Intervention de Denis Salas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 mai 2014 : 1ère réunion
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Audition de M. Denis Salas magistrat secrétaire général de l'association française pour l'histoire de la justice

Denis Salas, magistrat, secrétaire général de l'Association française pour l'histoire de la justice :

Je commencerai par répondre à M. Mohamed Soilihi sur la question de l'ajournement. Le but de cette mesure est de permettre à la défense de demander au tribunal le délai nécessaire à une enquête de personnalité et d'éviter par là une décision précipitée d'emprisonnement, prise sous la pression du flux des affaires.

On peut parfaitement expliquer aux victimes que l'auteur de leur préjudice reste en liberté sous contrainte pénale, et qu'il pourra d'autant mieux les dédommager qu'il continue à travailler : la continuité de la vie professionnelle accroît les chances de réparation. Il ne faut pas présumer systématiquement de la part des victimes une demande de punition. On a utilisé à l'excès l'obsession sécuritaire ! Une réparation, ce peut être aussi des excuses, des explications ou un aveu à l'audience... L'impatience des victimes peut être désamorcée si on leur explique que l'aménagement des mesures pénales va dans le sens de la reconstitution du lien social et de leur propre indemnisation. Le maintien du condamné en milieu professionnel constitue plutôt une garantie, y compris pour les victimes. Tout le monde y trouve son compte, ce qui n'est certainement par le cas si l'on se précipite sur l'incarcération irréfléchie que le système lui-même commande au tribunal. Combattons les effets de système par l'ajournement pour enquête de personnalité, afin de prononcer une peine intelligente pour le prévenu et pour les victimes. C'est une réforme forte que vous avez là entre les mains, dont les tribunaux et les avocats ne manqueront pas de s'emparer pour éviter le déferlement pénitentiaire induit par les comparutions immédiates.

Des questions posées par M. Hyest, je retiens en particulier celle des moyens humains, reprise d'ailleurs par Mme Tasca. Le Gouvernement et Mme Taubira en particulier se sont engagés à ce que les moyens de cette réforme suivent. C'est effectivement un point crucial puisque, la contrainte pénale étant un suivi individualisé, elle demande un travail long, difficile, qui s'inscrira dans le temps et demandera non une décision d'incarcération, mais plusieurs entretiens d'ajustement des obligations. Le conseiller d'insertion et de probation (CIP) devra régulièrement mettre à jour son savoir. Qui plus est, ces conseillers, de même que les juges d'application des peines, ont des formations de juristes qu'il conviendra de compléter, ce qui complique l'enjeu des moyens.

M. Lecerf m'a interrogé sur la libération conditionnelle et la cohérence du projet de loi. J'étais pour ma part très réservé sur la libération conditionnelle d'office, pas seulement à cause de son automaticité, mais parce que j'ai compris en travaillant sur les longues peines à quel point le processus aboutissant à la libération conditionnelle est une construction commune entre le CIP, le JAP et le condamné. C'est un travail qui lui demande une volonté constante. La libération conditionnelle d'office me paraissait au contraire un facteur de démotivation et de passivité désastreux. Comme si on pouvait attendre une libération conditionnelle, alors qu'elle se construit au jour le jour. Il y avait là un malentendu que le projet de loi a permis d'élucider.

Quant aux réductions d'aménagement de peine, il y a évidemment une incohérence à miser sur l'individuation de la peine et sur le milieu ouvert, tout en resserrant le filet de l'incarcération, notamment pour les récidivistes. Vous aurez à arbitrer cette incohérence dans le projet.

Enfin, il faudra peut-être un autre texte pour les mineurs, au terme d'une réflexion qui est encore à mener. On comprendrait mal, en effet, qu'on individualise la procédure pour les majeurs et que, pour les mineurs, il ne se passe rien. On peut craindre un débat politique incontrôlé, mais il faut parfois surmonter ses appréhensions. Il en va du renforcement de cet aspect du droit hérité de 1945, que nous avions jusqu'ici préservé, mais qui est aujourd'hui menacé de démantèlement complet. Les juges des enfants peuvent encore tenir, mais pour combien de temps ? Faute d'intervention politique, nous risquons de perdre un droit que le monde entier nous envie pour sa force symbolique, sa confiance en l'homme et en la jeunesse. Au contraire, le pessimisme qui prévaut aujourd'hui à l'égard de la jeunesse délinquante se ressent chez les praticiens et dans le public.

Ne cédons pas au pessimisme ambiant. Revenons à l'esprit humaniste de notre droit pénal des mineurs que le monde nous envie.

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