On n'en est pas même encore à la neutralité du net. J'ai cependant le sentiment, au vu de récentes décisions de justice, que les Etats-Unis reculent. Nous pensons qu'il faudrait inscrire cette exigence de neutralité du net dans la loi, voire dans la Constitution. Puisqu'un projet de loi est en cours de préparation, ce pourrait être l'occasion d'aborder la question.
Sur la neutralité de plates-formes, je ne puis en dire trop, car le Conseil national du numérique n'a pas encore rendu son avis. Nous avons beaucoup travaillé, conduit de nombreuses auditions. Rien ne sert de montrer du doigt les GAFA. Au Japon, elles n'ont pas, comme chez nous, 90% des parts de marché : il existe d'autres acteurs. En France même, des entreprises se développent en dépit de la position dominante des grands acteurs américains. Ainsi de Criteo dans le domaine de la publicité, alors qu'existe un concurrent très puissant.
Nous avons, de surcroît, des moyens de nous protéger, ne serait-ce qu'en appliquant le droit de la concurrence. N'oublions pas que le pouvoir de sanction de l'Autorité de la concurrence peut aller jusqu'à 10% du chiffre d'affaire mondial de l'entreprise ; ce n'est pas rien. Si l'abus de position dominante n'est pas prouvé, reste le droit de la consommation et le droit des données personnelles. Rien n'interdit non plus d'édicter des réglementations ad hoc sur certains sujets.
Le rapport au consommateur - qui est parfois coproducteur, comme cela est le cas sur Wikipédia ; et sur les moteurs de recherche, ajouterait Nicolas Colin - est essentiellement régi, sur les grandes plates-formes, par les « conditions générales d'utilisation » (CGU), sortes de contrats presque de gré à gré mais dont peu de gens mesurent les implications croisées. Nous avons abordé ces questions dans notre avis sur le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes ainsi que dans celui sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel. Le fait est que les gens ont du mal à concevoir les obligations auxquelles ils s'engagent quand ils acceptent des CGU. Un travail de simplification, à l'image des creative commons, serait utile. Les industriels sont capables de se mettre d'accord ; ils l'ont fait avec le système des personnages joueurs (PJ) pour les jeux vidéo. Les acteurs du numérique sont très allants sur ce type de sujets. Et l'on est là dans une forme de gouvernance moins verticale, proche des entreprises, des usages.
Dans notre avis sur le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, nous allions même plus loin, en explorant les modes de régulation de type communautaire. Sur Internet, la sanction peut être nulle ou très lourde. Le projet de loi créait une infraction de cyberharcèlement très difficile, à notre sens, à établir. La publication de photos ? Mais tout le monde fait cela tous les jours. Comment faire le départ entre ce qui est anodin et ce qui porte atteinte à la dignité ?
Dans certains cas, la plate-forme se charge de la régulation. C'est le cas de Wikipedia. Quelqu'un qui chercherait à modifier la page consacrée à une personnalité pour y mettre des insultes serait bloqué. Les utilisateurs peuvent être sanctionnés par la communauté elle-même, Cela autorise une gradation. Le jeu vidéo le plus populaire au monde, League of Legends, qui se joue par équipe, a créé un système de reporting grâce auquel un joueur qui dérape en proférant, par exemple, des injures racistes, peut être sanctionné par une suspension temporaire de son compte. C'est là encore une forme de régulation communautaire, qui fonctionne au quotidien. La piste vaut d'être creusée.