Un chiffre relativise l'importance économique relative du sport professionnel : le sport pour le plus grand nombre pèse huit fois plus que le sport qui brille. Les enjeux économiques dépassent largement le seul sport professionnel, même si ce dernier concentre l'attention. Et c'est heureux : tout le monde n'a pas la capacité de devenir un Zinedine Zidane ou un Usain Bolt.
La question du financement du sport ne se limite pas aux salaires des joueurs professionnels. Hors traitement des professeurs d'éducation physique et sportive des collèges et lycées, le budget du ministère des sports s'établit entre 830 et 840 millions d'euros. Les départements injectent environ 750 millions d'euros dans le sport, les régions à peu près autant. La cession des droits TV pour le seul football rapporte 660 millions.
Les solutions politiques avancées par certains m'interpellent : ne peut-on mettre un terme aux dérives observées dans le football sans couper les vivres à tous les autres sports qui dépendent des collectivités territoriales ?
Je reproche au sport professionnel, et au football en particulier, de ne communiquer que sur les salaires des joueurs ou les fautes d'arbitrage, et pas sur ce qui fait sa valeur et sa force : il crée du lien social. Marseille - ma ville natale - ne serait pas la même sans l'Olympique de Marseille. Les supporteurs de l'OM pensent au foot toute la semaine, et le climat de la ville varie en fonction des résultats du club. Les Qataris ont peut-être déséquilibré le championnat, mais quelle ambiance au Parc des Princes : l'impact sur la population, la fierté d'être Parisien sont incontestables. Le football a un coût, il a aussi un impact sociétal que nous ne devons pas négliger.
Pour l'État, les recettes de TVA dégagées par l'activité économique des équipements sportifs dépassent sans doute les montants investis par le Centre national pour le développement du sport (CNDS). Les 168 millions d'investissements pour l'Euro 2016 seront couverts par les charges perçues sur les emplois créés et par les recettes de TVA. Je garantis qu'au total, l'État sera bénéficiaire.
Les collectivités territoriales, en revanche, doivent justifier de l'effet positif pour la population d'un investissement dans des équipements culturels ou sportifs. Or, si les salaires des joueurs de football ou de rugby font débat, on se soucie peu du cachet des artistes qui se produisent dans les salles subventionnées. Avec un public bien moins nombreux que celui des stades, l'Opéra de Paris reçoit une subvention égale aux deux tiers de celle du CNDS. Les fonds publics doivent être gérés avec rigueur, certes, mais bénéficier à tout le monde : il n'y a pas l'activité noble d'un côté et l'activité populaire de l'autre. C'est l'hypermédiatisation de certains sports qui nourrit les critiques.
Notre modèle est complexe et coûteux. La France consacre 170 millions d'euros au haut niveau ; les Britanniques remportent deux fois plus de médailles avec 100 millions. Nous sommes les seuls à refuser de confier des responsabilités au mouvement sportif. Aux Pays-Bas, tout est organisé par le Comité olympique national ; en France, on considère que l'État est capable de tout faire - si c'était le cas, cela se saurait...
Les dirigeants de clubs de football ou de rugby ne sont pas issus du monde sportif mais de celui des affaires : pour un Robert Louis-Dreyfus ou un Bernard Tapie, l'OM est avant tout un vecteur de communication, éventuellement de business - même si l'on y perd plutôt de l'argent. Cela explique sans doute certaines dérives. Comment responsabiliser les clubs ? Alors qu'ils sont propriétaires de leurs installations chez nos voisins, les collectivités en France refusent malheureusement de leur laisser la main sur leurs équipements. Vincent Labrune, le président de l'OM, serait pourtant prêt à acheter le Stade Vélodrome.
L'Italie n'a pas vraiment de ministère des sports : tous les pouvoirs sont aux mains du Comité olympique national italien (CONI), qui gère le stade olympique de Rome, la piscine olympique ainsi que des courts de tennis. Modernisé, excédentaire, le Stadio Olimpico accueille deux clubs résidents ; le stade de France, aucun. La fédération française de rugby souhaite son propre stade parce qu'il est moins rentable pour elle de jouer devant 80 000 spectateurs au stade de France que devant 60 000 au Stade Vélodrome. On a choisi en 1996 de recourir au partenariat public-privé, car on jugeait le mouvement sportif incapable de gérer une telle infrastructure. Faute de club résident, il a fallu verser une compensation de 10 millions d'euros par an. Pourquoi refuser la subsidiarité ? Face à l'explosion de la dette, le modèle actuel ne tient plus.