Grâce au travail fourni par l'UNESCO, la diversité culturelle progresse. Mais à côté de cette dimension internationale, il ne faut pas perdre de vue l'importance de cet enjeu aux niveaux national et territorial, où il est plus difficile de faire avancer la diversité culturelle. Afin de renforcer l'attractivité des territoires, les politiques parient bien souvent sur les atouts locaux en termes de créativité et d'innovation, en oubliant les fondamentaux de ces accords internationaux en matière de diversité culturelle. Je prendrai l'exemple de Nantes : la ville mène une politique de « quartier de la création », destinée à faire émerger des jeunes pousses qui empruntent aux ressources culturelles pour devenir professionnels. Cependant on s'aperçoit que la seule façon de penser l'avenir professionnel c'est, avec son projet culturel, d'être compétitif sur le marché et de rentabiliser son projet.
Je me suis pour ma part toujours refusé à abandonner l'engagement de solidarité mis en avant par la Déclaration universelle sur la diversité culturelle de 2001 dont l'un des considérants est libellé de la manière suivante : « aspirant à une plus grande solidarité fondée sur la reconnaissance de la diversité culturelle, sur la prise de conscience de l'unité du genre humain et sur le développement des échanges interculturels ». Dans son rapport de 2011 sur La dimension culturelle du Grand Paris, M. Daniel Janicot invite à certain pragmatisme qui permette au Grand Paris de s'extraire d'un passé culturel muséifié pour investir les nouveaux marchés de la compétition mondiale entre métropoles sur l'enjeu culturel. J'avais ironisé sur le fait qu'on avait de plus en plus l'impression que les artistes étaient devenus des munitions dans une guerre culturelle mondiale. Lorsque je l'ai rencontré, M. Janicot s'est alors excusé auprès de moi pour avoir négligé cette idée de solidarité, alors qu'il était le numéro deux de l'UNESCO au moment de la négociation de la convention sur la diversité culturelle.
S'attache à la définition même de la culture un enjeu politique fort. La Déclaration de Fribourg sur les droits culturels de 2007 propose une définition particulièrement large de la culture, en précisant que « le terme «culture» recouvre les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son humanité et les significations qu'il donne à son existence et à son développement ». Se pose alors la question de l'identification des espaces politiques d'arbitrage entre la dimension économique et l'ambition de « faire humanité ensemble ». Certains responsables politiques ont pris de l'avance - je pense à nos amis de la communauté française de Belgique qui ont consacré, dans un décret-loi de décembre 2013, la définition de la culture comme moyen de « faire humanité ensemble ». Les cinq départements engagés dans le programme « Paideia 4D+ », la Gironde, le Nord, La Manche, le Territoire de Belfort et l'Ardèche, ont lancé une dynamique qui, localement, prend une dimension internationale en réévaluant les politiques publiques territoriales au regard du référentiel international défini par l'UNESCO. L'objectif d'attractivité locale doit désormais prendre en compte cette ambition de « faire humanité ensemble ». L'identification du lieu politique d'arbitrage entre ces deux visions, la dynamique économique et la mise en avant des droits culturels des personnes ou des groupes, permettrait d'avoir une approche un peu plus équilibrée de ce qui se passe un peu partout en Europe, en particulier du poids des replis identitaires.
L'idée de diversité culturelle en France reste pour moi un mystère, une grande énigme. La défense de l'exception culturelle, au nom de la diversité culturelle, a toujours constitué un élément moteur de notre politique internationale. On pourrait en déduire naïvement que cette idée est au coeur de la politique du ministère de la culture. Mais on s'aperçoit, lorsqu'on examine les textes réglementaires définissant les missions du ministère, qu'il n'est nulle part fait référence au mot « diversité ». C'est pour moi une énigme car comment l'État peut-il se battre à l'extérieur pour défendre cette idée de diversité culturelle sans l'inclure dans ses textes d'organisation institutionnelle ? Je renvoie également à la responsabilité du législateur qui, lorsqu'il a été amené à discuter des compétences des collectivités territoriales, n'a pas saisi la balle au bond en maintenant une compétence générale en la matière, alors qu'il suffirait de reprendre la définition des responsabilités publiques contenue dans la Déclaration de 2001.
L'enjeu du développement durable humain doit être abordé sérieusement, tant au niveau de l'Organisation des Nations unies (ONU) qu'au niveau local, comme une notion qui porte un sens et ne se réduit pas seulement à une activité.