Je considère qu'Internet est devenu un service public, dès lors qu'il est le média du XXIème siècle, et qu'en tant que tel il n'appartient à personne, parce qu'il est à tout le monde. Cependant, nous assistons à l'inquiétante mise en place d'une société de surveillance par les géants privés du web et de surveillance publique par les États. Notre pacte social s'en trouve fragilisé et nous impose une réappréciation de nos droits fondamentaux.
Je ne citerai que l'article 12 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen : « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes » : ce droit ne se trouve-t-il pas fragilisé par cette société de surveillance, comment concilier les principes de sécurité et de liberté ? Carl Bildt, le ministre suédois des affaires étrangères, vient de l'écrire dans une tribune du New York Times : « La bataille pour la liberté d'internet est la nouvelle ligne de front des libertés dans le monde » - et c'est bien pourquoi nous avons besoin de garde-fous.
Je reviens des États-Unis, du festival de l'Internet à Austin, j'y ai entendu une inquiétude nouvelle sur la concentration du pouvoir entre les mains de quelques géants et quelques câblo-opérateurs d'Internet - qui s'entendent pour faire monter les prix, abusant de leur position dominante. Le Groupement des éditeurs de services en ligne (GESTE) défend la neutralité du net, au nom des libertés publiques d'information, d'expression et d'innovation : tous les fournisseurs d'accès devraient traiter les flux de données de manière non discriminatoire ; or, ce que nous constatons nous-mêmes en tant que producteurs d'information, d'expression et d'innovation, c'est que les FAI peuvent, et ne se privent pas de ralentir certains flux, d'en accélérer d'autres, au point que loin de l'utopie d'un internet libre et ouvert à tous, nous voyons se configurer un réseau où, selon que vous aurez un bon accord avec le fournisseur d'accès, vous serez dans la file lente ou parmi les clients prioritaires... Imaginez que l'État n'ait pas assuré que le téléphone ou l'électricité parvienne dans toutes les communes de France, ou bien à moindre qualité : c'est ce qui se passe avec Internet, alors qu'il est devenu un bien public, indispensable. Je reprendrai la définition qu'a donnée Tim Berners-Lee à la neutralité du net : chaque consommateur doit avoir accès à tous les services et tous les services à tous les consommateurs.
Le GESTE vient de lancer un Observatoire indépendant destiné à mesurer, chaque mois, la qualité de service des internautes se connectant aux sites web édités par une quinzaine d'organes de presse et de communication; nous examinons les liaisons fixes, et bientôt les liaisons par mobiles et la vidéo; ce qui ressort d'emblée, c'est bien une disparité des temps de chargement, selon les territoires - qui peuvent varier du simple au double par exemple entre la métropole et l'outre-mer, ce qui est d'autant plus choquant que, dans les territoires d'outre-mer concernés, les liaisons sont bien plus rapides avec l'étranger qu'avec la métropole...
Nous travaillons également sur les données personnelles : quelle transparence des usages ? Quelle collecte ? Quel stockage ? Comment corriger les erreurs ? Il faut répondre à toutes ces questions, c'est une condition pour rétablir la confiance dans le réseau.
En janvier, une Commission mondiale sur la gouvernance d'Internet, a été installée à Davos, sous la direction de Carl Bildt, pour faire des propositions dans les deux ans; composée de 25 membres, elle a déjà retenu ses quatre thèmes principaux : établir la légitimité d'une gouvernance ; stimuler l'innovation ; protéger les droits de l'homme en ligne ; enfin, éviter les risques systémiques. On le voit, il s'agit bien d'articuler la sécurité et la liberté.