Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme les uns et les autres l’ont rappelé, effectivement, nous débattons des retraites quelques heures après la présentation du projet de réforme du Gouvernement.
Nous sommes bien conscients que ce sujet constitue un enjeu tout à fait considérable pour chaque famille française, mais aussi pour le contrat entre les générations et pour nos finances publiques.
La situation très difficile à laquelle nos régimes de retraite sont confrontés, et qui menace leur pérennité, préoccupe, à juste titre, nos concitoyens.
Les chiffres sont connus : dès aujourd’hui, une retraite sur dix n’est pas financée ; si nous ne faisons rien, ce sera une sur six en 2030.
Nier la réalité n’a jamais constitué une politique efficace sur le long terme. C’est pourquoi votre projet de réforme, monsieur le secrétaire d'État, a le courage d’apporter des réponses aux interrogations des Français, soucieux de sauver leur système de retraite.
Beaucoup a déjà été dit dans ce débat, sur le diagnostic et les mesures que nous aurons à examiner dans le cadre de la discussion parlementaire à la rentrée.
Dès à présent, j’insisterai, pour ma part, sur deux points.
Le premier concerne les inégalités entre hommes et femmes. La France présente, en matière de retraite, des écarts très importants : les droits à la retraite propres aux femmes n’y représentent que 48 % de ceux des hommes, contre 68 % en Suède, par exemple. Même en prenant en compte les droits dérivés, comme les pensions de réversion, on ne parvient guère qu’à des taux de 62 % en France, contre 79 % en Suède.
Les inégalités durant la vie active entraînent les inégalités à la retraite : le taux d’activité des femmes est plus faible ; les interruptions d’activité liées aux enfants concernent avant tout les mères ; les femmes sont plus frappées par le chômage que les hommes ; les emplois à temps partiel sont très majoritairement occupés par des femmes ; enfin, l’écart de salaire entre hommes et femmes est au moins de 20 %. Tout se combine pour affaiblir le niveau des pensions des femmes. À tel point que trois femmes sur dix attendent 65 ans pour liquider leur retraite et ne pas subir la décote.
De plus, des études récentes montrent que le système français de réversion de pension fonctionne moins bien qu’autrefois, en raison de l’augmentation du nombre de divorces et d’unions libres ou encore de l’accroissement du travail à temps partiel pour une grande proportion de femmes. Beaucoup d’entre elles se retrouvent ainsi isolées à la retraite et le niveau de leur pension ne dépend plus que de leurs droits propres.
Devant un tel constat, la réforme majeure de sauvegarde des retraites conduite par le Gouvernement doit permettre d’atténuer à l’avenir de telles iniquités. M. le ministre du travail a, me semble-t-il, annoncé tout à l’heure que cet état de fait serait pris en compte dans les réformes, ce que nous souhaitons vivement.
Second point de mon intervention, la question des retraites me semble indissociable de celle des conditions de travail. Si l’on veut obliger les Français à travailler plus longtemps, il ne faut pas qu’ils soient usés prématurément par leur activité professionnelle.
Un salarié peut, certes, être usé par l’accumulation d’efforts physiques tout au long de sa carrière, par exemple, s’il est amené à porter régulièrement des charges lourdes. Il peut être usé par l’exposition à des substances dangereuses, telles que l’amiante ou certains produits chimiques. Mais l’usure peut revêtir aussi une dimension psychologique, et c’est sur ce point que je veux insister.
Comme vous le savez, la commission des affaires sociales a mis en place, au début de l’année, une mission d’information sur le mal-être au travail, présidée par Jean-Pierre Godefroy et dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur.
Après les drames qui se sont produits dans plusieurs grandes entreprises, nous avons souhaité mieux comprendre les raisons qui peuvent conduire un salarié à commettre l’irréparable, tout en ayant conscience que le problème est plus large. Le mal-être peut se traduire par du stress ou un état dépressif, incitant les salariés à quitter le monde du travail le plus tôt possible.
Les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé, ainsi que les dizaines de témoignages recueillis sur notre blog, montrent que le mal-être au travail est répandu et qu’il concerne aussi bien le secteur privé que le secteur public.
La recherche de la performance, tout à fait légitime, soumet les salariés à une pression continue. Autrefois, ils pouvaient s’appuyer sur une équipe et compter sur la solidarité de leurs collègues pour y faire face. Mais l’affaiblissement des collectifs de travail, la poursuite d’objectifs de plus en plus individualisés laissent les salariés trop souvent seuls face aux exigences du monde du travail contemporain.
Si l’on ajoute à cela la primauté des objectifs financiers à court terme, on voit que les difficultés rencontrées par un certain nombre de travailleurs poussent ces derniers à quitter le monde du travail plus rapidement.
Pourtant, les Français sont attachés à leur travail, qui demeure, heureusement, pour la majorité d’entre eux, une source d’épanouissement. Les personnes privées d’emploi sont d’ailleurs plus souvent confrontées à la souffrance psychologique que celles ayant un travail. Par ailleurs, on sait que le départ à la retraite constitue, pour nombre de salariés, une rupture difficile à vivre.
Si, à l’avenir, la majorité de nos concitoyens est amenée à travailler au-delà de soixante ans, nous ne pourrons pas négliger la dimension du bien-être psychologique au travail.
Dès lors que la vie professionnelle est perçue comme pénible, l’aspiration à partir le plus tôt possible à la retraite est très forte : à l’heure actuelle, 58 % des Français ont ce désir. Pour qu’ils aient envie de rester plus longtemps en activité, l’entreprise doit, elle aussi, prendre en compte le fait qu’elle doit devenir un lieu où se tisse le lien social. Elle se doit donc de veiller à préserver les moments de convivialité, qui sont non pas du temps perdu, mais, au contraire, une source d’efficacité pour elle-même.
Il faut être attentif aussi à repérer et à traiter les situations de souffrance professionnelle avant qu’elles ne dégénèrent.
Ces objectifs ne peuvent être atteints que par un management soucieux des hommes, conscient de sa responsabilité sociale et s’appuyant, bien sûr, sur des institutions représentatives du personnel efficaces.
Par ailleurs, les services de santé au travail sont un autre levier grâce auquel nous pouvons agir pour prévenir les risques psychosociaux.
M. Éric Woerth a clairement indiqué, lors de son audition par la mission d’information, que la réforme de la médecine du travail serait articulée avec celle des retraites ; il l’a également rappelé dans les propositions qu’il vient d’exposer.
Cette réforme, attendue depuis longtemps, est rendue indispensable par la transformation des risques professionnels et la diminution préoccupante du nombre de médecins du travail.
Il s’agit donc là d’un autre domaine, qui, à l’évidence, doit accompagner la réforme de notre système de retraites. Nous espérons que le Gouvernement en tiendra le plus grand compte.