Intervention de André Gattolin

Réunion du 21 mai 2014 à 14h30
Débat sur le climat et l'énergie en europe

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Ronan Dantec et plusieurs orateurs l’ont déjà rappelé, les bouleversements climatiques et les enjeux énergétiques figurent parmi les défis majeurs, et les plus urgents, auxquels nous sommes confrontés.

Ces défis, la France ne peut évidemment les relever seule ; ils concernent la planète tout entière. L’Europe, d’ailleurs, a longtemps fait figure de pionnière en la matière. Il faut dire qu’elle avait toutes les raisons pour jouer ce rôle.

Tout d’abord, ces problématiques l’affectent au tout premier chef, le continent étant pris entre sa forte dépendance énergétique et la nécessité de préserver un climat exceptionnellement tempéré.

Ensuite, l’Union européenne profite d’un effet de masse que l’on pourrait croire suffisant pour influer utilement sur ses partenaires.

Enfin, c’est précisément sur ce type de dossiers, à la fois techniques et politiques, que la construction européenne s’est développée concrètement à la fin des années 1950.

On pouvait donc penser que l’Europe saisirait à bras-le-corps la multiplicité des enjeux croisés qui s’offraient à elle dans le domaine de l’énergie et du climat. L’échec du sommet de Copenhague de 2009 a pourtant très vite remis en cause les efforts que l’Europe avait commencé à déployer. C’est toute une dynamique qui s’est alors interrompue et avec laquelle nous n’avons toujours pas réussi renouer. Certes, des avancées non négligeables ont vu le jour, mais le seuil critique n’a pas été atteint, et une partie des acteurs qui s’étaient mobilisés pour une réelle prise en charge de ces questions à l’échelle internationale et européenne se sont découragés, tandis que les attentistes et les sceptiques en sont sortis renforcés.

La crise économique et financière a eu un double effet, tout à fait dramatique, sur les orientations stratégiques de nos États.

On a d’abord souhaité renouer au plus vite avec la croissance et l’emploi, en usant des recettes les plus classiques et sans trop se soucier d’en inventer d’autres, plus cohérentes avec les enjeux tant climatiques qu’énergétiques.

Ensuite, la recherche de la compétitivité à tout prix pour relancer les économies occidentales essoufflées a conduit à des choix énergétiques de court terme : la surexploitation de nos ressources naturelles finies et l’importation à tout-va de notre énergie, sans réel souci de rationalisation ou de sobriété. La facture énergétique de l’Europe a ainsi été multipliée par six en douze ans, pour atteindre pas moins de 488 milliards d’euros en 2011 !

Pour faire simple, je dirai qu’au nom d’une croissance productive classique et « court-termiste », dont nous attendons en vain le retour, nous sommes en train de dilapider notre « capital planète ».

Les bouleversements climatiques sont pourtant plus que jamais à l’œuvre : fonte accélérée des glaciers de l’Antarctique et du Groenland, réduction accélérée de la banquise arctique, multiplication de phénomènes météorologiques dramatiques, coûteux en vies humaines et lourds de conséquences économiques et sociales.

Tout se passe comme dans une réaction en chaîne mal maîtrisée : ces effets immédiats sur le climat conduisent non pas à une réorientation salutaire de nos choix stratégiques, mais, au contraire, à des décisions folles, fondées sur des raisonnements fantasmatiques !

Rapporteur pour la commission des affaires européennes sur la stratégie européenne pour l’Arctique, je note, à travers les très nombreuses auditions auxquelles je procède actuellement, que la dégradation accélérée du climat arctique, loin de provoquer des réactions salutaires, génère en effet un discours délirant et incroyablement irresponsable : « La banquise fond ? Formidable ! Nous allons pouvoir exploiter les ressources minérales, pétrolières et gazières contenues sous les eaux de cet océan vital ! Nous allons pouvoir tracer de nouvelles routes maritimes entre l’Asie, l’Europe et l’Amérique, en passant par le pôle Nord ! »

Tout comme la guerre peut parfois être, pour certains industriels, un moyen scandaleux de faire des affaires, la dégradation accélérée du climat en Arctique peut apparaître comme une superbe opportunité de business.

Au passage, c’est très mal connaître les réalités de l’Arctique, la fragilité de son écosystème, les conditions extrêmement difficiles et les risques qu’elles engendrent, les coûts particulièrement élevés de l’exploitation de ses ressources et les dangers de la navigation dans cette zone. Tout cela vaut même dans l’hypothèse d’une accélération du réchauffement climatique dans ce vaste espace, déjà deux fois et demie plus touché par le phénomène que le reste de la planète.

Mais l’économie mondialisée – c’est un de ses mécanismes principaux – fonctionne aussi sur des logiques archi-spéculatives, par lesquelles, au final, on privatise les bénéfices et on collectivise les pertes.

Les paradoxes succédant aux paradoxes, l’inquiétante crise russo-ukrainienne a eu au moins l’avantage de remettre la question énergétique sur le devant de la scène européenne. Depuis quelques mois, certains, y compris le Président de la République, appelaient de leurs vœux la formulation de politiques énergétiques européennes, allant même jusqu’à parler d’un « Airbus de l’énergie ». Ces propositions sont aujourd’hui relancées par la situation de l’Ukraine et le chantage au gaz russe.

Cependant, un point reste hautement problématique. Ces discours sur la souveraineté énergétique de l’Europe paraissent en effet de plus en plus déconnectés de la question du climat. On assiste à un véritable découplage entre ces deux thématiques, qui sont pourtant intrinsèquement liées.

L’énergie la moins chère, c’est celle que l’on économise. L’énergie la moins dangereuse pour le climat, c’est la moins carbonée. C’était tout le sens du fameux paquet énergie-climat mis en place par l’Union européenne en 2008, et qui, en dépit de ses limites, établissait clairement le lien entre ces différents aspects, tout en fixant des objectifs quantifiés, les fameux « 3x20 » : porter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique à 20 %, réduire les émissions de CO2 de 20 %, et réaliser 20 % de gains d’efficacité énergétique.

Depuis cette date, la situation globale s’est encore dégradée. Pourtant, le nouveau paquet énergie-climat proposé très récemment par la Commission européenne opère un recul sans précédent, qui s’inscrit dans la droite ligne de ce qu’espéraient le Royaume-Uni et la Pologne. En effet, les objectifs relatifs à l’efficacité énergétique ont disparu, ceux relatifs aux énergies renouvelables ne sont plus contraignants – ils ne seront donc pas respectés – et la perspective de réduction des émissions de gaz à effet de serre reste très modeste. Pourtant, dans ses dernières propositions, le Parlement européen réclamait, lui, des objectifs contraignants dans ces trois domaines.

Madame la ministre, il n’aura échappé à personne que votre ministère regroupe désormais, et c’est heureux, l’écologie et l’énergie. Nous vous savons très attachée à l’agrégation de ces deux problématiques. Malheureusement, force est de constater que nous assistons aujourd’hui à leur découplage presque total à l’échelon européen. Le risque est, au mieux, d’échouer dans l’un ou l’autre de ces deux domaines et, au pire – il est, hélas, le plus certain –, d’échouer dans les deux.

C’est pourquoi, madame la ministre, le groupe écologiste aimerait connaître les initiatives que le Gouvernement entend prendre, tant à l’échelle de l’Union européenne – et notamment auprès de la Commission européenne qui s’installera cet été – que dans le cadre du sommet qui se tiendra à Paris à la fin de l’année 2015, afin de relier à nouveau, et comme il se doit, ces deux politiques, fondamentales pour notre avenir. §

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