Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 21 mai 2014 : 1ère réunion
Situation économique et financière de l'autriche de la hongrie et de la slovaquie — Communication de m. philippe marini

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, président :

La communication de ce jour a pour objet de partager avec les membres de la commission quelques éléments de réflexion issus de trois missions réalisées au cours des derniers mois, en Hongrie, en septembre 2013, puis en Autriche et en Slovaquie en février dernier.

Comme les missions précédentes, ces déplacements ont consisté en des réunions de travail avec les principaux acteurs politiques et économiques de ces pays : membres du Gouvernement, responsables des commissions des finances et des groupes parlementaires - issus aussi bien de la majorité que de l'opposition -, gouverneurs des banques centrales, dirigeants d'entreprises et, en particulier, des principaux établissements bancaires, représentants de la communauté d'affaires française, notamment.

Ces rencontres offrent une vision plus fine de la situation économique et financière de ces États et constituent des compléments essentiels aux informations publiées par les institutions européennes et par les pays eux-mêmes. Ceci démontre que les relations bilatérales conservent toute leur pertinence au sein de l'Union européenne.

La Hongrie compte de nombreux atouts. Cet État de 10 millions d'habitants bénéficie d'une situation géographique avantageuse et d'un système de formation performant qui lui permet de disposer d'une main d'oeuvre de qualité.

Par ailleurs, en juin 2013, le Conseil de l'Union européenne a décidé de mettre fin à la procédure de déficit excessif (PDE) engagée à l'encontre de la Hongrie en 2004 : en 2012, son déficit public a été inférieur à 2 % du produit intérieur brut (PIB) et celui-ci devrait approcher 2,5 % du PIB en 2013. Les dirigeants politiques hongrois ont clairement exprimé leur volonté de stabiliser le déficit public en deçà de 3 % du PIB, et ce, je cite le président du principal groupe du Parlement hongrois, « non pas pour satisfaire Bruxelles, mais parce que la stabilité de l'Union européenne repose sur l'effort des différents pays ».

Pour autant, la Hongrie présente d'importantes fragilités. Après avoir renoué avec la croissance en 2010 et 2011, le pays a connu un recul de son PIB de 1,7 % en 2012 et l'activité économique devrait progresser d'environ 1 % en 2013. La Hongrie est l'État membre du Groupe de Visegrád - également composé de la Pologne, de la République tchèque et de la Slovaquie - qui affiche les performances économiques les plus faibles. Néanmoins, la situation économique hongroise tend à s'améliorer depuis le début de l'année 2014 et il n'est pas exclu que le positionnement relatif de la Hongrie au sein de ce groupe évolue.

En tout état de cause, pour ce qui est de l'année 2013, l'atonie de l'activité économique était imputable à la faiblesse de la croissance de la consommation et de l'investissement, notamment étranger, qui connaissait deux origines principales. Tout d'abord, le niveau élevé d'endettement du secteur privé, qui excède 130 % du PIB, contraignant les ménages et les entreprises à réduire leur taux d'endettement et donc à diminuer leur consommation et leurs investissements. Il faut noter que le niveau d'endettement du secteur privé a été artificiellement accru par la baisse du taux de change du Forint, dans la mesure où nombre de ménages et d'entreprises avaient contracté des emprunts en devises étrangères. Si cela n'est pas propre à la Hongrie, ceci constitue une caractéristique forte de la situation hongroise actuelle.

L'endettement en devises représente l'un des enjeux sociaux les plus sérieux auxquels le pays est actuellement confronté. Depuis 2011, le Gouvernement hongrois a proposé plusieurs mesures afin d'alléger le poids de la dette des ménages : remboursement anticipé des emprunts, fixation du taux de change sur la base duquel les prêts sont remboursés, annulation d'une part de la dette existante, etc. Pour autant cette question n'est pas définitivement réglée à ce jour, en particulier pour les ménages les plus modestes et continue à peser sur le bilan des banques ; ainsi, en 2013, les prêts non performants représentaient près de 20 % des prêts accordés aux ménages hongrois. En bref, sortir de cette situation sera une entreprise longue et difficile.

Ensuite, la situation économique hongroise est marquée par la faiblesse des investissements, qui s'explique par le désendettement des ménages et des entreprises, la plus grande réserve des banques à accorder du crédit en raison de l'accroissement des risques associés aux prêts et au recul des investissements directs étrangers (IDE).

Selon les milieux d'affaires, le principal motif de la baisse des investissements directs étrangers (IDE) réside dans l'instabilité législative et réglementaire. En effet, l'actuel parti au pouvoir a profité, au cours de la dernière législature, de sa position majoritaire pour mener une activité législative intense. Au moment de mon déplacement, 712 lois avaient été adoptées par le Parlement depuis l'arrivée au pouvoir du Fidesz en 2010, soit en deux ans et demi ! Nous pourrions presque parler d'un Parlement stakhanoviste... Il m'a été indiqué que la Constitution hongroise permettait, dans certains cas, un examen particulièrement rapide des textes par le Parlement ; ainsi, la « procédure exceptionnelle », qui ne peut être utilisée que six fois au cours d'une session et doit être validée par deux tiers des parlementaires présents, permet l'examen et l'adoption d'une loi en deux jours seulement.

En outre, certaines des personnes rencontrées ont affirmé que les impositions sectorielles créées à l'initiative du Gouvernement, comme par exemple la taxe temporaire sur les banques, avaient contribué à une désaffection des investisseurs. Il convient de rappeler la forte présence des entreprises multinationales dans les principaux secteurs économiques hongrois ; aussi les autorités hongroises ont-elles souhaité solliciter ces investisseurs étrangers.

La création de ces impositions ne peut se comprendre que dans le cadre des politiques non orthodoxes développées jusqu'à présent. Tant les membres du Gouvernement que ceux du Parlement ont précisé que la stratégie retenue consistait à éviter un coût social élevé et une baisse des revenus, en particulier pour la classe moyenne qui est très endettée, et donc à faire reposer la consolidation budgétaire sur les plus grandes entreprises. Au total, il s'agissait d'assurer l'acceptabilité sociale de l'ajustement des finances publiques en le faisant substantiellement reposer sur les entreprises, notamment étrangères.

Parmi les différentes mesures non orthodoxes adoptées, mon attention a été retenue par le « système de travaux d'intérêt général », qui consiste à donner un emploi rémunéré par le secteur public aux personnes aptes à travailler mais sans emploi. Les chômeurs concernés sont généralement employés par des entreprises privées, sélectionnées par les collectivités, et contribuent à l'activité commerciale ordinaire de celles-ci. Il ne s'agit donc pas d'ateliers publics, mais bel et bien de sous-traitants des collectivités. Depuis sa mise en place, ce système a bénéficié à 500 000 individus et concernerait aujourd'hui 300 000 personnes ; celui-ci constitue une préoccupation de premier ordre des parlementaires hongrois qui voient fonctionner ce dispositif dans leurs collectivités. Il m'a été précisé que ce programme évoluait progressivement vers la formation des demandeurs d'emplois. Quoi qu'il en soit, il fait peu de doute que le « système de travaux d'intérêt général » ait largement contribué à stabiliser le taux de chômage en Hongrie - qui s'élève à 11 % de la population active, environ.

Pour conclure ce développement sur la Hongrie, il convient d'aborder la question des perspectives européennes du pays. Sur ce point, il m'a été clairement indiqué qu'il n'était pas prévu que la Hongrie intègre la zone euro dans l'immédiat ; le gouverneur de la banque centrale a précisé que cette intégration ne pourrait avoir lieu avant que le PIB par tête hongrois ait rejoint la moyenne européenne - ce qui reporte l'entrée du pays dans la zone euro à un terme indéterminé.

Mon déplacement en Autriche s'est, quant à lui, déroulé dans des circonstances particulières : le lendemain de mon arrivée, un règlement de la situation de la banque Hypo Alp Adria (HAA) était proposé par le Gouvernement, consistant en la création d'une structure de défaisance - ou bad bank - pour accueillir les actifs non performants de cette institution.

Cette banque avait dû être nationalisée en 2009 afin de lui éviter la faillite ; celle-ci avait été fragilisée, notamment en raison de sa forte présence dans les pays des Balkans qui ont été durement affectés par la crise économique. En dépit des recapitalisations opérées par l'État autrichien, la situation de la banque n'a pu être stabilisée, appelant donc un règlement définitif de la situation de Hypo Alp Adria.

Cependant, lors de mon déplacement, la solution préconisée par le Gouvernement était débattue, dès lors que la création d'une structure de défaisance ferait reposer le coût de la liquidation sur l'État autrichien et, donc, sur les contribuables - ce qui semblait être difficilement accepté par l'opinion publique. Pour autant, en raison de la tradition politique consensuelle autrichienne - très différente de celle de la Hongrie ! -, tout ceci reste sans réelle conséquence politique. Le secteur financier estimait, quant à lui, qu'une faillite pure et simple dégraderait l'image de l'Autriche auprès des investisseurs internationaux.

La structure de défaisance devrait, selon les dernières informations disponibles, être créée en septembre prochain. Reste maintenant à savoir dans quelle mesure le règlement du cas de Hypo Alp Adria pèsera sur la dette et le déficit publics autrichiens car, en effet, les montants en jeu sont considérables.

Pour autant, l'Autriche présente, globalement, une situation économique solide et affiche le plus faible taux de chômage de l'Union européenne ; celui-ci s'élèverait à 4,7 % en 2013 et 2014 - il faut dire que le marché du travail autrichien repose sur l'association d'un droit du travail flexible et d'un système de formation professionnelle des jeunes particulièrement efficace, qui s'inscrit dans la tradition austro-hongroise. En outre, selon la Commission européenne, le PIB autrichien connaîtrait un rebond en 2014, de 1,8 %, après un léger ralentissement en 2012 et 2013.

En matière budgétaire, le déficit public s'est établi à 2,5 % du PIB en 2012, bénéficiant d'une croissance économique plus dynamique que prévu et d'un service de la dette moins élevé qu'anticipé, en dépit du versement d'aides importantes - environ 0,9 % du PIB - au secteur bancaire nationalisé. S'agissant des années 2013 et 2014, le gouvernement autrichien anticipe un déficit public de respectivement 2,3 % du PIB et de 1,5 % du PIB.

Les efforts de redressement des finances publiques sont portés par un programme de mesures de consolidation budgétaire sur la période 2012-2016 qui comprend, notamment, une réforme du système de retraites, la suppression de dispositifs de retraite anticipée, ou encore la réduction des conditions d'accès à certaines prestations sociales.

L'Autriche a, par ailleurs, renforcé son cadre budgétaire en adoptant, à la fin de l'année 2011, une règle d'or sous la forme d'un frein à la dette - sujet que j'ai examiné avec un grand intérêt. En application de cette règle, le déficit structurel est limité à 0,35 % du PIB pour l'État fédéral et à 0,1 % du PIB pour les Länder et les collectivités locales à partir de 2017. Ce cadre est intégré dans un « pacte » liant les Länder, les communes ainsi que l'État fédéral, qui décline des cibles budgétaires contraignantes à ces différents niveaux. Cela m'a été expliqué avec soin par le directeur du budget, qui constitue une véritable autorité en Autriche.

Enfin, cette mission m'a permis d'aborder la question du secret bancaire et de la coopération fiscale internationale. Lors de ma visite, les autorités autrichiennes ont montré des signes de « résistance » en ce qui concerne la révision de la directive « épargne », estimant que la levée du secret bancaire et l'échange automatique d'information ne devaient pas porter préjudice à l'Autriche et, donc, n'intervenir que s'ils concernaient également le Lichtenstein, Saint-Marin et Monaco. Nous savons désormais que l'Autriche a accepté, il y a quelques semaines, une évolution de la directive « épargne ». Les positions se sont donc assouplies depuis février dernier.

Mes interlocuteurs ont, en outre, dressé un bilan éclairant de la mise en oeuvre des accords « Rubik » avec la Suisse. Dans ce cadre, l'Autriche a perçu un milliard d'euros au titre de la liquidation du passé et les avoirs des contribuables souhaitant conserver l'anonymat donnent lieu à un prélèvement de 25 %, soit le taux d'imposition autrichien de tels revenus.

J'en viens maintenant à la Slovaquie. Cette dernière figure parmi les « petits » pays de l'Union européenne, qu'elle a intégrée en 2004, puisqu'elle compte un peu plus de cinq millions d'habitants. Surtout, il s'agit d'un État « jeune », issu de la scission de la Tchécoslovaquie en 1993. Aussi, chacun s'interrogeait sur la viabilité économique d'une Slovaquie indépendante. Toutefois, celle-ci nous a surpris ; force est de constater que ce pays est parvenu à prospérer et que celui-ci affiche des performances économiques relativement satisfaisantes, voire supérieures à celles de la République tchèque. En dépit de la crise, la Slovaquie a affiché un taux de croissance moyen de son PIB de 5,3 % sur la période 2005-2009.

L'économie slovaque s'est fortement redressée après la crise économique : après avoir décliné entre 2007 et 2009, le PIB a rebondi de 4,4 % en 2010. Bien que moins dynamique actuellement, en raison, notamment, de l'atonie de l'activité mondiale et de la dépendance de la Slovaquie aux exportations, le PIB croîtrait malgré tout de 1 % en 2013 et de 2,8 % en 2014.

Pour autant, les créations d'emplois restent faibles dans un environnement marqué par un taux de chômage élevé. Aussi, je tiens à souligner les forts contrastes qui existent dans cette zone danubienne, entre des pays pourtant si proches géographiquement ; alors que l'Autriche affiche un taux de chômage inférieur à 5 %, que la Hongrie compte environ 11 % de chômeurs, le taux de chômage de la Slovaquie est de 14,5 % en 2013 !

En ce qui concerne la situation budgétaire slovaque, il convient de noter que la Slovaquie fait l'objet d'une procédure de déficit excessif (PDE) depuis 2009. Le déficit public du pays s'élevait, en 2012, à 4,5 % du PIB. Le projet de plan budgétaire présenté à l'automne dernier à la Commission européenne prévoyait un déficit de 3 % du PIB en 2013 et de 2,8 % en 2014. Les données qui seront publiées dans les semaines à venir nous indiqueront si les promesses ont été tenues.

En tout état de cause, le gouvernement slovaque a élaboré, en mars 2012, un programme de consolidation budgétaire qui repose sur trois piliers. Vient, tout d'abord, l'augmentation des taux d'imposition sur les revenus des personnes physiques aisées et sur les sociétés à partir de janvier 2013 ; par ailleurs, des prélèvements spécifiques ont été institués sur les entreprises réglementées et les banques. Ensuite, une réforme de l'administration publique a été engagée. Enfin, un plan de lutte contre la fraude a été défini. À cet égard, des initiatives originales ont été prises afin de lutter contre la fraude à la TVA : chaque ticket de caisse remis lors d'un achat permet au consommateur de participer à une loterie organisée par l'État, afin d'inciter celui-ci à contrôler que le commerçant déclare bien ses ventes à l'administration fiscale...

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