Certains virages, enfin, ont été mal négociés ; je pense au tactile, ou au logiciel embarqué, deux ruptures qui furent fatales à Nokia. Tout leader est confronté à ce que l'on appelle le dilemme de l'innovateur, lorsqu'il doit scier la branche sur laquelle il est assis ou prendre le risque qu'un compétiteur le fasse à sa place. Mais Américains et Asiatiques, confrontés au même dilemme, privilégient une vision stratégique de long terme, garantie par une plus grande stabilité des directions générales dans le modèle asiatique ou une incarnation forte du leadership dans le modèle américain. Dans les entreprises européennes, en revanche, le conseil d'administration nomme, le plus souvent pour un mandat de court terme, avec des objectifs de gestion, parfois de gestion de crise, un PDG rarement investi de la confiance nécessaire pour concilier le court et le long terme - même s'il a existé des contre exemples comme Alcatel.
Comment remédier à ces faiblesses ? Relevons, tout d'abord, que l'Europe ne reste pas immobile. Le constat que je viens de dresser est largement partagé, et des moyens sont mobilisés. Notre étude souligne ainsi les avancées de l'Union européenne dans son plan Horizon 2020, doté de 80 milliards d'euros, en augmentation de 25% par rapport au précédent. Ce plan vise à renforcer l'excellence scientifique mais aussi les secteurs en phase de rupture ; il comporte explicitement un volet industriel visant à favoriser certaines technologies clé. Voilà qui va dans le bon sens, même si l'effort reste insuffisant au regard des enjeux.