Intervention de Bernard Cazeau

Réunion du 16 juin 2010 à 14h30
Débat sur les retraites

Photo de Bernard CazeauBernard Cazeau :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, alors que le Gouvernement vient de dévoiler l’économie générale de son projet, il est bon que le Sénat fasse valoir son expertise de la question. À cet égard, le travail de fond réalisé dans le cadre de la MECSS par Mme Demontès et M. Leclerc est tout à fait remarquable, à la fois de pondération, de franchise et de lucidité.

Quel fut notre constat de départ ? Il nous a d’abord fallu admettre que les réformes des dix dernières années n’ont pas permis de corriger les déséquilibres financiers du système. Pris dans sa globalité, l’ensemble des régimes de retraite cumulera près de 30 milliards d’euros de déficit dès cette année. Pour la seule branche vieillesse du régime général, nous approcherons les 10 milliards d’euros de pertes, au terme, il faut bien le dire, d’un quinquennat de dégradation ininterrompue. Désormais, l’assurance vieillesse rivalise avec l’assurance maladie dans la composition du déficit social : rappelons que, en 2010, le besoin de financement de la sécurité sociale battra tous les records et culminera à près de 27 milliards d’euros, la conjoncture ayant, bien sûr, aggravé le déficit structurel.

Le premier point de notre analyse, c’est donc que la loi de 2003 portant réforme des retraites n’a pas produit les effets escomptés, essentiellement parce que ses hypothèses étaient intenables, et ce pour quatre raisons.

D’abord, le taux de chômage est presque deux fois plus important que prévu : on l’annonçait à 5 %, nous sommes à 9, 5 %. L’élévation de la masse salariale s’en est bien évidemment ressentie.

Ensuite, le taux de croissance est, quant à lui, deux fois plus bas que prévu : il fallait 2 % par an, alors que, selon la Banque centrale européenne, la BCE, nous avoisinerons 1 % cette année, après une stagnation en 2008 et une croissance négative en 2009 !

Par ailleurs, le taux d’emploi des seniors, pour sa part, s’est encore dégradé, marquant ainsi l’échec, monsieur le secrétaire d’État, du « plan national d’action concerté pour l’emploi des seniors ». Sur ce terrain, contrairement à ce qu’a affirmé tout à l’heure M. Woerth, me semble-t-il, la France est toujours lanterne rouge en Europe.

Enfin, parallèlement, la fréquence des départs à la retraite à 60 ans s’est accélérée et les départs anticipés pour carrière longue ont été bien plus importants qu’annoncé, les salariés ayant précipité leur décision avant que ne soit réduite la portée du dispositif. L’effet du choc démographique sur les dépenses a donc été mal évalué.

Bref, rien ne tenait dans cette réforme, pourtant présentée à l’époque, d’une façon que je qualifierai d’immodeste, comme la solution absolue au problème des retraites.

II faut donc veiller à ne pas reproduire les erreurs du passé en proposant une révision d’ensemble. Il conviendrait d’éviter que la réforme de 2010 ne soit qu’un toilettage marginal des dispositifs actuels, ce qui la vouerait au même sort que la précédente. À nos yeux, son succès passe par une refonte globale du système plus que par des ajustements techniques.

Une chose est certaine : nous ne voulons plus que le système fonctionne à découvert comme il le fait aujourd’hui, où 10 % des pensions versées font l’objet d’un emprunt.

Nous ne voulons pas non plus d’un système dont les Français doutent et dont le fonctionnement actuel conduirait à un déficit annuel de 45 milliards d’euros en 2025, soit un quasi-doublement à l’horizon d’une décennie.

Nous voulons que le système soit sauvé, parce qu’il repose sur des principes raisonnés et parce qu’il a fait la preuve de son efficacité en réduisant la pauvreté aux âges élevés.

Nous voulons aussi que les décisions de sauvetage et de transformation qu’il convient de prendre soient empreintes de justice.

Justice entre les générations, qui passe par la pérennité du système par répartition. Nous savons bien que de moins en moins d’actifs ne peuvent pas financer de plus en plus de retraités. Il faudra donc une inévitable réforme là-dessus, quoi qu’on en pense.

Justice entre actifs et retraités, qui doit conduire à rechercher une parité entre les niveaux de vie et, donc, à prévoir une répartition partagée des sacrifices.

Justice entre les retraités eux-mêmes, alors que cohabitent trente-huit régimes différents qu’il conviendrait de faire converger pour les rendre compréhensibles, pour leur redonner de la cohérence et, surtout, pour atténuer les jalousies sociales suscitées par un système illisible.

Justice entre les catégories sociales, qui demandera un effort de redistribution entre les retraités au moment de la retraite, mais surtout dans le recours aux prélèvements. Le financement des régimes sociaux ne peut plus reposer sur le seul facteur travail : il faut enfin abroger les privilèges fiscaux de certains et mettre à contribution le patrimoine.

Justice, on l’a dit, entre les sexes, qui implique un travail d’égalisation des pensions, donc des carrières, entre hommes et femmes et l’élaboration de mécanismes compensatoires.

Justice morale et sanitaire, enfin, devant l’inégalité face à la mort, qui exige que nous prenions en compte l’usure du travail dans l’obtention des droits.

Le moins que l’on puisse dire, après une lecture assez rapide, il faut bien le dire, mais efficace du projet qui a été présenté ce matin, c’est que celui-ci élude bon nombre de ces aspects ! Au demeurant, monsieur le secrétaire d’État, nous aimerions connaître les prévisions économiques sur lesquelles reposent vos prévisions d’équilibre, car pour l’instant, vous m’en excuserez, je ne les ai pas trouvées.

On entend, par exemple, relever l’âge légal du départ à la retraite. Mais à quoi bon le faire alors que la majorité des salariés du secteur privé ne sont plus au travail dès 55 ans et qu’ils sont soit au chômage, soit en maladie, soit en invalidité ?

À court terme, un recul de l’âge légal ne fera que transférer des dépenses des caisses de retraite vers l’assurance-chômage, mais sans rien régler.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion