Intervention de Mireille Elbaum

Mission commune d'information impact emploi des exonérations de cotisations sociales — Réunion du 14 mai 2014 : 1ère réunion
Audition de Mme Mireille Elbaum présidente du haut conseil du financement de la protection sociale

Mireille Elbaum :

Le Haut conseil a en effet travaillé sur les logiques de financement de la protection sociale et s'est confronté à la question qui vous occupe en trois occasions. En dressant l'état des lieux qui nous avait été commandé, à l'automne 2012, au moment de notre installation, nous avons été conduits à analyser les exonérations de cotisations, leur progressivité, et la façon dont a évolué la compensation, qui ne se fait plus depuis 2011, annuellement et à l'euro près, mais par l'affectation définitive d'impôts et taxes. Ce qui a pu un temps conduire à se demander si la dynamique de ces impositions affectées suivrait celle des risques à couvrir. On s'en est inquiété pour la branche famille sans qu'apparaisse, in fine, de problème majeur.

Plutôt que de compensation d'exonération, il est devenu plus juste de parler d'un barème progressif des exonérations employeur dont le financement est assuré par des impôts et taxes affectés au régime de sécurité sociale, tant dans son versant universel, avec la branche famille et les prestations en nature de l'assurance maladie, que dans son versant contributif, puisque la branche vieillesse est elle aussi compensée - étant entendu que les régimes complémentaires et l'assurance chômage restent exclusivement financés par les cotisations.

Les exonérations dites Fillon ayant fait l'objet de diverses évaluations, notamment par la Dares et la direction générale du Trésor, nous nous sommes contentés d'insister sur la disparité de leurs conclusions : les effets sur l'emploi qu'elles retiennent s'étagent sur une large fourchette et devraient plutôt se situer autour de 500 000 à 600 000 que d'un million, chiffre qui représente le haut de la fourchette.

Nous avons ensuite, en juin 2013, rendu un rapport d'étape sur la clarification et la diversification du financement des régimes de protection sociale. Nous raisonnions, à montant de financement constant, sur l'adéquation optimale des ressources des différents régimes eu égard à la philosophie dont ils procèdent et à la nature des risques qu'ils couvrent. Nous y examinions également des problèmes plus spécifiques, parmi lesquels la question de la fiscalité du capital et de la fiscalité environnementale - qui n'est pas ce qui vous occupe aujourd'hui - mais aussi ce que l'on appelle les niches sociales, dans un raccourci de langage qui n'est pas pleinement justifié puisqu'il recouvre à la fois des exonérations et des exemptions ou des abattements d'assiette...

Si certains partenaires sociaux ont pu nous reprocher d'avoir retenu une hypothèse de travail à financement constant et sans allègements supplémentaires, nous n'en avons pas moins été conduits à constater que la sédimentation des affectations successives avait quelque peu brouillé la lisibilité du système. Ne serait-il pas bon, afin de clarifier les choses en distinguant selon la nature des risques, de réserver les cotisations aux risques les plus contributifs par nature, comme le risque vieillesse, et de concentrer les impôts et taxes affectés sur les risques par nature universels et généraux, que couvrent les prestations maladie ou celles de la branche famille ? Etant bien entendu qu'il ne s'agit nullement de faire la distinction entre assurance et solidarité, principe que nous rejetons a priori puisque les assurances sociales sont, par nature, solidaires. Mais il n'en existe pas moins un lien entre affiliation professionnelle et remplacement des revenus d'activité - ce que nous appelions contributivité, mais non point au sens assuranciel. Et c'est pourquoi nous envisagions différents scénarios pour montrer qu'il y avait matière à clarification. Au demeurant, si le régime vieillesse s'est vu affecter des impôts et taxes, c'est bien pour compenser des exonérations. Ne serait-il pas logique, cependant, de clarifier un peu leur distribution et de faire en sorte, par exemple, que les taxes comportementales aillent plutôt au financement de l'assurance maladie ?

Nous avons, parallèlement, raisonné sur les niches fiscales qui, bien que regroupées, par souci de lisibilité, dans une annexe unique au projet de loi de financement de la sécurité sociale, méritent d'être différenciées selon qu'il s'agit d'exonérations de cotisations pour des motifs liés à l'emploi et à l'insertion ou d'exemptions et d'abattements d'assiette poursuivant d'autres objectifs, de nature sociale - et le fait est que nombre d'entre eux visent à favoriser les politiques sociales d'entreprise comme la participation et l'intéressement, la prévoyance d'entreprise... Ce qui n'est pas sans poser un problème d'égalité dans la mesure où les grandes entreprises, qui ont les épaules assez larges pour développer de telles politiques, bénéficient du même coup davantage de ce type d'abattements.

Les exonérations proprement dites, qui visent l'emploi et l'insertion, appellent une approche différente. On peut les classer en trois catégories. Celles qui visent l'emploi en général appellent une évaluation quant à leur effet sur l'emploi global. En revanche, celles qui visent des publics particuliers, comme les chômeurs de longue durée via des contrats aidés, ne doivent pas être évaluées à la seule aune de l'emploi créé puisqu'elles tendent avant tout, par un mécanisme de discrimination positive, à changer l'ordre de la file d'attente en rendant un avantage différentiel à des publics désavantagés sur le marché du travail. Viennent enfin les exonérations sectorielles, dont la logique, et c'est là où le bât blesse, est à cheval entre les deux. Il s'agit à la fois de créer des emplois et d'avantager certains secteurs d'activité.

Voilà donc, au total, un paysage complexe, qui, outre qu'il n'est pas toujours très lisible pour les acteurs, conduit à se poser la question de l'articulation entre ses composantes. Comment les exonérations générales progressives doivent-elles s'articuler, par exemple, avec les exonérations en faveur des DOM ? Et la création, intervenue depuis, du crédit d'impôt compétitivité-emploi ( Cice), relance cette question de l'articulation, j'y reviendrai. Ajoutons que c'est un paysage mouvant, fait de créations, de modifications, de suppressions. Voyez les exonérations sur les bas salaires : si les évaluations témoignent incontestablement qu'elles ont un effet sur l'emploi, on peut se demander si l'instabilité des dispositifs n'entraîne pas une déperdition.

Notre troisième rapport, enfin, remis en mars 2014, est un point d'étape préalable au pacte de responsabilité, dans la poursuite de nos travaux sur le financement de la protection sociale. Nous nous y posons donc la question des effets potentiels, en fonction de leur ciblage, d'allègements complémentaires. Nous ne disposions, pour traiter ce très vaste sujet, que de deux mois de travail, et avons donc procédé par une série de sept éclairages, dont trois peuvent vous intéresser. Nous avons tout d'abord dressé un nouvel état des lieux, en mettant l'accent sur la question de la compétitivité de l'économie française, de l'influence potentielle du coût du travail, et en marquant les évolutions intervenues dans le financement de la protection sociale. Avec la création du Cice, instrument fiscal s'ajoutant aux exonérations, nous avons été conduits à engager une réflexion à la fois réglementaire, comptable et financière, en vue d'une éventuelle unification entre ce dispositif et les allègements de cotisations sur les salaires.

Il nous est également apparu utile de faire la lumière sur les conclusions des modèles macroéconomiques quant aux effets sur la compétitivité des allègements de cotisations ciblés. Nous avons ainsi mobilisé trois outils, le modèle du Trésor, celui de l'OFCE et celui, sectoriel, de l'équipe Erasme, qui décompose l'analyse par secteurs fins d'activité. Sachant que les deux points de cotisations sociales qui restent uniformes au niveau du Smic représentent 10 milliards, nous avons testé, sur le fondement de ces trois modèles, différentes formes, plus ou moins progressives, d'exonération possibles - uniforme, ciblée sur les salaires moyens et modestes ou sur les seuls bas salaires - associées à plusieurs formes de financement potentiels.

Vous savez que le Gouvernement a finalement renoncé à un rapprochement du Cice et des allègements de cotisations sociales, piste à laquelle les partenaires sociaux n'étaient guère favorables. Nous avions, pour notre part, souligné que les champs d'application des deux dispositifs ne se recouvraient pas - les entreprises à but non lucratif, par exemple, bénéficient d'allègements mais pas du Cice, et inversement pour certaines entreprises publiques et parapubliques. A quoi s'ajoute le fait que pour un même montant, le résultat brut et net n'est pas le même dans l'un et l'autre cas, puisque le Cice est un allègement net de l'impôt sur les bénéfices à acquitter par l'entreprise, tandis que l'exonération vient en déduction des charges de celle-ci. Si bien que pour obtenir des montants équivalents, il faut calculer en termes de retour d'impôt sur les sociétés. Enfin, les exonérations s'appliquent sans délai, au contraire du crédit d'impôt, le décalage pouvant aller, dans le cas du Cice, jusqu'à n+4. En cas de fusion, il aurait fallu réduire ce décalage, au risque d'une année blanche pour les comptes publics. Le problème majeur, surtout, est qu'il ne reste, au niveau du Smic, que deux points de cotisation, bien loin des quatre à six points du Cice. Il aurait donc fallu envisager d'autres techniques, soit en faisant entrer, chose inédite, les régimes à gestion paritaire comme l'Unedic et les régimes complémentaires de retraites dans le système des exonérations, soit en envisageant un mode de gestion plus globalisé par l'Acoss, ce qui supposait bien des aménagements dans ses méthodes de régulation. Le problème de la chronologie restant le plus délicat, puisque le droit à crédit d'impôt que crée le dispositif du Cice peut s'étendre, via un mécanisme d'imputation sur les bénéfices, jusque sur quatre ans.

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