Une lecture détaillée de votre rapport révèle des préoccupations sérieuses, rejoignant celles du rapport de l'inspecteur général de la sûreté nucléaire d'EDF, sur les questions de maintenance des réacteurs puisque vous dites : « Cette situation révèle une maîtrise insuffisante des opérations de maintenance (...) Elle peut avoir des impacts défavorables, par la désorganisation qu'elle entraîne, sur la qualité des opérations de maintenance elles-mêmes, de la préparation du redémarrage des réacteurs à l'issue de leur arrêt (...) », ou encore « L'ASN relève encore en 2013, sur plusieurs sites, de nombreuses insuffisances qui concernent la disponibilité du matériel, les documents opérationnels et les interfaces hommes-machines ». Ce sont des constats lourds sur la maintenance du parc, dans une période durant laquelle de nombreuses troisièmes visites décennales sont en cours et alors qu'EDF envisage de mener un grand plan de rénovation des centrales nucléaire « le grand carénage », pour un coût d'au minimum cinquante-cinq milliards d'euros, mais dont la commission d'enquête dont je suis rapporteur est en train de montrer qu'il pourrait être significativement supérieur. Mais cinquante-cinq milliards c'est déjà très consistant, alors que la capacité de l'entreprise EDF à réaliser ces travaux pose quelques questions.
Je constate également que, dans ce rapport, vous évoquez les conséquences pour les travailleurs, puisque vous dites que « la dosimétrie collective par réacteur a augmenté d'environ 18 % par rapport à l'année 2012 ». Vous indiquez que la dosimétrie individuelle aurait plutôt tendance à diminuer, pour ce qui nous est connu. Toutefois, 80 % de la dose est reçue par les sous-traitants. Même si le contrôle de ces doses s'est amélioré, un quotidien du soir a publié récemment un article sur la gestion des travailleurs des sous-traitants du nucléaire peu rassurant sur leurs conditions de travail, si bien que le fait que la dose ait augmenté de façon si significative pose quelques questions.
Vous avez, par ailleurs, évoqué les conséquences des incidents génériques, en termes de vulnérabilité de l'approvisionnement électrique du pays, si l'on devait fermer un certain nombre de réacteurs, cinq à dix d'après vous, mais possiblement plus vu l'homogénéité du parc français. Je citerai l'incident générique relatif au refus de fermeture des disjoncteurs affectant l'ensemble des réacteurs de 1 300 MW, constaté depuis 2010 et sur lequel l'Institut de radioprotection de sûreté nucléaire (IRSN) est récemment à nouveau intervenu ; celui résultant de la corrosion du zircaloy des gaines de combustibles, induisant un risque de dislocation des assemblages lors du déchargement ; le problème des coussinets de têtes de bielles des moteurs diesel des alimentations de secours sur les réacteurs de 900 MW ; des bouchons d'eau claire à l'origine de risques de mauvaise dilution de l'eau dans la cuve et le circuit, susceptible d'engendrer des réactions de criticité sur les réacteurs du palier 1 300 MW et, enfin, l'incident portant sur les écarts de serrages de visserie des vannes qui affecte à présent l'ensemble des réacteurs. Je ne mentionne pas ces problèmes pour suggérer qu'ils devraient conduire à arrêter tous les réacteurs nucléaires du pays, mais pour montrer que les incidents génériques ne relèvent pas de la théorie et que les retards dans leur résolution justifient totalement la demande de moyens d'actions supplémentaires pour l'ASN.
Je rejoins la préoccupation exprimée à l'instant par le président Le Déaut sur la question des quarante ans. Si les réacteurs nucléaires peuvent être améliorés par l'ajout d'un récupérateur de corium, comme ceux dont sont dotés les réacteurs de troisième génération, pourquoi attendre les quarante ans ? Ne faut-il pas se poser la question plus tôt, pour un certain nombre d'entre eux ? Par exemple, pour Fessenheim, l'ASN a donné une autorisation de continuer l'exploitation après la troisième visite décennale sous condition d'épaississement du radier - devenu un étaleur de corium - afin, dites-vous, que Fessenheim puisse offrir les mêmes conditions de sûreté que les autres réacteurs. Or, cela signifie que, en cas de fonte du coeur du réacteur, le corium mettrait entre 24 et 48 heures pour atteindre la nappe phréatique la plus importante d'Europe, sans capacité d'action en sens contraire. Pour prévenir un tel accident, il aurait été nécessaire d'ajouter un récupérateur de corium, ce qui est probablement impossible sur cette centrale. Fessenheim étant fermée avant ses quarante ans, ce problème ne se posera pas mais, si tel n'avait pas été le cas, il aurait été rédhibitoire.
Vous avez indiqué que la prolongation des réacteurs au-delà de quarante ans n'était pas garantie, puisqu'il y aura à la fois cette exigence de mise au niveau de l'EPR et la question de tenue des cuves, un sujet suffisamment préoccupant pour conduire nos voisins belges à fermer deux de leurs sept réacteurs. Vous rappelez dans votre rapport que la situation n'est pas comparable, de par la nature des défauts et des cuves. Malgré tout, la question de la capacité des cuves à résister à l'irradiation, décennie après décennie, constitue un sujet de préoccupation. Ce que vous dites sur le fait que quelques défauts limités sont d'ores et déjà identifiés pose la question de la capacité à prolonger les réacteurs au-delà de quarante ans. Si vous aviez une évaluation du nombre de réacteurs susceptibles, ne serait-ce que sur ce critère, de passer les quarante ans, ce serait une indication extrêmement importante pour la représentation nationale, puisque nous aurons à voter prochainement une loi sur la transition énergétique qui devra faire des choix en matière de production énergétique.
Autre sujet, la question de l'enfouissement des déchets radioactifs à Bure. Le président, en ouvrant la séance, indiquait que nous passions à la phase industrielle, peut-être est-ce un peu anticipé, alors que le débat public a posé un certain nombre d'interrogations ?