la matière ?
Je voudrais évoquer également la question de la prolifération nucléaire. L'équilibre que nous étions parvenus à maintenir pendant des décennies, malgré les crises, se trouve sur le point d'être rompu, alors que l'Iran et la Corée du Nord sont si près d'obtenir l'arme atomique.
Je souhaiterais formuler trois brèves remarques.
Premièrement, ces deux pays tiennent des discours belliqueux, et parfois même tout à fait inacceptables quant à leurs intentions. Si l'histoire nous a appris quelque chose, c'est bien que les extrémistes disent ce qu'ils font et font ce qu'ils disent. Il y a tout lieu de ne pas l'oublier, et donc d'être inquiet.
Deuxièmement, si ces deux États accèdent à l'arme nucléaire, il y a de fortes chances que se produise un « effet domino », c'est-à-dire une accélération de la prolifération, dont nous ne pouvons savoir où elle s'arrêtera. En effet, ni le Japon ni la Corée du Sud, en Asie, ni l'Égypte, l'Arabie Saoudite ou la Turquie, au Moyen Orient, n'accepteront de rester démunis face aux ambitions de leurs voisins nouvellement nucléarisés.
Troisièmement, si cela se produit, le traité de non-prolifération deviendra obsolète. Aussi, il me semble nécessaire d'agir en amont et de poser dès à présent la question de l'efficacité et de la pertinence actuelle de ce traité.
Je sais bien qu'à l'origine même du traité se trouve le droit pour tous les États d'accéder au nucléaire civil, à la condition de renoncer au nucléaire militaire. Cet accord a fonctionné pendant longtemps, mais qui peut dire que c'est encore le cas aujourd'hui, alors que, depuis des années, l'Iran refuse de véritables contrôles de l'Agence internationale de l'énergie atomique, l'AIEA, et que la Corée du Nord est sortie unilatéralement du traité ?
Nous savons tous que le nucléaire constitue par définition une technologie duale, qui rend possible le passage d'une utilisation civile à un usage militaire. Aussi, en l'absence de contrôle, rien ne peut nous garantir que l'Iran ou la Corée du Nord ne sont pas déjà passés du civil au militaire.
Monsieur le ministre, le moment n'est-il pas venu de reconsidérer à présent la question du nucléaire civil sous l'angle de la proposition faite par M. El Baradeï, me semble-t-il, c'est-à-dire de créer une agence internationale du nucléaire civil auprès de laquelle les États pourraient s'approvisionner ?
Chaque jour, le comportement des États voyous rend caduc le Traité de non-prolifération. Nous devons porter ce grave débat devant l'opinion publique. D'autant que nous constatons les difficultés, pour ne pas dire l'impuissance du Conseil de sécurité lorsqu'il s'agit de trouver un accord pour engager, puis faire appliquer des sanctions, notamment à propos de l'Iran.
À ce sujet, monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire exactement où en sont les discussions avec ce pays ? De multiples informations confirment l'accroissement de la coopération entre Téhéran et Pyongyang : nous savons que de plus en plus de scientifiques et d'ingénieurs iraniens se rendent en Corée du nord pour collaborer à la conception du missile Taepodong 2, dont le troisième étage ressemble étrangement à celui du missile iranien Shahab 4 ? La question de la coopération irano-nord-coréenne a-t-elle été posée au sein du Conseil de sécurité ?
S'agissant de l'Afghanistan comme de l'Iraq, le constat paraît clair. Dans les deux cas, c'est mal engagé ! Et l'énorme manne financière engendrée par la production d'opium ne fait qu'aggraver le problème et provoque, en France et dans toute l'Europe, un afflux croissant d'héroïne.
En Afghanistan, notre engagement militaire devait être réévalué en fonction de l'intensification des combats. C'est ce qui a été fait lors du sommet de Riga. Cependant, je déplore que la représentation nationale n'ait pas été consultée sur la question de la réévaluation de notre engagement en Afghanistan, comme cela a été le cas lorsqu'il a été décidé d'envoyer nos hommes là-bas. Ce refus d'impliquer le Parlement dans la procédure de prise de décision sur des questions aussi essentielles demeure, à mon sens, problématique.
Je rappellerai que cette mission est la première qui est réalisée par l'OTAN en dehors du strict cadre euro-atlantique. Gardons à l'esprit que l'OTAN n'a pas vocation à devenir une alliance planétaire.