Intervention de Olivier Schrameck

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 29 avril 2014 : 1ère réunion
Rapport public pour l'année 2013 — Audition de M. Olivier Schrameck président du conseil supérieur de l'audiovisuel csa

Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) :

C'est pour moi un honneur de vous présenter pour la première fois au nom du Conseil supérieur de l'audiovisuel son rapport annuel, adopté le 12 mars dernier et envoyé au Président de la République, au Gouvernement et au Parlement. C'est d'abord un rapport d'activité même si nous suggérons également cette année, comme nous y invite l'article 18 de la loi du 30 septembre 1986, une série de propositions d'ordre législatif et réglementaire pour améliorer la régulation de l'audiovisuel. Ce lien qu'exprime la présentation du rapport annuel devant les commissions des deux chambres est pour nous tout à fait essentiel. Je vois dans cette présentation et dans l'échange qui suivra une des manifestations importantes de la relation régulière, confiante et dense que nous avons avec le Parlement. Ce lien s'est d'ailleurs concrètement traduit tout au long de l'année 2013 par de nombreuses auditions, de moi-même et de mes collègues, devant les parlementaires. Nous sommes très sensibles, de manière générale, à ce que le législateur ait multiplié les dispositions qui nous conduisent à vous rendre compte de notre activité.

Le contenu même de ce rapport annuel a été nettement enrichi par la loi du 15 novembre 2013, en particulier par l'accent porté sur les incidences économiques des décisions du CSA et sur l'état de la concurrence et de la concentration au sein du secteur. Nous avons souhaité qu'il reflète également le renforcement, voulu par le législateur, de notre mission d'accompagnement du service public audiovisuel ; le rapport y consacre désormais une partie spécifique, rendant compte non seulement du respect par France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel (INA) de leurs obligations, mais également des avis rendus sur les contrats d'objectifs et de moyens, ainsi que des nominations des administrateurs selon les nouvelles exigences de parité et de représentativité.

Les dispositions issues de la loi du 15 novembre 2013 étant appliquées à partir de cette année, c'est seulement notre rapport de l'an prochain qui rendra compte de leur application et qui traduira l'effet du nouveau statut du CSA, devenu une autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale.

De façon générale, le législateur a renforcé les missions de régulation du Conseil ainsi que son rôle économique, tout en l'incitant à établir une convergence avec les autorités de régulation européennes. Mon propos rendra successivement compte de l'activité du Conseil sous ces trois angles.

En premier lieu, l'année 2013 a été celle d'une action résolue en faveur des valeurs et des principes fondamentaux dont vous nous avez confié la garde, selon des méthodes privilégiant la concertation avec les opérateurs et la prise en compte des attentes du public.

Dans l'exercice de ses missions de suivi et de contrôle, le Conseil organise désormais, systématiquement, un échange préalable et contradictoire, en recherchant l'adhésion de ses partenaires. En attestent les concertations menées en 2013 sur le témoignage des mineurs, la diffusion des images de guerre et des actes de terrorisme ou encore sur les brefs extraits sportifs, cette dernière ayant été poursuivie cette année.

La démarche ouverte et collaborative du CSA s'illustre également dans les actions collectives mises en oeuvre pour promouvoir les valeurs et objectifs qui sont au coeur de nos missions.

Les médias ont été associés, également, à plusieurs campagnes de sensibilisation, organisées par le CSA, comme celle - récurrente - sur la signalétique jeunesse, ou proposées par lui, ainsi de la mobilisation inédite des chaînes en faveur de la diversité à l'occasion du 14 juillet, sous le titre « Nous sommes la France ».

Dans ce même esprit, la préparation de plusieurs grandes manifestations a marqué l'année. Les Assises de la radio, d'abord, que nous avons organisées en novembre en collaboration avec le ministère de la culture et de la communication ; ou encore le colloque sur la langue française dans les médias audiovisuels que nous avons tenu au Collège de France en décembre ; mais également les 24 heures du sport féminin dans les médias, le 1er février dernier.

Sur le plan de notre action normative, la signature de chartes impliquant les ministères, l'ensemble des acteurs audiovisuels et le monde associatif exprime notre souci de privilégier des modes de régulation fondés sur le volontariat, le partenariat et la compréhension mutuelle des enjeux.

La charte connue sous le nom de « charte alimentaire » a pour objectif de promouvoir, dans les programmes comme dans la publicité, la bonne alimentation et l'activité physique, notamment des plus jeunes ; sa reconduction en novembre a été l'occasion d'en amplifier les engagements et d'accroître le nombre des signataires : six ministères, trente-six chaînes et quinze grands acteurs professionnels et associatifs. Celle qui a été préparée à la fin de l'année dernière avec les administrations, les écoles de formation et les chaînes vise à favoriser l'insertion professionnelle des personnes handicapées dans les entreprises de l'audiovisuel. Ces chartes entendent unir et responsabiliser, valoriser et promouvoir, sans contraindre ni stigmatiser.

La démarche conventionnelle s'illustre aussi dans le registre de la coopération institutionnelle. Nous avons travaillé à un partenariat avec le Défenseur des droits pour assurer une plus étroite collaboration sur les champs qui nous sont communs, en particulier celui de la lutte contre les discriminations. Sa signature était prévue en janvier dernier. Cette mention est naturellement pour moi l'occasion de rendre hommage à la mémoire de Dominique Baudis dont la présidence a fortement marqué notre institution.

Dans l'exercice de nos missions fondatrices, l'information et la transparence sont, au même titre que la concertation et la coopération, des exigences de la régulation. C'est ainsi que le baromètre sur la diversité, celui sur la qualité des programmes, ou encore l'étude sur la place des femmes dans les médias - dont le thème correspond à l'une des priorités du Conseil affirmées cette année - concourent à une prise de conscience collective et traduisent notre attention constante aux préoccupations des téléspectateurs et des auditeurs, illustrées par leurs nombreux courriers, et dont vous nous saisissez fréquemment.

Les outils numériques sont tout particulièrement adaptés au renforcement de cette relation étroite entre le CSA et le public. Notre nouveau site « Éducation et Médias », ouvert le 7 novembre dernier, regroupe ainsi les contributions de partenaires publics et privés sur le thème de l'éducation aux médias qui a été un second thème prioritaire engagé dès le début de l'année 2013.

C'est donc inspirés par cette conception de la régulation, incitative, itérative et collaborative, que nous exerçons nos missions tenant à la défense des principes de l'État de droit et de ses valeurs sociales et culturelles. Mais celles-ci ne concernent pas uniquement les programmes. Elles dépendent également, et de manière aussi cruciale, de la santé économique du secteur et du bon fonctionnement des marchés de l'audiovisuel, qui sont des conditions essentielles de la liberté de communication comme de la sauvegarde du pluralisme et de la promotion de la diversité culturelle.

Cette dimension économique fondamentale de la régulation audiovisuelle, présente dès l'origine, est plus que jamais nécessaire. La loi du 15 novembre 2013 a, comme je l'ai souligné d'emblée, ouvert la voie de son renforcement. En 2013, ce rôle économique s'est illustré de multiples façons.

J'évoquerai d'abord l'offre de services en radio et télévision hertzienne.

S'agissant de la télévision, le Conseil a poursuivi en cinq étapes successives le déploiement des six nouvelles chaînes nationales gratuites de la télévision numérique terrestre (TNT) lancées en décembre 2012. Je me suis attaché à vous en informer préalablement et précisément. Un premier bilan de cet élargissement de l'offre, évoqué dans le rapport, devra être dressé dès cette année. Parallèlement, le secteur de la télévision locale a fait l'objet d'une attention particulière : le rapport présente cette année un premier panorama de son développement et de ses moyens de financement, comme le prescrit la loi du 15 novembre 2013.

Je tiens à rappeler à quel point l'utilisation du spectre hertzien demeure cruciale pour la communication audiovisuelle. A l'occasion des premières réflexions sur l'avenir de la bande de fréquences dite des 700 MHz, le Conseil a souligné le caractère structurant de la plateforme TNT. Ce mode de diffusion simple, gratuit, anonyme et accessible sur l'ensemble du territoire doit pouvoir intégralement accéder à la haute définition, et même à l'ultra haute définition. Le Conseil est naturellement disponible pour contribuer aux travaux de la commission de modernisation de la diffusion audiovisuelle, créée par la loi du 15 novembre 2013, qui doit être saisie préalablement à toute réaffectation de fréquences audiovisuelles.

S'agissant de la radio, la recherche constante d'une meilleure utilisation de la bande FM s'est d'ores et déjà traduite par l'identification de quelque 150 fréquences supplémentaires dont l'allocation est en cours. Nous avons conscience que, par un renouvellement des méthodes, les perspectives d'une densification doivent être ouvertes.

Plus largement, et comme nous l'avons souligné lors des Assises de la radio, c'est la configuration générale du marché de la radio qui préoccupe le CSA. C'est ce qui nous a conduits à engager une réflexion de fond sur la régulation de la concentration du secteur. Nous avons pris le parti, pour éclairer au mieux le Parlement, de soumettre nos pistes de réflexion à la concertation, qui s'est déroulée de manière ouverte et constructive depuis deux mois et nous serons ainsi en mesure de vous adresser notre rapport final dans les tout prochains jours.

En 2013, la fonction économique du Conseil s'est également traduite par une activité très soutenue d'observation, d'expertise et d'analyse, à travers notamment des avis à l'Autorité de la concurrence ou la publication de plusieurs études sur l'économie des médias. Ce sont au total plus de vingt avis et plus de trente études que le CSA a adoptés cette année.

Cette activité témoigne de l'attachement porté par le Conseil au soutien à la création culturelle, son financement et son exposition dans les médias. Un tel enjeu se situe au confluent des aspects socio-culturels et économiques de la régulation, dont il illustre le caractère indissociable. À cet égard, en 2013, nous avons par exemple analysé l'exposition de la musique à la radio, la fiction de journée et d'avant-soirée à la télévision, ainsi que la mise en oeuvre du décret sur les services de médias audiovisuels à la demande (SMAD). Sur ce dernier point, dont l'émoi suscité par l'arrivée prochaine du service américain Netflix sur le marché français démontre l'importance cruciale, notre bilan fait ressortir que la réglementation soulève, notamment par sa complexité, de réelles difficultés d'application, tant pour les éditeurs que pour le régulateur.

La loi du 15 novembre 2013 a significativement ouvert la voie à une approche plus réactive et plus éclairée économiquement, notamment en développant le recours aux études d'impact préalables à nos décisions. Nous croyons nécessaire, dans son prolongement, que le CSA accomplisse pleinement sa mutation en devenant un véritable régulateur économique, dans une triple perspective.

La première est celle du fonctionnement des marchés de l'audiovisuel, qu'il s'agisse de l'acquisition des droits, de la distribution ou encore de la publicité. Nous souhaitons que soit affirmée par le législateur notre nécessaire mission d'analyse de ces marchés, consistant à les identifier, les délimiter, en apprécier le fonctionnement concurrentiel, préfigurer et anticiper leurs évolutions, afin de fournir aux opérateurs les indications claires et transparentes indispensables à la conduite de leurs projets. Ces analyses régulières et systématiques, complémentaires des études d'impact par nature plus ponctuelles, nous permettraient en outre d'éclairer les pouvoirs publics et de mieux étayer l'exercice de nos autres compétences.

Le deuxième aspect est celui des relations entre les acteurs de l'audiovisuel, que le Conseil peut contribuer à faciliter et faire fructifier. La mission de règlement des différends et de conciliation qui incombe au CSA est encore partielle, dès lors que tous n'y ont pas accès. Nous proposons la généralisation de cette compétence, conforme à notre vocation d'accueil et de dialogue.

Notre troisième préoccupation afférente à nos responsabilités économiques est celle de l'affirmation explicite d'une mission de gestion optimale du spectre. Au-delà de la faculté qui vient d'être ouverte de différer le lancement d'un appel à candidatures, nous devons garantir aux acteurs de l'audiovisuel la meilleure utilisation possible de cette ressource rare et de très grande valeur du domaine public.

Cette reconnaissance pleine et entière de la fonction de régulation économique incombant au CSA est aussi indispensable à l'accompagnement de la transition numérique. En effet, la diversification des canaux de communication est un facteur d'émulation, mais porte en elle des effets potentiellement déstabilisants, notamment pour le financement de la création, du fait de l'asymétrie des contraintes. Il importe d'appréhender l'économie de l'audiovisuel dans sa globalité, y compris dans ses ramifications numériques, conformément au principe de neutralité technologique.

Pour autant, il ne s'agit pas de transposer aux nouveaux services numériques les modes de régulation aujourd'hui applicables aux télévisions et aux radios, ni de conférer au CSA un quelconque pouvoir de censure à leur égard. Parce que l'audiovisuel est complexe et diversifié, la régulation doit être graduée. Les spécificités et apports de l'Internet, son caractère éminemment interactif et décentralisé, son indifférence naturelle aux frontières nationales, sa culture empreinte de liberté, justifient une approche particulière, reposant sur la libre adhésion, l'incitation et l'encouragement des bonnes pratiques.

C'est le sens du dispositif de conventionnement volontaire que nous proposons. L'atout majeur de ce système réside dans sa souplesse, c'est-à-dire dans la variété des engagements qui peuvent être souscrits et des avantages qui peuvent être concédés en contrepartie. Cela permettrait d'associer aux objectifs de la régulation la plus grande variété d'entreprises, internationales ou locales, quelle que soit leur taille.

Dans le même esprit d'incitation, le Conseil rappelle dans son rapport annuel ses préconisations en faveur d'une simplification du régime applicable aux SMAD. Un assouplissement de son cadre réglementaire permettrait de stimuler le développement des services numériques et d'encourager leur installation sur le territoire français. Il serait, à nos yeux, complémentaire du dispositif préconisé de conventionnement, dès lors que celui-ci inciterait les opérateurs à prendre, au-delà de leurs obligations minimales, des engagements en faveur du financement et de l'exposition de la création française et européenne.

La modernisation de la régulation audiovisuelle passe aussi par une démarche coordonnée au niveau européen. À cette fin le Conseil s'est engagé dans la préfiguration d'un groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels, qui faisait défaut au secteur jusqu'à présent, en réunissant plusieurs de ses homologues européens à Paris en septembre 2013. Des travaux préparatoires ont été conduits en novembre et décembre. À leur suite, la Commission européenne a décidé, le 3 février 2014, d'instituer ce groupe, connu maintenant sous l'acronyme ERGA, et dont j'assurerai la présidence jusqu'en 2015 et la vice-présidence en 2016. Un mois après sa création, l'ERGA s'est déjà réuni pour fixer le cadre d'un programme d'action que nous sommes actuellement en train d'élaborer.

Nous devrons nécessairement travailler à l'adaptation des directives : celle de 2010 sur les services de médias audiovisuels qui constitue le cadre commun du secteur au sein de l'Union, mais aussi celle de 2000 sur le commerce électronique, car la convergence numérique a considérablement renforcé la nécessité d'une actualisation et d'une plus grande articulation entre elles deux. C'est notamment ce que nous avons souligné en juillet 2013, dans notre réponse au Livre vert de la Commission justement intitulé : « Se préparer à un audiovisuel totalement convergent ».

Mais sans attendre la révision de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA), notre propre dispositif de régulation peut déjà progresser. D'abord parce que le droit européen offre d'importantes marges de manoeuvre qui n'ont pas toutes été pleinement exploitées. Ensuite parce que la France peut jouer un rôle de référence, en adoptant des modes de régulation innovants dont elle pourra ensuite proposer l'extension à l'échelle européenne.

Tels sont les faits et les enseignements marquants de cette année 2013 pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Ils dessinent un secteur audiovisuel marqué par des changements profonds et accélérés des technologies, des usages et des équilibres économiques. Ces bouleversements appellent de la part du régulateur un effort d'accompagnement accru et une capacité d'anticipation renforcée. Au-delà de notre échange, dont j'attends beaucoup, soyez assurés que le Conseil restera tout au long de l'année à votre disposition pour contribuer aux travaux que vous pourriez être amenés à conduire pour adapter à cet environnement profondément renouvelé les principes et les règles de notre droit.

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