Intervention de Dominique Leclerc

Réunion du 16 juin 2010 à 14h30
Débat sur les retraites

Photo de Dominique LeclercDominique Leclerc, rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le rendez-vous de 2010 sur les retraites est maintenant largement engagé et nous connaissons depuis ce matin les grandes orientations du projet de loi que déposera le Gouvernement le mois prochain. Il nous reviendra, à l’automne, de statuer sur cette réforme et de prendre nos responsabilités de parlementaires.

Sous la présidence d’Alain Vasselle, la MECSS a donc décidé de conduire un travail approfondi, dont le débat d’aujourd’hui est l’aboutissement. Christiane Demontès et moi-même avons tenté de balayer tout le champ des possibles et de tracer des perspectives pour l’avenir.

Plutôt que de résumer le rapport que nous avons présenté, et dont vous avez pu prendre connaissance, je concentrerai mon propos sur quelques points qui me paraissent essentiels.

Tout d’abord, nous devons faire face à un problème financier considérable, qui ne doit pas masquer le fait que le régime de retraite exprime d’abord une conception du projet de société. Face à l’accroissement de l’espérance de vie, au vieillissement de la population et à toutes les conséquences que ces phénomènes entraînent, quel modèle de société souhaitons-nous défendre ?

Notre système de protection sociale, notamment le système de retraite, a eu des effets bénéfiques incontestables en permettant l’élévation progressive du niveau de vie des retraités, qui est aujourd’hui proche de celui de la moyenne des actifs.

Ce modèle est aujourd’hui en difficulté : au-delà des déficits, il est également menacé par la grave perte de confiance que l’on observe chez les jeunes générations. Le vieillissement de la population, tel qu’il est actuellement géré, ébranle les fondements du pacte générationnel.

Jusqu’à présent, la norme était celle d’un contrat social passé entre la génération des parents et celle des enfants. Or celui-ci engage aujourd’hui la génération des petits-enfants, car les pensions servies aux retraités actuels sont financées par la dette dont hériteront leurs petits-enfants.

Le risque de voir les jeunes actifs, actuels et à venir, refuser de cotiser plus et de travailler plus longtemps est réel. Il est impératif de leur redonner confiance dans les retraites. C’est donc par la préparation du système de retraite de demain, celui de la France de 2030, que passe la refondation du pacte intergénérationnel.

Pour ce faire, tous les leviers disponibles doivent être actionnés, car aucun ne pourra à lui seul permettre de rétablir les comptes de l’assurance vieillesse. Selon le COR, si nous voulions y parvenir en intervenant sur un seul paramètre, il faudrait d’ici à 2020 soit relever l’âge effectif moyen de départ de près de cinq ans, soit augmenter les cotisations de 5 points, soit diminuer de plus de 20 % le niveau relatif des pensions…

Pis encore, dans le même cas de figure, cette fois à l’horizon de 2050, il faudrait soit relever l’âge effectif moyen de départ de près de dix ans, soit augmenter les cotisations d’environ 10 points, soit diminuer le niveau relatif des pensions de plus de 35 %. Cela n’est pas acceptable.

Il convient donc d’examiner tous les moyens d’action à notre disposition. Ceux-ci sont au nombre de quatre.

Premièrement, il s’agirait de diminuer le taux de remplacement et le montant des pensions. Disons d’emblée qu’il ne nous paraît pas envisageable de procéder à cette baisse, d’autant que leur niveau relatif est déjà en diminution dans le secteur privé. En effet, les pensions et les salaires portés au compte sont indexés sur les prix, qui progressent moins vite que les salaires des actifs. En outre, si elle n’est pas mauvaise, la moyenne du niveau de vie des retraités masque des disparités fortes : un grand nombre de nos concitoyens retraités vivent encore avec des pensions très faibles. C’est le point essentiel que nous avons retenu des auditions que nous avons menées.

Deuxièmement, nous pourrions décider d’agir sur l’âge effectif de départ à la retraite, élément à l’évidence essentiel pour le redressement financier du système de retraite.

Chacun le sait, en France, l’âge de cessation d’activité est particulièrement bas : 58, 3 ans pour le régime général. L’âge de liquidation des droits à la retraite s’établit, pour sa part, autour de 61, 5 ans, ce qui montre qu’un grand nombre de salariés ne sont plus en activité au moment de la liquidation de leur retraite.

Compte tenu de la progression continue de l’espérance de vie, il est absolument nécessaire de prolonger la durée d’activité. Il existe deux moyens d’y parvenir : augmenter la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein, d’une part ; relever les âges légaux d’ouverture des droits et d’obtention d’une pension à taux plein, d’autre part.

Sur la durée de cotisation, d’abord, la loi de 2003 a posé un principe très fort consistant à faire en sorte de maintenir stable, au fil du temps, le rapport entre la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein et la durée moyenne de retraite, qui correspond à peu près à l’espérance de vie à 60 ans.

En application de ce principe, la durée de cotisation pour une retraite à taux plein serait de 41 ans en 2012, conformément au calendrier de la loi Fillon. Pour la suite, l’application des principes posés par cette même loi pourrait impliquer un passage à 41, 5 ans de cotisations en 2020, puis à 42, 25 ans en 2030 et à 43, 5 ans en 2050.

La MECSS considère que les règles posées par la loi de 2003 méritent d’être conservées et propose de poursuivre l’augmentation de la durée de cotisation en fonction de l’allongement de l’espérance de vie, sans l’accélérer mais sans l’interrompre. Le projet de loi pourrait poser le principe d’un passage de 41 ans à 41, 5 ans de cotisation entre 2012 et 2020 et prévoir des évolutions réglementaires ultérieures avec l’intervention de la Commission de garantie des retraites et du COR.

Troisièmement, il serait possible de procéder à un relèvement des âges légaux. La France figure parmi les rares pays à avoir conservé l’âge de la retraite à 60 ans, malgré l’allongement de l’espérance de vie. Il va donc de soi que l’âge minimal de départ à la retraite fait partie des leviers à activer en 2010, à deux conditions toutefois : engager une politique très active en faveur de l’emploi des seniors et des jeunes ; prendre en compte la pénibilité de certains métiers pour ne pas pénaliser les travailleurs dont elle a réduit l’espérance de vie.

J’en viens aux modalités de relèvement de l’âge légal de départ à la retraite. Il nous paraît souhaitable de retenir la même méthode que pour la durée d’assurance, c’est-à-dire un relèvement progressif, assorti de bilans d’étape dans lesquels pourrait intervenir, là encore, la Commission de garantie des retraites, notamment pour suivre l’évolution du taux d’emploi des seniors et vérifier que la réforme n’a pas pour effet d’augmenter le taux de chômage.

Le maintien du dispositif de cessation anticipée d’activité pour carrière longue introduit par la loi de 2003 pourrait permettre d’éviter que le relèvement de l’âge légal de départ à la retraite ne pénalise trop fortement ceux qui ont commencé à travailler le plus tôt.

Le relèvement de l’âge légal ne peut être compris que s’il concerne l’ensemble de nos concitoyens, c’est-à-dire également ceux qui partent aujourd’hui avant 60 ans en raison des bonifications dont ils bénéficient.

Quoi qu’il en soit, le relèvement de l’âge effectif de départ à la retraite est un pilier de la réforme, mais ne sera pas suffisant. Les mesures relatives à l’âge et à la durée de cotisation ne permettent de faire face, au mieux, qu’à 50 % des besoins de financement de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, et ce à l’horizon 2030. En outre, ces mesures d’âge ont des effets progressifs et laissent entière la question des déficits actuels.

Il est donc indispensable de rechercher de nouvelles recettes, sauf à accepter l’accumulation des déficits et, ce faisant, la constitution d’une dette sociale considérable dont la charge reposera sur les générations futures.

Sur la question des recettes, la MECSS a envisagé plusieurs hypothèses. Là encore, la mobilisation d’une seule catégorie de revenus ne pourra pas suffire. En effet, ce sont non pas quelques dizaines ou centaines de millions d’euros qu’il faut trouver, mais bien plusieurs milliards d’euros !

S’agissant des cotisations sociales, les marges sont évidemment étroites, puisque leur niveau est déjà élevé. Il conviendra cependant d’opérer le redéploiement de cotisations chômage vers la branche vieillesse prévu en 2003, et ce dès que la croissance et le niveau du chômage le permettront.

L’assiette de ces cotisations pourrait par ailleurs être élargie, notamment en limitant certains mécanismes d’exonération, d’exemption ou de réduction. La commission des affaires sociales a ainsi préconisé, dès l’année 2009, une annualisation du calcul des exonérations de charges, dont on pourrait attendre 2 milliards d’euros d’économies par an.

Naturellement, la recherche de recettes complémentaires exige la poursuite de l’examen de la pertinence de l’ensemble des niches sociales.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a créé le forfait social, mais certains éléments en demeurent exclus. Le taux de ce forfait, fixé initialement à 2 %, a été doublé dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Son rendement est estimé à un peu moins de 800 millions d’euros cette année.

Plusieurs pistes sont envisageables pour aller plus loin dans la remise en cause des niches sociales : élargissement de l’assiette du forfait social ; relèvement du taux de ce forfait, dont le montant reste faible même pour un taux fixé à 4 % ; relèvement du taux spécifique applicable aux attributions de stock-options et d’actions gratuites. En outre, l’incohérence entre les différents régimes de rupture permet aujourd’hui des optimisations qui ne sont pas acceptables et nécessiterait que soit remise à plat la taxation des indemnités de rupture. Il conviendrait également que soit instaurée une taxation des retraites chapeaux.

Quatrièmement, enfin, le rééquilibrage du système des retraites doit sans doute passer par la mobilisation de ressources nouvelles.

Une première piste consisterait à examiner les avantages fiscaux spécifiques dont bénéficient les retraités, notamment un taux réduit de contribution sociale généralisée sur les pensions. Il pourrait donc être envisagé d’aligner la CSG des retraités imposables sur celle des actifs, ce qui permettrait d’épargner les petites retraites et rapporterait environ 2 milliards d’euros. Cette uniformisation des taux correspondrait davantage à la nature de la CSG, censée être un prélèvement universel.

Une autre hypothèse consisterait à instaurer un prélèvement spécifique sur les revenus du capital, qui pourrait s’ajouter aux prélèvements existants. Relever d’un point le taux global de ces prélèvements rapporterait un peu plus d’1, 1 milliard d’euros. Il serait également possible de mettre à contribution les contribuables ayant un revenu particulièrement élevé, et ce à travers l’impôt sur le revenu.

Je dirai à présent quelques mots sur l’épargne retraite. Celle-ci a vocation à être un complément à la retraite par répartition, mais elle ne doit pas pour autant être négligée.

L’objectif, dans ce domaine, doit être non pas de créer de nouveaux produits, mais d’assouplir le fonctionnement des contrats existants, qu’il s’agisse d’épargne individuelle ou d’épargne collective, pour les rendre plus attractifs, en visant spécifiquement les jeunes, qui doivent être incités à épargner tôt, …

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