Intervention de Jacques Sallois

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 7 mai 2014 : 1ère réunion
Audition de M. Jacques Sallois président de la commission de récolement des dépôts d'oeuvres d'art

Jacques Sallois, président de la commission de récolement des dépôts d'oeuvres d'art (CRDOA) :

C'est toujours un grand plaisir de venir devant vous, je le dis d'expérience puisque ma première audition au Sénat remonte... à 1981.

Lorsque Philippe Seguin m'a demandé de prendre de relais de Jean-Pierre Bady à la tête de la CRDOA, je n'imaginais pas l'ampleur de la tâche qu'il restait à accomplir pour le récolement, ceci malgré le rapport que mon prédécesseur venait de publier et qui montrait combien l'affaire était loin d'être réglée. Une précision : la création de la CRDOA, à l'été 1996, a précédé la publication du rapport de la Cour des comptes sur le récolement, ce qui témoigne bien de l'urgence de la situation constatée dès le début des investigations de la Cour.

Le récolement prendra encore de longues années. Vous rappelez que, pour les « musées de France », un terme a été fixé au 13 juin prochain : il est évident qu'il ne sera pas tenu. Certains musées, par exemple Guimet, en sont à envisager de confier l'exercice à un prestataire extérieur : ils sont donc encore bien loin du compte. Faut-il reporter le délai ? Ce sera au ministère de trancher.

Il n'y a pas que les musées dans cette affaire : le Centre national des arts plastiques (CNAP) a fait des dizaines de milliers de dépôts en France et dans le monde, sans aucun inventaire puisque c'était la pratique de son institution mère, la Maison de l'Empereur Napoléon III. La Manufacture de Sèvres a effectué quelque deux cent mille dépôts en deux siècles et son directeur, David Caméo, m'avouait, il y a peu, être parfaitement incapable de dire avec précision où se trouvaient ces pièces déposées. Au Mobilier national, il y a bien le récolement quinquennal, mais l'exercice est toujours en retard et présente des carences.

Quand bien même le récolement est réalisé, même partiellement, que fait-on ensuite, quelles en sont les conséquences ?

Lorsque les oeuvres sont vues, le déposant peut en demander le retour, ce qui n'est pas toujours simple ; il peut régulariser le dépôt, en demandant éventuellement sa restauration par le dépositaire ; il peut aussi en demander le transfert à une collectivité locale, en vertu de la loi « Musées », ce qui concerne à peine 5 % des pièces déposées par les Musées.

Pour les oeuvres qu'on ne voit pas, on peut constater l'échec des recherches, ce qui est très fréquent puisque bien des dépôts sont mal documentés, d'affectation incertaine ou encore sans document attestant qu'ils ont été reçus, ce qui empêche d'établir la preuve du dépôt. Le déposant peut alors porter plainte : l'an passé, nous l'avons recommandé dans 1 100 cas. Les procureurs n'en font certes pas une priorité mais les plaintes sont utiles, parce qu'elles abondent les fichiers des services spécialisés comme l'office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC), la brigade de répression du banditisme, ou les Douanes.

Notre doctrine évolue : longtemps, nous avons pensé qu'il était vain de poursuivre. C'était le cas, par exemple, pour des pièces tout à fait identifiables comme les portraits souverains du XIXe siècle : sous Napoléon III, bien de ces portraits de l'Empereur et de l'Impératrice avaient été envoyés dans les provinces, sans que ces dépôts aient été bien documentés et ils étaient manquant au récolement. Cependant, quand une administration voyait tel portrait passer en vente, elle le rachetait parfois. Désormais, les plaintes sont bien plus fréquentes.

Enfin, le déposant peut encore émettre un titre de perception à l'encontre de l'administration défaillante. Cela s'est réalisé avec le ministère de l'intérieur, à l'issue d'une négociation intense avec son secrétaire général, qui a consenti à une compensation financière pour les oeuvres disparues ; nous sommes en discussion avec le ministère des affaires étrangères, pour des titres d'une valeur approchant 380 000 euros et je ne désespère pas de les faire régler.

Comment, ensuite, et au-delà de notre rapport annuel, faire mieux pour le récolement des oeuvres déposées et, plus largement, pour la politique de dépôt d'oeuvres d'art ? Je crois que la CRDOA ne doit pas se substituer à l'action des déposants, qui sont responsables des oeuvres d'art. Le pli a peut-être été pris que la CRDOA s'occupait du récolement et qu'il suffisait d'attendre ; or il ne faudrait pas que notre action déresponsabilise les déposants ni les dépositaires. C'est pourquoi j'ai décidé que notre prochain rapport d'activité, au lieu d'être épais comme celui que je vous livre pour l'année 2012, sera très concis dans sa partie générale, pour laisser la plus grande place à une présentation de ce que chaque grand déposant et grand dépositaire fait et peut faire pour une politique de dépôts cohérente et rénovée.

C'est une grande novation : nous demanderons que chaque dépositaire publie une synthèse annuelle des dépôts qu'il accueille ; cela suppose un inventaire, que les administrations n'ont pas toutes ou qu'elles ne tiennent pas toutes correctement à jour. Cela, vous le devinez, concerne également le Sénat, qui est le dépositaire d'oeuvres importantes : la décoration de cette salle en porte témoignage. Du reste, la certification des comptes de l'État et de ses établissements exige désormais que, dans leur bilan, figurent leurs propriétés mobilières : il est donc grand temps de responsabiliser les déposants et les dépositaires, et de mettre plus de transparence dans les politiques de dépôts d'oeuvres d'art.

Enfin, l'état doit être au clair sur ses propriétés. La loi dispose qu'il suit les collections appartenant aux collectivités locales, mais comment pourrait-il y parvenir s'il ne connaît pas ses propres propriétés ? Pour l'y aider et pour plus de transparence, nous avons préparé des outils de présentation synthétique des collections, par département et par grande ville, par exemple Strasbourg, qui, par son histoire, hérite d'une situation complexe en matière de dépôts. L'exercice de transparence concerne aussi nos ambassades, car la France a beaucoup prêté par le passé et beaucoup déposé dans des musées et institutions étrangères : le bilan de ces dépôts reste à faire, nous y travaillons avec nos ambassades dans les pays concernés.

Il faudra donc encore bien des années pour achever le récolement. À l'horizon de quatre ou cinq ans, il me paraît raisonnable d'espérer que chaque dépositaire et chaque déposant, y compris à l'étranger, produise un document de synthèse rigoureux, qui permette de suivre la politique de dépôt d'oeuvres d'art.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion