Intervention de Antoine Garapon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 mai 2014 : 1ère réunion
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Audition de M. Antoine Garapon magistrat secrétaire général de l'institut des hautes études sur la justice

Antoine Garapon, magistrat, secrétaire général de l'Institut des hautes études sur la justice :

Ne construisons pas les victimes comme une catégorie à part. En tant que juge des enfants, j'ai eu à connaître d'affaires gravissimes d'incestes et d'abus sexuels. Les victimes, dont la vie est pourtant détruite, ne demandent pas forcément un temps d'incarcération plus long, extrêmement culpabilisateur pour elles, gênant pour leur travail thérapeutique. Cela est bien sûr très différent du cas des victimes de l'insécurité dans la rue. Mais rappelons que le lieu le plus dangereux, où le risque d'être tué est le plus grand, c'est le lit conjugal ! La loi promeut une nécessité d'information des victimes. Or toutes ne souhaitent pas être associées au procès : certaines sont vindicatives, d'autres non. La victime a pris aujourd'hui une connotation politique ; or il n'y a pas, pour Ricoeur, de condition ontologique : vous n'êtes pas victime parce que noir, femme, immigré, mais bien victime d'un événement, d'une action, donc forcément de façon transitoire.

La contrainte pénale concerne certaines infractions. La peine comme rétribution, y compris dans sa dimension archaïque, a encore un sens pour un certain nombre de crimes et délits. Mais il existe une zone intermédiaire d'inadaptés sociaux, que les juges des tutelles voient entrer très tôt dans ce régime et qui n'ont pas encore accédé à une vie adulte et responsable. Ni la peine, ni la victime, ni le droit pénal ne sont des catégories uniques.

Ce projet de loi est absolument dans la continuité de la loi pénitentiaire, même s'il ne fait pas l'objet du même consensus, ce que je regrette. Traditionnellement, les questions juridiques et en particulier pénales recueillent un consensus plus fort dans les pays anglo-saxons et en Europe du Nord. Les questions de sécurité deviennent un thème clivant dans notre société. Je regrette cette politisation qui complique la bonne exécution d'une justice humaine.

Je ne vois pas d'opposition entre humanisme et utilitarisme. Je ne crois pas trahir la pensée de Paul Ricoeur en réfléchissant à ce que serait la bonne dose de chacun des deux principes. La philosophie a quelque chose à dire sur la réalité ; toutes les pratiques de justice reposent sur ces conceptions plus ou moins partagées et qui doivent être présentes pour que la peine fasse sens.

Le symbolique et le rituel sont extrêmement importants. Dans la justice américaine, les deals ouvrent la perspective d'organiser une justice pénale sans juge. Seuls 2 à 3 % des grandes affaires vont au procès...

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