Intervention de Pierrette Poncela

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 14 mai 2014 : 1ère réunion
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Audition de Mme Pierrette Poncela professeure à l'université paris ouest nanterre directrice du master droit pénal

Pierrette Poncela, professeure à l'Université Paris Ouest Nanterre, directrice du Master Droit pénal :

Mon parcours académique m'a conduit à m'intéresser au droit pénal, puis à la philosophie du droit et à la criminologie, avant de me concentrer à nouveau sur le droit pénal. Cette expérience me conduit à ne plus voir ce sujet avec les mêmes yeux. J'ai exercé au Barreau de Paris dans les années 1990 avec pour spécialité l'exécution des peines. J'ai participé à différentes commissions, notamment à celle sur la libération conditionnelle en 2000, à celle préparatoire à la loi de 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, et la commission préalable à la loi pénitentiaire de 2009 que j'ai défendue avec le président Jean-Olivier Viout dans un numéro de la Gazette du Palais. Dans un ouvrage écrit avec Guy Casamont, Il n'y a pas de peine juste, nous nous interrogions sur le sens de la peine, sujet au coeur de mes réflexions.

Le projet de loi concerne à la fois le prononcé des peines, qui relève du code pénal, et l'exécution des peines, qui relève du code de procédure pénale. Ce texte qui a donné lieu à une présentation tapageuse, et dont les prémisses sont erronés, se révèle bancal et fait beaucoup de déçus. Comme le dit la reine Marguerite à la fin de la pièce Le Roi se meurt d'Eugène Ionesco : « C'était une agitation bien inutile, n'est-ce pas ? »

Plusieurs dispositions méritent d'être soutenues. La première est la suppression des peines planchers, introduites par la loi du 10 août 2007 à la suite d'un fait divers. Ces peines sont inutiles car le droit prévoyait déjà l'aggravation des peines encourues en cas de récidive. Cette loi, qui subsidiairement augmente la population carcérale, est tellement injuste que les magistrats l'ont contournée en prononçant des sursis avec mise à l'épreuve. Une autre mesure positive est l'inversion de la règle en vigueur pour la révocation du sursis : à l'heure actuelle, si la juridiction garde le silence, le sursis est révoqué. En outre, l'exigence de motivation de la peine, valable pour les peines d'emprisonnement ferme en matière délictuelle, est étendue aux peines prononcées à l'égard des récidivistes.

Qu'est-ce que la récidive ? Il s'agit d'un terme imprécis, hégémonique : désormais, on fait comme si la peine avait pour fonction de prévenir la récidive et non de préparer la réinsertion. La notion de récidive au singulier n'a aucun sens. Le taux de récidive varie en fonction des infractions. On cite beaucoup de chiffres, on évoque un taux de 50 %. Mais, si l'on consulte les chiffres du ministère de la justice, on constate que ce taux n'atteint pas 50 %, loin de là, et la situation est très différente selon les infractions : les infractions routières ou les petits vols ne sont pas des homicides ou des viols.

Je souhaite battre en brèche une autre idée reçue : le pénalo-centrisme, selon laquelle la récidive serait la conséquence de la peine de prison, comme si cette dernière en était la seule cause. C'est méconnaitre le rôle des personnels pénitentiaires qui s'efforcent par leur travail quotidien en prison de prévenir la récidive ! Parfois la détention est l'occasion de changer, de passer des examens, d'apprendre un métier. Puis vient la sortie. La prison n'efface pas la vie antérieure, ses blessures, ses exclusions, les difficultés que l'on connaissait avant. L'accès aux dispositifs de droit commun s'avère compliqué, le casier judiciaire est un obstacle - l'État, d'ailleurs, a des règles de recrutement très rigoureuses avec ceux qui ont un casier. La politique pénale n'est pas suffisante. Elle doit se conjuguer avec la politique sociale et économique, avec la lutte contre la ségrégation urbaine. À la maison d'arrêt de Nanterre, beaucoup de détenus viennent des cités avoisinantes où le contexte social et économique incite des jeunes, souvent en échec scolaire, à s'investir dans les trafics. Cela pose aussi la question de l'école. Dresser un bilan comptable des récidives ne suffit pas pour prouver que la peine de prison ne vaut rien. Elle s'inscrit dans un ensemble.

D'autres mesures méritent d'être précisées ou corrigées. Est-il pertinent d'évoquer le sens de la peine ? Comme l'expliquait Gilles Deleuze, le sens n'est pas donné à l'origine mais constitue un aboutissement. Les peines, en effet, donnent lieu à différentes pratiques et chacun donne, ou non, un sens à sa peine. En revanche, la peine a des fonctions. Or le texte, très mal rédigé, ne contient pas d'amélioration à cet égard. Les articles 132-24 du code pénal et 707 du code procédure pénale sont beaucoup mieux rédigés !

Le texte introduit une nouvelle forme d'ajournement du prononcé de la peine. Pourquoi pas... Toutefois, ses modalités pratiques ne sont pas définies. Les investigations ne devront pas se limiter à l'examen de la personnalité mais prendre en compte aussi la situation sociale, culturelle et économique de l'intéressé.

En outre, les personnes pouvant bénéficier d'un aménagement de peine ne devront pas avoir été condamnées à une peine supérieure à un an d'emprisonnement, contre deux actuellement, et à six mois, contre un an, pour un récidiviste. C'est incompréhensible. L'étude d'impact, très optimiste d'une manière générale, prévoit une hausse du nombre de personnes en détention de 7000. Espérons que le Gouvernement remédiera à cette absurdité et déposera un amendement. Le numéro 124 d'Infostat sur la mise à exécution des peines de novembre 2013 montre ainsi que l'aménagement des courtes peines n'a en rien retardé l'exécution des peines lorsque cela était nécessaire.

Je ne suis pas opposée par principe à la libération sous contrainte pour les peines inférieures ou égales à cinq ans, mesure phare du projet de loi. Mais elle doit alors être prononcée d'office pour tous, aux deux-tiers de la peine. Comme en Suède, elle s'accompagne d'un régime de semi-liberté, d'un placement à l'extérieur ou d'une surveillance avec un bracelet électronique. Cela remplacera avantageusement la surveillance électronique de fin de peine, qualifiée de grâce électronique, à la suite de la suppression malheureuse des grâces présidentielles du 14 juillet. Le texte, en outre, n'est pas clair pour les peines supérieures à cinq ans ; la libération conditionnelle n'est pas supprimée. Je ne comprends pas. Dans ce cas, il importe de maintenir un examen obligatoire de la situation à mi-peine.

La question des périodes de sûreté n'est pas traitée. Celles-ci ont été mises en place par la loi de 1978 à la suite d'un fait divers retentissant. Cette loi a aussi créé la commission d'application des peines et prévu la présence du procureur de la République. À l'époque, les débats ont été houleux au Parlement, mais, une fois introduit, le mécanisme est resté. Je suis favorable à la suppression de la période de sûreté, à défaut celle-ci doit rester facultative. Elle n'est pas nécessaire. En effet, la libération conditionnelle, pour les peines de plus de cinq ans, n'est jamais automatique et relève de l'appréciation des juges d'application des peines. De plus, les permissions de sortie, interdites en cas de condamnation à une peine de sûreté, constituent un élément important pour préparer une libération conditionnelle. Supprimons les peines de sûreté ! Mais sans doute la parole de l'universitaire et du praticien est-elle plus libre que celle des parlementaires...

D'autres dispositions sont inutiles. « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires » disait déjà Montesquieu. Tel est le cas de la contrainte pénale. Le texte est confus et mal rédigé. Toute peine représente une contrainte, et l'expression est un pléonasme ; mieux vaudrait parler de probation. Par un effet d'affichage, elle donne l'impression de créer une nouvelle peine. Mais celle-ci est absolument inutile. Le sursis avec mise à l'épreuve existe déjà et est très utilisé ! Au contraire, mieux vaudrait l'améliorer. L'argument, avancé lors de la conférence de consensus, selon lequel on manque de peines en milieu ouvert, ne tient pas. Elles existent depuis 1975. Avec Robert Roth, j'ai montré que la France était un des pays qui disposait du plus de peines en milieu ouvert dans son arsenal juridique. Elles se sont d'ailleurs multipliées depuis 1975 : les travaux d'intérêt général en 1983, puis le jour amende, le placement sous surveillance électronique, et surtout, mécanisme très spécifique, l'autorisation donnée aux juges, en matière correctionnelle, de prononcer, à la place de la peine principale, l'une ou l'autre des peines complémentaires encourues en milieu ouvert. Tout dépend des magistrats. Ne faisons pas mine non plus de découvrir la probation ! Les conseillers d'insertion et de probation existent. N'oublions pas également les alternatives aux poursuites, prononcées par le procureur de la République. Elles concernent 45 % des dossiers, 60 % pour les mineurs. On se trompe si l'on se concentre sur la création d'une nouvelle peine sans emprisonnement. Celle-ci n'est pas nouvelle dans son principe : les peines de travail d'intérêt général ne sont déjà pas des peines d'emprisonnement. La revue L'envolée, réalisée par des détenus, des anciens détenus ou leurs familles, a publié un numéro très instructif sur la réforme pénale. La contrainte pénale ne change rien par rapport au sursis avec mise à l'épreuve : en cas de non-respect des obligations, les personnes seront toujours emprisonnées, mais au terme d'une procédure plus lourde. De même que la loi de 2004 avait été portée par les policiers, ce texte constitue une revanche des juges d'application des peines, qui ont mal vécu l'accroissement des pouvoirs des procureurs dans la loi pénitentiaire de 2009. Les obligations de la contrainte pénale sont d'ailleurs les mêmes que celles du sursis avec mise à l'épreuve. Seul a été ajouté le travail d'intérêt général. Plutôt que de perdre notre temps avec cette mesure, améliorons plutôt le sursis avec mise à l'épreuve !

Enfin, ce texte oublie certains points indispensables. D'abord, bien sûr, les moyens, mais c'est une autre histoire...

En premier lieu, il convient de procéder à un travail de fond de dépénalisation. Le rapport de MM. Raimbourg et Huyghe sur la surpopulation carcérale préconise notamment de développer le recours aux sanctions administratives. Celles-ci sont de plus en plus en encadrées par le juge. Le Conseil d'État a rendu l'an dernier une série d'arrêts à ce sujet ; le niveau des garanties se rapproche du droit pénal.

Il faut aussi définir des peines principales différentes de l'emprisonnement, comme pour la dégradation par graffitis ou tags, passible d'une peine de travail d'intérêt général.

Il importe également de supprimer la rétention de sûreté, comme le préconise le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Toute peine doit avoir une fin, et pas n'importe laquelle : 40 ans, ce n'est pas raisonnable ! Le condamné doit pouvoir l'envisager, sinon l'objectif de réinsertion sociale est absurde ou hypocrite. Il faut donc réduire la longueur des peines, et notamment supprimer la réclusion perpétuelle à perpétuité, comme l'ont fait quinze autres pays européens qui ne s'en portent pas plus mal ; il faut aussi lever les obstacles aux mesures d'application des peines pour les personnes en état de récidive. L'article 730-2 du code de procédure pénale, introduit en 2011, crée une usine à gaz pour les personnes condamnées à de longues peines pour certains crimes. Supprimons les commissions pluridisciplinaires des mesures de sûreté, gadget inutile et contre-productif introduit par les lois sur la récidive. Alors qu'elles doivent rendre leur avis au terme de 6 mois, il faut souvent attendre 18 mois et, entre-temps, le projet élaboré est devenu caduc et tout est à recommencer. Une fois l'avis rendu, interviennent les centres nationaux d'évaluation. Certes ils font du bon travail, mais toutes les personnes n'en ont pas besoin : bien des détenus ont déjà fait l'objet de multiples expertises. Le sujet est d'importance. Des personnes souffrent. Le couplet sur la souffrance des victimes, qui est bien réelle et doit être respectée, est trop facile. Les détenus souffrent également. Songez à Pierre-Just Marny, condamné à 48 ans de détention. Après avoir purgé une grande partie de sa peine en métropole, il est renvoyé dans un établissement pénitentiaire de Martinique, presque aveugle. Il demande une libération conditionnelle. Mais une nouvelle loi le soumet à un examen devant un centre national d'évaluation. Comme il n'y en avait pas en Martinique, il devait retourner en métropole : il s'est pendu... Ce drame est l'effet de lois absurdes, de peines trop longues qui poussent au désespoir les détenus et font souffrir les personnels de l'administration pénitentiaire.

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