Je vous remercie d'avoir eu la subtile initiative de lancer cette réflexion. Dans la gouvernance de l'Internet, les leviers d'action sont internationaux, mais aussi nationaux : c'est sur ces derniers que je centrerai mon propos, en me plaçant sous l'angle technico-économique qui est celui de l'Arcep.
Internet est devenu, en quelques décennies, ce lieu unique où coexistent le lucratif et le non lucratif, le privé et le public, ce qui en fait un objet économique, juridique et sociétal nouveau. Pour autant, il se donne aussi dans la forme classique d'un réseau de communication, dans la continuité de la séquence ouverte au XIXème siècle avec l'apparition du télégraphe. Les contenus de toutes natures qu'il achemine de par le monde l'étaient déjà, depuis un siècle, par les modes de communication classiques. Ce qui est nouveau, en revanche, c'est le protocole d'acheminement, l'IP, qui répond à des règles identiques sur tout le réseau, fixées, à l'origine, par les Etats-Unis pour une grande part. Se posent, de là, des questions nouvelles.
Internet est devenu un bien collectif stratégique, tant au plan national qu'international, et son développement porte des enjeux forts tant en matière économique et sociale que de libertés fondamentales. Autour de lui s'est constitué un écosystème numérique, au coeur duquel on trouve les opérateurs de réseaux, les FAI (fournisseurs d'accès internet), sans lesquels rien ne serait possible. En aval, se trouvent leurs clients, les producteurs de services et de contenus en ligne. En amont, leurs fournisseurs d'équipements et de services informatiques. D'où une problématique du partage de la valeur entre ces acteurs.
La numérisation progressive de la société, qui fait passer des pans entiers du matériel localisé à l'immatériel délocalisé suscite, dans un premier temps, des perturbations touchant l'emploi, voire la souveraineté. Mais n'oublions pas que le modèle industriel, depuis deux siècles, a transformé des activités existantes en les mécanisant à grande échelle, avec les déplacements géographiques que cela a pu impliquer. Des emplois ont été détruits, mais d'autres ont été créés.
La problématique - même si, dans le cas de l'Internet, c'est d'une dématérialisation plutôt que d'une mécanisation qu'il s'agit - est ici très similaire : il s'agit de retrouver un équilibre après une onde de choc. Il faut certes être vigilants, mais sans craintes a priori : l'expérience montre que l'on peut trouver des réponses. Au plan économique, les grandes transformations ont suscité plus de créations d'emplois qu'elles n'en ont détruit, et ont multiplié par dix le niveau de vie de la population.
Pour qu'Internet demeure un espace de liberté, de sécurité et de confiance pour les échanges, privés et publics, entre tous les acteurs de la cité, il ne doit pas se constituer en un espace hors droit. Les échanges qui ont lieu sur ce bien collectif mondial doivent rester régis par les lois applicables dans chaque pays pour des échanges de mêmes nature, notamment celles qui concernent la protection de la vie privée, la propriété intellectuelle, la protection du consommateur, ou encore les crimes et délits. Ces questions sont au centre des travaux récents du Conseil économique, social et environnemental sur la gouvernance de l'internet ou des réflexions du Conseil national du numérique. Le débat n'est pas sans rappeler celui qui a entouré l'élaboration de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, ainsi que je l'évoquais avec votre collègue député Patrick Bloche, autour de l'équilibre entre la liberté d'expression et le respect des droits fondamentaux, de la protection des populations vulnérables ou de la dignité humaine. J'ai dit à Mme Morin-Dessailly, lors d'une précédente audition, que le régime juridique de la presse pourrait constituer un modèle intéressant pour la réflexion, dans la mesure où il s'est agi, là aussi, de concilier la protection des libertés avec d'autres droits. Cela étant, c'est un volet qui ne concerne pas l'Arcep...