Intervention de Stéphane Le Foll

Réunion du 5 mai 2014 à 16h00
Interdiction de la mise en culture de variétés de maïs génétiquement modifié — Adoption définitive en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Stéphane Le Foll :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons déjà eu l’occasion de débattre de ce sujet et je souhaite repréciser brièvement les enjeux de cette proposition de loi et les objectifs visés par ses auteurs.

Tout d’abord, il convient de rappeler que le principe d’un moratoire sur la culture des organismes génétiquement modifiés recueille depuis longtemps un accord général en France, au-delà des clivages politiques traditionnels. Certes, quelques-uns, dans cet hémicycle en particulier, ont toujours défendu des avis différents, demandant de laisser aux agriculteurs la possibilité d’avoir recours aux organismes génétiquement modifiés, ou OGM. Quoi qu’il en soit, la France a toujours défendu la même position quant au moratoire, et cette position a encore été rappelée par le Président de la République.

Il se trouve que, compte tenu de la législation européenne actuelle et de l’intervention du Conseil d’État, saisi par un certain nombre d’organisations professionnelles, qui a remis en cause un certain nombre de procédures liées à la clause de sauvegarde, il est nécessaire d’adopter un nouveau cadre juridique pour permettre l’application du moratoire sur la mise en culture des OGM.

Tel a été l’objet de l’arrêté que j’ai pris le 14 mars dernier concernant le maïs MON 810 de Monsanto et tel est l’objet de la présente proposition de loi, qui vise à englober d’une manière plus large les organismes génétiquement modifiés, afin de donner à notre pays un cadre juridique permettant que ce moratoire soit appliqué.

Ce débat, nous l’avons déjà constaté en février dernier, suscite des interrogations légitimes, qui méritent que l’on précise les objectifs du cadre juridique que j’entends défendre devant vous aujourd’hui.

En premier lieu, la législation européenne actuelle ne convient à personne. D’une part, elle est extrêmement longue à mettre en œuvre – je crois qu’il n’y a qu’une variété d’OGM autorisée tous les dix ans. D’autre part, lors de la dernière discussion concernant l’autorisation d’un maïs OGM, le TC 1507 de Pioneer, dix-neuf États ont voté contre, quatre se sont abstenus et cinq ont voté pour : du coup, l’autorisation a été accordée. Cette situation juridique à l’échelle européenne ne peut vraiment pas perdurer et il faut modifier le cadre actuel pour y voir plus clair et éviter de rencontrer des problèmes au niveau de chacun des États.

Nous avons engagé cette discussion au niveau du Conseil des ministres de l’Union européenne. Avec le nouveau Parlement européen qui sera issu des élections européennes qui auront lieu dans quelques semaines et la mise en place d’une nouvelle Commission, cette discussion sera amenée à se poursuivre. Au sein du Conseil des ministres, la France a défendu depuis le départ, à la suite du problème que nous avons rencontré au sujet du maïs Pioneer TC 1507, la même position tendant à la modification des règles juridiques d’autorisation et de mise en culture des organismes génétiquement modifiés.

Je le dis solennellement devant vous cet après-midi, cette discussion avance et, de mon point de vue, plutôt dans le bon sens. Il nous faut un cadre juridique qui permette de définir des critères en fonction desquels chaque État puisse faire le choix d’accorder ou de refuser l’autorisation de mise en culture d’organismes génétiquement modifiés.

Parmi ces critères figure, comme c’est le cas pour l’agrément des produits phytosanitaires, la prise en compte des bénéfices et des coûts de la mise en culture des différentes variétés d’OGM. Il est aussi nécessaire de définir officiellement et clairement dans le droit européen les critères environnementaux qui peuvent être retenus, en particulier sur la question de la dissémination. Les États pourront ainsi se prononcer en fonction des avantages et des inconvénients, mais aussi des risques environnementaux.

Il faut également prendre en compte la situation agronomique des productions agricoles, qu’il s’agisse des productions de qualité ou de celles qui sont issues de l’agriculture biologique. Certains États d’Europe, dont la superficie est nettement inférieure à celle de la France, développent des productions de qualité qui ne permettraient pas le recours aux organismes génétiquement modifiés, sauf à accepter la dissémination et la remise en cause d’un certain nombre de cahiers des charges. De même, un pays étendu comme la France, qui a développé beaucoup de productions de qualité ainsi qu’une agriculture biologique, doit pouvoir faire le choix de recourir ou non aux organismes génétiquement modifiés.

La négociation en cours avance, j’espère qu’un texte pourra être adopté pendant la présidence grecque de l’Union européenne, afin que le débat puisse s’engager le plus rapidement possible devant le Parlement européen, parce que nous ne pouvons pas rester dans la situation où nous nous trouvons aujourd’hui.

Cette proposition de loi vise donc à combler le vide juridique qui existe en France après l’arrêt rendu par le Conseil d’État, elle a été votée par l’Assemblée nationale et il vous revient de l’adopter aujourd’hui, du moins je l’espère.

Si l’on s’attache aux aspects juridiques, en particulier en ce qui concerne le maïs Monsanto 810, je tiens à rappeler que son autorisation de mise en culture est vieille de seize ans. Elle aurait dû être renouvelée au terme de dix ans, ce qui n’a pas été fait. Or depuis quelques années l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’AESA, elle-même considère que la culture de cette variété de maïs emporte des conséquences négatives qu’elle n’avait pas évoquées lors de l’autorisation initiale. Si nous voulions faire preuve de juridisme, nous y aurions largement matière, puisque cette autorisation aurait dû être renouvelée.

En second lieu, outre les problèmes posés par le droit européen que je viens de mentionner, il convient de rappeler que le préambule de notre Constitution renvoie à la Charte de l’environnement qui consacre le principe de précaution, auquel cette proposition de loi est parfaitement conforme.

J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet devant le Haut Conseil des biotechnologies. L’enjeu des études dont nous disposons aujourd’hui, en particulier celles qui ont été réalisées aux États-Unis, était d’examiner dans une perspective de moyen terme l’impact global des organismes génétiquement modifiés sur l’utilisation des herbicides et des pesticides.

On entend souvent dire, en effet, que les OGM permettent d’utiliser moins de pesticides et d’herbicides. Or les deux études dont nous disposons, qui sont le résultat d’une quinzaine d’années d’expérimentation, indiquent de façon très claire que les quantités d’herbicides ont augmenté de 7 %.

Nous avons eu cette discussion à plusieurs reprises. Je le répète donc clairement : selon plusieurs études américaines disponibles aujourd’hui, la diminution de l’utilisation d’un certain nombre de produits phytosanitaires, en particulier les herbicides, n’est pas avérée, tant s’en faut ! Nous assistons même à une augmentation de l’utilisation des herbicides.

Quelle en est la raison ? Ce point est intéressant dans le cadre du présent débat.

Il est vrai que, dans les premiers temps de l’utilisation des OGM, on assiste à une baisse du recours aux herbicides et aux pesticides. Mais, au fur et à mesure, la résistance, en particulier d’un certain nombre de plantes, se renforce, ce qui nécessite, les années passant, d’utiliser davantage d’herbicides. Ce constat, j’en suis persuadé, est de nature à valider une démarche rationnelle par rapport à l’utilisation des OGM dont nous parlons aujourd’hui.

Je tiens à dire, pour conclure, qu’il ne s’agit pas, en l’occurrence, de renoncer à la recherche et à l’idée selon laquelle on pourrait, un jour, utiliser des OGM. Je rappelle ainsi, un amendement ayant été déposé sur ce sujet, que les expérimentations en plein champ sont aujourd’hui possibles : cela figure dans le droit de l’environnement. Le rapporteur y reviendra.

Il n’est pas question de renoncer, au contraire ! Si le cadre européen nous permet enfin de discuter autour de critères précis, comme le rapport bénéfice-coût que j’évoquais précédemment, nous pourrons alors engager un débat plus serein, pleinement démocratique, sur les enjeux liés aux OGM et sur les objectifs que nous voulons fixer pour l’agriculture de demain, en particulier sa durabilité, sa capacité à préserver l’environnement et à éviter les disséminations.

Je l’ai dit, les OGM de première génération, résistants aux herbicides et producteurs de pesticides, ont aujourd’hui montré leurs limites. Mais d’autres débats vont s’ouvrir à l’avenir, qui portent sur d’autres sujets.

Je pense à la possibilité de modifier des gènes afin de développer des plantes plus résistantes au stress hydrique, lorsque la ressource en eau se fait rare.

Je pense aussi à la possibilité d’augmenter la teneur en vitamines d’une plante, par exemple d’une céréale, comme ce fut le cas pour le riz doré, qui a permis de compenser les carences en vitamine A, l’une des principales causes de cécité dans les pays en développement.

Toutes ces questions méritent un débat permettant de mettre sur la table, à la fois, les enjeux en présence, l’intérêt général et le coût des OGM.

Je souhaite que, à la suite des décisions que vous allez prendre, nous puissions, avec le changement du cadre européen et dans un débat organisé, nous poser des questions pour l’avenir. Sur les OGM de première génération, tout nous conduit à considérer, objectivement, rationnellement et scientifiquement, qu’une page peut, et doit, se tourner. Nous devons collectivement en ouvrir une autre.

Quoi qu’il en soit, merci de ce débat, qui, je le sais, sera, comme chaque fois, de grande qualité. §

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