Intervention de Jean Germain

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 7 mai 2014 : 1ère réunion
Sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean GermainJean Germain, rapporteur :

Ce texte fait suite à un premier dispositif présenté en loi de finances initiale pour 2014, avant d'être censuré par le Conseil constitutionnel.

Le problème des emprunts structurés des collectivités territoriales, mais aussi des hôpitaux ou des organismes HLM, a surgi dans le débat à l'occasion de la crise financière de 2007-2008. À cette époque, les perturbations sur les marchés ont conduit à modifier l'équilibre de certains contrats de prêts ayant vu leur taux d'intérêt exploser, parfois jusqu'à 16 %.

En 2011, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, présidée par Claude Bartolone, avait apporté d'intéressants éclairages sur la genèse de la situation. Vous le savez, un emprunt structuré présente, dans une première phase, un taux d'intérêt bonifié puis, dans une seconde phase, un taux volatil et soumis à des variations importantes en fonction de différents indices, tels l'évolution du taux de change entre l'euro et le franc suisse. À partir des années 2000, les collectivités ont été tentées par de tels emprunts, commercialisés notamment par Dexia, mais n'en ont pas toujours mesuré le risque. Certaines ont été victimes de politiques commerciales agressives des banques.

L'explosion des taux d'intérêt a sérieusement compromis la santé financière de certaines entités publiques. Selon l'association des Acteurs publics contre les emprunts toxiques, présidée jusqu'à récemment par notre collègue Maurice Vincent, 200 à 300 collectivités sur les 5 000 ayant souscrit des emprunts structurés concentreraient l'essentiel du risque. L'encours des emprunts structurés s'élève à 7,4 milliards d'euros, dont 6,1 milliards d'euros concernent les collectivités locales, si l'on s'en tient au portefeuille détenu par Dexia et la Société de financement local (SFIL), qui en concentrent l'essentiel.

Les emprunteurs concernés ont alors cherché à négocier ou à sécuriser leurs contrats de prêt. Pour sortir des emprunts structurés, l'emprunteur doit acquitter une indemnité de remboursement anticipé (IRA), parfois très coûteuse. De ce fait, la négociation entre Dexia ou la SFIL d'un côté, et les emprunteurs de l'autre, a parfois tourné au dialogue de sourds. Les contentieux se sont multipliés, parfois parallèlement aux négociations. Le moyen le plus souvent invoqué est bien sûr le vice du consentement de l'emprunteur : la méconnaissance par la banque de ses obligations légales d'information, de mise en garde ou de conseil, pourrait fonder l'annulation du contrat. Or, de fait, les politiques commerciales conduites par les banques ont parfois conduit à minorer les risques des produits vendus.

De manière étonnante, le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre a retenu un tout autre moyen dans un contentieux opposant Dexia au département de Seine-Saint-Denis. Il a d'abord constaté qu'une télécopie reprenant les caractéristiques essentielles du prêt et dont la signature par l'emprunteur valait engagement irrévocable de celui-ci, était en réalité le contrat. Or, tout contrat doit faire figurer un taux effectif global (TEG), faute de quoi le juge, en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation, est fondé à lui substituer le taux d'intérêt légal de manière rétroactive et pour toute la durée du contrat. Le taux d'intérêt passe ainsi de 10 %, par exemple, au taux légal de 0,04 % en 2014.

Dans un jugement du 7 mars 2014, le même TGI de Nanterre a élargi sa jurisprudence aux cas où le TEG était erroné.

Le TEG était à l'origine un instrument de protection des particuliers dans le cadre du crédit à la consommation ou du crédit immobilier. En revanche, dans le cas d'un emprunt structuré, il n'apporte aucune information à l'emprunteur. Le TGI de Nanterre a donc sanctionné le non-respect d'une formalité obligatoire, alors que l'absence ou l'erreur de TEG n'a causé aucun préjudice à l'emprunteur. Ces deux décisions ont un effet potentiellement systémique sur les finances publiques : elles pourraient représenter un coût pour l'État de 17 milliards d'euros, ce qui justifie le présent projet de loi de validation.

L'essentiel des prêts souscrits par les collectivités a été commercialisé par Dexia Crédit Local et inscrit au bilan d'une de ses filiales : Dexia Municipal Agency. Celle-ci, devenue la Caisse française de financement local (CAFFIL), a été reprise par la SFIL, créée lors du sauvetage de Dexia. La SFIL porte donc désormais l'essentiel des emprunts structurés dans son bilan. L'envoi d'une télécopie de confirmation et l'absence de TEG étaient quasi-systématiques de la part de Dexia. La décision du TGI de Nanterre a ainsi conduit à une multiplication par six du nombre de contentieux. Confirmée, la jurisprudence du TGI de Nanterre occasionnerait des pertes massives pour la SFIL. La seule décision relative au département de Seine-Saint-Denis lui ferait perdre 140 millions d'euros.

Or la SFIL est possédée à 75 % par l'État et ses fonds propres s'élèvent à 1,5 milliard d'euros. La perte maximale sur les emprunts structurés est estimée à 10 milliards d'euros, à raison de 7 milliards pour la SFIL, 3 milliards pour Dexia. De tels montants nécessiteraient de recapitaliser les deux établissements. Cette recapitalisation ne mettrait pas même la SFIL à l'abri d'un risque de mise en extinction, puisque la Commission européenne n'a autorisé la création de la SFIL qu'à la condition que son modèle économique soit viable, c'est-à-dire qu'elle ne soit pas renflouée par l'État à intervalles réguliers. Autant dire qu'une recapitalisation de 7 milliards d'euros ne passerait probablement pas les fourches caudines de l'examen des aides d'État. Selon le Gouvernement, la mise en extinction de la SFIL coûterait 7 milliards d'euros supplémentaires. J'appelle votre attention sur la baisse de l'offre de crédit qui en résulterait pour les collectivités. La SFIL représente environ 20 % du marché du crédit aux collectivités, soit 3 milliards d'euros distribués en 2013.

Ces risques pourraient se matérialiser d'ici la fin de l'année. En effet, même si la décision de Nanterre n'est pas définitive, les règles comptables exigent dès à présent la constitution d'une provision pour litiges à hauteur des risques encourus. Les comptes semestriels de Dexia et de la SFIL seront arrêtés d'ici l'été et, en l'absence de provisions, la certification sera refusée, ce qui, pour un établissement bancaire, signifie son arrêt de mort. L'absence de provisionnement a jusqu'à présent été acceptée contre l'engagement du Gouvernement de présenter une loi de validation ôtant à la SFIL tout risque juridique et financier.

Le problème est inextricable : accepter la jurisprudence de Nanterre règlerait le problème des collectivités, mais l'État supporterait une charge disproportionnée et la SFIL risquerait de disparaître ; régler le problème de l'État par la validation législative laisserait les collectivités avec 10 milliards d'euros de prêts toxiques sur les bras, ce qui n'est guère plus satisfaisant. En réalité, le contribuable local et le contribuable national sont sur le même bateau, et l'on aurait tort de les opposer.

C'est pourquoi le pacte de confiance et de responsabilité entre l'État et les collectivités a proposé une solution équilibrée, qui permet de partager équitablement le fardeau. Elle repose, d'une part, sur la création d'un fonds destiné à soutenir les collectivités dans la « désensibilisation » de leurs emprunts. Créé en loi de finances pour 2014, ce fonds s'est vu doté de 1,5 milliard d'euros ; il permettra de financer jusqu'à 45 % des indemnités de remboursement anticipé dues par les collectivités et impliquera qu'elles renoncent au contentieux. Le pacte prévoit, d'autre part, la validation législative des contrats de prêts structurés qui seraient contestés au regard de l'absence ou de l'erreur de TEG.

Le fonds de soutien aux collectivités fait participer les banques à la résolution d'un problème qu'elles ont en partie engendré, puisque qu'elles le financeront aux deux tiers. Souvenez-vous que le précédent fonds de soutien, créé par la loi de finances rectificative pour 2012, était financé pour moitié par l'État et pour moitié par les collectivités elles-mêmes : le secteur bancaire n'était donc pas sollicité.

La validation législative n'entame pas fondamentalement les droits des collectivités territoriales : d'une part, elle écarte un risque majeur pour la survie de la SFIL. Si demain l'acteur détenteur de 20 % des parts de marché vient à nouveau à tomber, par qui les collectivités seront-elles financées ? D'autre part, la validation est parfaitement circonscrite et ne concerne que l'absence ou l'erreur de TEG. Autrement dit, elle préserve tous les moyens contentieux engageant la responsabilité de la banque pour défaut d'information et de conseil.

En début d'année, la Communauté urbaine de Lille a déjà obtenu satisfaction sur ce fondement. Il y a fort à parier que ce sera également le cas pour les plus petites des collectivités. Toutefois, une partie des produits toxiques était constituée non pas par des crédits mais par des contrats financiers d'échange de taux d'intérêt - ou swaps - non concernés par la jurisprudence de Nanterre et qui font également l'objet de contentieux. Pour ces contrats, le présent projet de loi ne change rien.

Le présent projet de loi de validation comprend trois articles. L'article 1er procède à la validation des contrats sur lesquels le TEG était omis ; l'article 2 à la validation de ceux sur lesquels le TEG était erroné. Son article 3 limite son champ d'application aux seuls emprunts structurés. Ces validations ne concernent que les contrats signés par des personnes morales de droit public. Elles ne seront valables que si l'emprunteur a été correctement informé de toutes les caractéristiques essentielles du crédit qu'il a contracté.

Ce dispositif de validation est plus circonscrit que celui proposé en loi de finances pour 2014 et finalement censuré par le Conseil constitutionnel. La validation visait alors tous les contrats de prêts signés par les personnes morales, y compris les personnes privées. Le Conseil constitutionnel avait alors jugé trop large le champ de la validation par rapport à l'objectif poursuivi - éviter les conséquences disproportionnées pour les finances publiques et la SFIL. Le présent projet de loi en tire toutes les conséquences. La jurisprudence habituelle du Conseil constitutionnel pose plusieurs autres conditions pour qu'une validation législative soit acceptée, dont l'existence d'un motif impérieux d'intérêt général. En décembre dernier, il ne s'est pas prononcé sur ce point. Le Gouvernement et le Conseil d'État estiment qu'un risque pour les finances publiques de 17 milliards d'euros et une menace d'extinction de la SFIL constituent bien un motif impérieux d'intérêt général, et c'est aussi mon analyse.

En réalité, nous ne serons fixés que lorsque le Conseil constitutionnel rendra sa décision. L'étude d'impact du projet de loi et mon rapport explicitent le mieux possible les enchaînements qui conduiraient les finances publiques à supporter une somme aussi importante que 17 milliards d'euros, soit tout de même 0,8 point de produit intérieur brut (PIB).

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