Intervention de Anne Bucher

Mission commune d'information impact emploi des exonérations de cotisations sociales — Réunion du 14 mai 2014 : 1ère réunion
Audition de Mme Anne Bucher directeur des réformes structurelles et de la compétitivité de Mm. Nicolas Philiponnet bureau géographique france et de guillaume roty analyste économique europe 2020 et gouvernance économique à la direction générale des affaires économiques et financières de la commission européenne

Anne Bucher, directeur des réformes structurelles et de la compétitivité :

Nous vous remercions d'avoir invité la Commission européenne à participer à cet échange de vues car c'est un privilège pour nous de participer à un débat national sur des politiques nationales. Dans le cadre de la préparation de cette audition, un certain nombre de questions nous ont été posées et je tenterai d'y répondre dans notre introduction.

Trois points nous paraissent importants. Le premier concerne l'érosion de la compétitivité de l'économie française et son lien avec le coût du travail. Le second porte, dans ce contexte, sur l'évolution des cotisations sociales et son impact. Le troisième point est relatif au paramétrage d'une politique qui vise l'exonération des cotisations sociales.

S'agissant de l'érosion de la compétitivité de l'économie française, qui nous occupe depuis trois ans dans le cadre de la surveillance macro-économique où nous avons constaté que la détérioration de la balance courante française était un signe de détérioration macro-économique, celle-ci s'avère préoccupante du fait de sa continuité pendant plus de dix ans. Le déficit de la France, quelque peu atypique dans la zone euro, reflète une érosion de la performance des exportations et une diminution des parts de marché de la France qui est supérieure à celle enregistrée dans la zone euro. Les facteurs cycliques jouent un rôle mineur dans cette détérioration : la question de la performance des exportations françaises doit ainsi être posée.

Certes, la Commission européenne n'est pas véritablement inquiète quant aux implications de la détérioration de la balance courante française sur le niveau d'endettement externe de la France, qui demeure très modéré. En revanche, alors qu'un certain nombre de pays de la zone euro ont connu une détérioration de leur compétitivité et réussi à corriger cette tendance ces dernières années, la France ne présente que très peu de signes de correction depuis la dernière crise économique. On s'oriente ainsi vers une position encore plus détériorée de la France, au sein de la zone euro, dans l'avenir.

Dans notre diagnostic sur la compétitivité, nous abordons la question de la compétitivité-coût et de la compétitivité hors-coût qui reste, à en juger par le débat national en France, dominante. Mais, au sein d'une Union monétaire où les fondamentaux de la compétitivité de l'ensemble des membres ne doivent pas diverger, la compétitivité-coût demeure importante. L'évolution des coûts salariaux unitaires doit ainsi suivre une tendance commune et les gouvernements devraient veiller à ce que les salaires croissent au même rythme que celui de la productivité.

Historiquement, cet adage ne s'est pas vérifié dans la zone euro. L'Allemagne a en effet pratiqué une politique de modération salariale, tandis qu'un certain nombre de pays de la zone euro, dont la France, l'Espagne, l'Italie ou la Grèce, a laissé dériver la croissance des salaires au-delà des gains de productivité. Certains pays ont ainsi corrigé cette tendance sur l'évolution des salaires et, en France, nous ne disposons pas de signe avant-coureur de cette correction.

Lorsqu'on évalue l'impact de l'évolution des coûts salariaux sur les performances à l'exportation, émerge une spécificité française : l'industrie française a enregistré une hausse importante des coûts salariaux unitaires, mais elle n'a pas répercuté ces coûts sur les prix à l'exportation. Lorsqu'on regarde les indices de compétitivité relatifs, comme le taux de change effectif réel, on constate que la France a perdu en compétitivité sur les aspects coûts, de façon importante par rapport à l'Allemagne, mais lorsqu'on utilise ces indices de prix relatifs au regard des prix à l'exportation, on constate que la France et l'Allemagne demeurent sur un même niveau. En pratique, cette tendance s'explique par la compression des marges des entreprises pour rester présentes sur les marchés internationaux et à l'intérieur de la zone euro. L'évolution de l'indicateur du partage entre les salaires et les profits de la valeur ajoutée illustre cette tendance : cet indicateur, de l'ordre de 30 % pour la France, est l'un des plus bas de l'Union européenne, tandis que pour l'Allemagne, il avoisine les 40 %.

Par ailleurs, la part des profits dans la valeur ajoutée a baissé depuis 2006. Donc les conséquences de l'augmentation des salaires sur la capacité des entreprises à investir et à innover, par rapport à des entreprises similaires à l'étranger, vont vers une détérioration du positionnement des entreprises françaises. Ces observations sur le coût du travail présentent ainsi des incidences sur la compétitivité hors-coûts.

Quel est le lien de cette détérioration avec la question des prélèvements sociaux sur le travail ? Dans ce domaine également, force est de constater un certain nombre de spécificités françaises. La première, c'est que le niveau de cotisations sociales acquittées par les employeurs est très élevé en France, troisième en Europe après l'Italie et la Belgique, et représente près de 20 % de la masse salariale. Ce point reflète non seulement le poids élevé de la fiscalité, mais également un partage des cotisations sociales entre employeurs et employés différents des autres pays où la part égale tend plutôt à être la règle. Deuxième spécificité française : la progressivité en fonction du salaire des cotisations sociales qui résulte en partie des politiques d'exonération des bas salaires se traduisant par l'augmentation soutenue des cotisations du Smic jusqu'à 1,6 Smic, tout en présentant d'autres effets de seuil par la suite. Cette réalité contraste avec la tendance constatée dans les autres Etats de l'Union avec soit une augmentation constante ou une dégressivité, comme en Allemagne où, en vertu d'un modèle social différent, les cotisations sociales sont plafonnées et certaines prestations sociales sont assurées par des organismes privés proposés aux salariés.

De tels choix ne sont pas innocents dans une perspective internationale. Lorsqu'on compare la structure des coûts salariaux entre les entreprises françaises et allemandes, ceux-ci sont relativement similaires pour les bas salaires. Mais pour les salaires plus élevés, l'employeur français va être soumis à une plus grande imposition : pour un salaire d'1,5 Smic, l'employeur français va devoir acquitter 25 000 euros de charges annuelles, tandis que l'entrepreneur allemand en paiera 10 000 ! Une telle obligation n'est pas neutre sur les structures de coûts ou sur les marges que l'on espère dégager à l'exportation lorsqu'on est en concurrence sur des produits et des marchés similaires.

Cette progressivité des cotisations sociales résulte certes d'une démarche qui se veut favorable à l'emploi, mais dans une perspective européenne, le salaire minimum français est relativement élevé. Pour enrayer ce phénomène, la baisse des cotisations sociales a été choisie pour abaisser le coût pour les entreprises, avec comme contrepartie la progressivité qui tend à encourager la substitution du travail qualifié par le travail non qualifié, voire à conduire à la création de trappes à bas salaires. D'ailleurs, lorsqu'on compare les salaires entre la France et l'Allemagne, on constate que la France possède un plus grand nombre de salariés rémunérés autour du Smic qu'Outre-Rhin où les salaires minima sont plus bas et fixés par les conventions collectives.

Dans une logique dynamique de renforcement du tissu productif, les exonérations de cotisations sociales encouragent-elles l'investissement et le recours au travail qualifié qui sont généralement complémentaires l'un de l'autre, tandis que le travail non qualifié et le capital s'avèrent substituables ?

S'agissant du troisième point relatif à la méthode retenue pour mesurer les effets des exonérations de cotisations sociales, il nous est difficile de vous apporter des éléments de comparaison, du fait de l'utilisation continue de cette mesure depuis plusieurs décennies en France. Certes certains ciblages peuvent être constatés ailleurs, soit sur des nouveaux postes ou sur des catégories plus précises, comme aux Pays-Bas où les évaluations soulignent les effets d'aubaine suscités par les exemptions de cotisations sociales. Les Allemands ont également suivi cette démarche, à hauteur de 10 milliards d'euros, mais en augmentant concomitamment la TVA destinée à en compenser partiellement les effets. Mais celle-ci n'a pas fait l'objet d'une évaluation puisque les exonérations ont été très vite stoppées du fait de la politique d'assainissement budgétaire mise en oeuvre Outre-Rhin. L'utilisation des exonérations, comme en Belgique, est ainsi ponctuelle et extrêmement ciblée, à l'inverse de la France. D'ailleurs, lors des réunions conjointes avec les différents ministères des finances des Etats membres, où sont abordées les questions de coût du travail et de fiscalité, l'argument selon lequel les outils fiscaux s'avèrent bien moins adaptés qu'une politique active du marché du travail est récurrent parmi les responsables ministériels présents.

Je ne dispose pas ainsi d'éléments comparatifs sur ces questions. La Commission européenne qui se penche sur le renforcement de la compétitivité française et le positionnement des entreprises, préconise que les mesures d'exemption de cotisations sociales soient prises au sens large plutôt qu'être ciblées sur les bas salaires qui ont certes des effets sur l'emploi mais n'influent, au final, guère sur la compétitivité. Les dispositifs récemment adoptés, comme le Cice ou d'autres mesures actuellement en cours d'adoption dans le cadre du pacte de responsabilité, marquent un changement par rapport à ce qui prévalait jusqu'alors : le ciblage des bas salaires est moins précis. Mais la Commission européenne considère que le Cice est encore davantage une mesure destinée à favoriser l'emploi qu'à renforcer la compétitivité, en réduisant le taux moyen de cotisations sociales de 1,4 point et en ciblant les salaires autour du niveau du Smic.

Certes, une telle mesure prend pour fondement la logique de l'élasticité de l'offre de travail vis-à-vis des emplois les moins qualifiés, mais il importe de garder à l'esprit le cadrage macro-économique pour en évaluer les conséquences. D'une part, lorsqu'on évalue à l'aune de nos modèles macro-économiques le Cice, on constate que le ciblage des bas salaires présente des effets positifs sur l'emploi mais peu sur la compétitivité externe, puisque la réduction du coût du travail n'influe pas sur le niveau des prix à l'exportation de manière probante. D'autre part, le financement de cette mesure pose problème, puisque la réduction des cotisations sociales s'inscrit dans une politique d'assainissement budgétaire impliquant la réduction d'autres postes de dépense, comme celle de l'investissement public présentant, à terme, des effets récessifs susceptibles d'en enrayer les effets positifs. La réduction concomitante des cotisations et des prestations sociales entraîne un effet négatif, la première année, puisque les dépenses publiques sont réduites, mais cet effet est temporaire puisque s'amorce une dynamique de compétitivité. De ce fait, nous considérons que le débat sur les exonérations de cotisations sociales doit prendre en compte les modalités de financement de cette mesure et ainsi s'interroger sur la protection sociale et son éventuelle réforme.

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