et relativement dispersés.
Nous avons identifié dix pistes concrètes pour rétablir la vitalité de l'industrie technologique européenne. Les quatre premières doivent agir comme des catalyseurs. Il convient, tout d'abord, d'accroître significativement l'offre d'ingénieurs et de personnels qualifiés, en s'appuyant sur le système éducatif traditionnel mais aussi sur la formation à distance. Pour résoudre les problèmes de court terme, favoriser une immigration choisie de talents serait crucial. Tout ceci combiné à une stratégie de clusters, afin de créer une infrastructure éducative faisant une large place à l'anglais pour faciliter l'accueil d'étudiants étrangers.
Deuxième piste : soutenir le financement de la technologie et son internationalisation. Le capital-risque devrait être fiscalement favorisé et les fonds publics dédiés développés, de même que les outils financiers tels que les assurances contre les défauts de paiement. Le système bancaire européen a un rôle important à jouer, alors qu'il n'existe pas d'équivalent européen au Nasdaq américain. Le onzième plan quinquennal chinois, qui a donné aux entreprises, en particulier les plus grosses, un support gouvernemental à leur internationalisation, sous forme de financement, d'assurance, de dédouanement, de flexibilité de l'emploi fait la preuve qu'un tel soutien est possible.
Troisième piste : améliorer l'encouragement à l'entreprenariat, en en célébrant les succès, en développant les filières entrepreneuriales dans les cursus d'ingénieurs, en flexibilisant l'emploi pour permettre aux entreprises d'embaucher en amont - exigence tant pour les start up que pour les grandes entreprises qui ont besoin d'incubateurs, à l'instar de SAP, qui a développé, grâce à un partenariat avec le Hasso Plattner Institute, un système de stockage HANA qui le rend susceptible de s'imposer comme plate-forme européenne pour le big data.
Quatrième piste : créer des conditions de concurrence équitables pour les entreprises européennes sur le marché mondial. Alors qu'il est plus complexe, pour nos entreprises, de parvenir à des économies d'échelle, en raison de la disparité des marchés nationaux, il ne faudrait pas, de surcroît, que la priorité donnée au « bénéfice consommateur » se traduise par une réglementation qui dégraderait encore leur compétitivité. Déjà, le secteur des télécommunications a vu ses profits largement rabotés en Europe, de telles mesures ayant contraint les investissements de réseau, alors que les trafics explosent, et favorisé l'offshore ou les fournisseurs non européens capables de proposer des offres discount pour prendre des parts de marché. Les lois anticoncentration, qui visent à assurer la pluralité de l'offre, peuvent aussi freiner l'émergence d'économies d'échelle et de champions internationaux. L'Europe et les Etats, via la législation, et les associations, via la certification, peuvent favoriser l'industrie européenne ; d'autres nations n'hésitent pas à le faire.
Education, financement, entreprenariat, appréciation globale de la concurrence, sur tous ces points, il faut non pas moins d'Europe mais plus d'Europe, avec un mandat clair : assurer la croissance de l'industrie des technologies.
Mais il est important, aussi, d'être focalisé. Les grands donneurs d'ordre devraient y contribuer. Afin d'éviter un éparpillement des ressources, un plan d'ensemble à l'échelle européenne devrait définir les domaines d'investissement prioritaires, en concertation avec les associations et les industriels, pour tenir compte à la fois des demandes des citoyens en matière de santé, de transports, d'éducation, et des exigences de développement de secteurs économiques où l'Europe est déjà forte, comme l'automobile, les industries de process, les télécoms, les institutions financières, afin d'orienter les investissements vers la transformation à venir de ces secteurs.
Des clusters paneuropéens devraient être créés. L'efficacité des clusters n'est plus à démontrer, reste à savoir où il est le plus avantageux de les créer. Mieux vaut déterminer ce choix en tenant compte de l'implantation des grands donneurs d'ordre qu'en se guidant sur un seul souci d'aménagement du territoire. On pourrait imaginer de confier le cluster automobile à l'Allemagne, les télécoms à Stockholm, la défense, la sécurité et l'aéronautique à la France, la banque à Londres. On n'est déjà pas très loin de cette situation. Il s'agit de confier un leadership aux pays les plus avancés, en fléchant les investissements selon un plan concerté à l'échelle de l'Europe.
Dernière exigence, enfin, celle de la recherche de l'excellence, gageure pour les entreprises et leurs managers. Il s'agit de faire évoluer les pratiques du leadership, de privilégier l'innovation, la R&D plutôt que la rentabilité à court terme et de faire du partenariat client-fournisseur un véhicule de l'innovation.
On ne pourra pas répliquer, en Europe, les conditions qui ont permis, aux Etats-Unis et en Asie, aux entreprises technologiques de se développer. La structure fédérale de l'Europe est une richesse mais aussi une faiblesse : fragmentation, retours sur investissement moindres. Demeurent, néanmoins, bien des pistes pour faire repartir l'Europe de la technologie.
Je finirai par quelques mots sur les télécoms et Internet, car c'est sur les réseaux que s'appuient les pure players. L'industrie mondiale des télécoms représente 1400 milliards de dollars. Parmi ses dix entreprises de tête on trouve quatre acteurs européens - Telefonica, Deutsche Telecom, Vodafone et Orange. Les opérateurs de communication sont donc une force européenne. Mais ces acteurs sont fragilisés, leur profitabilité est sous pression. Ils doivent certes s'adapter par eux-mêmes, mais le cadre réglementaire dans lequel ils évoluent mérite aussi, dans l'intérêt bien compris de la filière technologique, des adaptations, car la situation n'est plus celle des années 1970.
Dans la chaîne de valeur de l'Internet, les opérateurs de télécom représentent le segment où les retours sur capitaux sont les plus faibles, très inférieurs à ceux des pure players. Ils sont pris dans un effet de ciseau, les prix baissant tandis que les investissements en capacité doivent croître. Or, le secteur des télécoms est très réglementé en Europe, alors que l'Internet ne l'est quasiment pas. Pourtant, ces deux mondes s'interpénètrent. Le rachat par Facebook de WhatsApp pour 19 milliards de dollars, qui met ainsi le pied dans la filière des communications interpersonnelles, témoigne de la puissance financière de ces acteurs. Quand le chiffre d'affaires d'Orange plafonne à 41 milliards d'euros, en baisse de 4,5% - dont la moitié est imputable à la réglementation -, celui de Google, à 60 milliards de dollars, progresse de 19%. Et le modèle économique de Google lui permet d'allouer 8 milliards de dollars à la R&D, quand Orange n'y consacre que moins d'un milliard. On comprend par là qui embauche les meilleurs ingénieurs en algorithmique. Google peut disposer d'un cash flow opérationnel de 18 milliards de dollars, quand l'équivalent, pour Orange, n'est que de 13 milliards d'euros, en baisse - au reste contenue - de 5%. En 2013, Google a investi 7 milliards de dollars dans les infrastructures, quand Orange n'y consacrait que 5,6 milliards d'euros.
La seule façon pour les opérateurs de télécom de retrouver de la croissance est d'aller vers des modèles OTT (Over The Top) adjacents. Or, ce secteur est placé sous vigilance permanente, quand Internet ne l'est pas, ce qui autorise toutes sortes de subventions croisées, fondement même du modèle de Google. Les entreprises de télécom, si elles pouvaient se consolider, feraient un peu plus le poids : si Orange se rapprochait de Deutsche Telecoms, l'ensemble pèserait 100 milliards de dollars de chiffre d'affaires.
Nous appelons donc à plus de liberté dans les prix, l'innovation, les services adjacents, mais aussi la consolidation, tant les effets d'échelle restent l'arme principale dans un secteur où les coûts fixes sont très élevés.